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20/04/2022

Les jeunes, Marine Le Pen et Emmanuel Macron

Les jeunes, Marine Le Pen et Emmanuel Macron
 Marc Lazar
Auteur
Expert Associé - Démocratie et Populisme, Italie

Depuis le dimanche 10 avril, l’attitude d'une partie de la jeunesse vis-à-vis de la politique interpelle. Selon l’IFOP, 41 % des 18-24 ans se sont abstenus. Selon Elabe, 34 % de ceux qui se sont rendus aux urnes ont choisi un bulletin Jean-Luc Mélenchon, 25 % celui du président sortant, 17 % ont préféré Marine Le Pen. La semaine dernière, des groupes minoritaires et virulents d’étudiants ont manifesté et occupé les locaux de leurs universités, en province comme à Paris, à la Sorbonne, à l’Ecole normale supérieure ou à Sciences Po, et maintenant certains lycées parisiens se mobilisent. Dénonçant les inégalités sociales qui les frappent et au nom de la cause environnementale, non prise en considération selon eux par les deux qualifiés pour le second tour, ils s’élèvent contre les résultats du premier tour. Nombre d’entre eux proclament désormais haut et fort qu’ils ne choisiront ni Le Pen, ni Macron. D’autres, dans la grande tradition anarchiste dont ils se réclament, remettent en cause le principe même des élections. Comment expliquer cela  ? L’enquête Une jeunesse plurielle : Enquête auprès des 18-24 ans menée en septembre dernier avec Olivier Galland pour l’Institut Montaigne auprès d’un large échantillon de 8000 jeunes âgés de 18 à 24 ans apporte des éclairages précieux : sur l’abstention d’abord, sur le vote en faveur du leader de la France insoumise ensuite, enfin sur la mobilisation en cours de jeunes scolarisés. 

En effet, l’étude fait apparaître une vision négative des responsables politiques. 61 % des jeunes estiment qu’ils les représentent mal et 69 % qu’ils sont corrompus. Plus d’un tiers considère que cela ne sert à rien de voter puisqu’ils ne tiennent pas compte "de la volonté du peuple". 43 % d’entre eux disent qu’ils n’ont pas d’idées assez précises pour se positionner sur l’échelle droite-gauche et plus d’un jeune sur deux ne se sent proche d’aucun parti, pour 36 % parce qu’ils ne les connaissent pas et pour les 19 % restants parce qu’ils ne correspondent pas à leur choix. Cette désaffiliation politique est encore plus prononcée chez les femmes, les jeunes ayant un niveau d’instruction inférieur au baccalauréat, issus de familles ouvrières et employées, vivant difficilement les fins de mois et à faible capital culturel mesuré par le nombre de livres dans le foyer, en l’occurrence inférieur à 100. Il n’est donc guère étonnant que plus de 40 % de ces jeunes ne se soient pas déplacés pour le scrutin présidentiel. 

Rien ne serait plus faux que d’en conclure que ces jeunes-là sont dépolitisés.

Toutefois, rien ne serait plus faux que d’en conclure que ces jeunes-là sont dépolitisés. D’abord, parce que pour ceux qui sont inscrits sur les listes électorales 65 % ont rempli leur devoir de citoyen, mais surtout parce qu’ils sont extrêmement sensibles à un certain nombre de grandes causes. Interrogés sur les sujets qu’ils jugent les plus importants, nos enquêtés ont classé largement en tête les violences faites aux femmes (72 %), le racisme (67 %), le terrorisme (66 %), la faim dans le monde (65 %), l’écologie (62 %) et les inégalités (62 %). 

Précisons cependant que la jeunesse est loin d’être homogène, en particulier dans son rapport à la politique. Nous avons ainsi distingué quatre ensembles : les démocrates protestataires (39 %), les désengagés (26 %), les révoltés (22 %) et les intégrés transgressifs (13 %). Si Jean-Luc Mélenchon est devenu le premier candidat des jeunes, c’est grâce à ce que l’on a qualifié de  “vote utile à gauche”, mais sans doute aussi à son positionnement sur l’environnement et le social, son rejet du racisme et de "l’islamophobie".  Cela lui a très certainement permis de récolter les suffrages de nos première, troisième et quatrième catégories. Les démocrates protestataires, issus de milieux favorisés socialement et culturellement, dotés de diplômes du supérieur, sont fort intéressés par les questions sociétales, attachés au vote tout en étant enclins à vouloir participer très activement à la vie publique. Les révoltés, plus âgés que la moyenne, souvent déjà dans la vie active, avec un niveau d’instruction plus bas que la moyenne, davantage que les autres en situation matérielle compliquée et en détresse psychologique, sont enclins à exprimer leur mécontentement de manière violente. Enfin, le dernier groupe, bien que plutôt satisfait de sa vie en général, dispose d’un niveau d’instruction bas, accepte le recours à toute forme de violence et se déclare convaincu de l’existence d’un racisme structurel en France. Les jeunes d’origine étrangère par leurs parents ou ceux de confession musulmane s’en déclarent victimes presque quotidiennement.   

Enfin, les mouvements en cours, s’ils concernent de petits groupes manifestement bien organisés, semblent avoir un certain écho chez d’autres jeunes, peut-être, une partie des démocrates protestataires et des révoltés. En effet, ils sont extrêmement motivés par la lutte contre le réchauffement climatique et préoccupés par la détresse sociale qu’ils ressentent.

À cet égard, plus d’un jeune sur deux déclare que la crise de la Covid-19 a eu un impact négatif sur leur moral et 59 % trouvent que leur situation économique est difficile. Tout cela paraît justifier chez ceux qui manifestent en ce moment leur refus de choisir entre Le Pen et Macron qu’ils en arrivent à mettre sur le même plan. Au demeurant, parmi ceux qui envisagent d’aller voter, 53 % choisissent Macron, 47 % Le Pen, toujours selon Elabe. 

Au-delà des élections, deux grands motifs de réflexion s’imposent concernant le rapport des jeunes à la démocratie. 

Au-delà des élections, deux grands motifs de réflexion s’imposent concernant le rapport des jeunes à la démocratie. Si 69 % des 18-24 ans estiment que "c’est utile de voter car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses", seulement un sur deux considère "important de vivre dans un pays gouverné démocratiquement". Estimant ne pas être entendus par leurs dirigeants, 22 % des jeunes justifient l’usage de la violence pour exprimer leur colère ou défendre leurs idées. Près d’un sur deux trouve acceptable ou compréhensible de "s’affronter à des élus" ou encore "d’insulter le Président de la République". Il est d’ailleurs significatif que 37 % de ces jeunes aient approuvé les gilets jaunes, tandis que 6 % d’entre eux ont participé à ce mouvement. Il y a là un potentiel protestataire et contestataire particulièrement important qui soulève une grande question : s’agit-il là d’un effet d’âge ou est-ce l’amorce d’un effet de génération qui aurait alors des conséquences durables sur la vie démocratique ?  

Mais le plus préoccupant pour la démocratie réside encore ailleurs, en l’occurrence chez les 26 % de désengagés, lesquels vivent en zone rurale et dans de petites villes, ont un faible niveau d’instruction, se situent en retrait de presque toutes les questions sociétales et politiques. C’est à cette jeunesse - que nous avons qualifiée d’invisible, par opposition par exemple à la visibilité de l’agitation estudiantine actuelle largement couverte par les médias - qu’il serait plus que temps de s’adresser. 

 

Copyright : JULIEN DE ROSA / AFP

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