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11/05/2020

Les États face au coronavirus - La France : crise sanitaire et crise de confiance

Les États face au coronavirus - La France : crise sanitaire et crise de confiance
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications
 Gauthier Simon
Auteur
Chargé d'études - Villes et enseignement supérieur

La chronologie

  • 24 janvier : 3 premiers cas de Covid-19 sont recensés en France.
  • 14 février : un touriste chinois de 80 ans meurt à l’hôpital Bichat à Paris. C’est le premier mort sur le territoire national.
  • 23 février : le plan de réaction en 4 stades est déclenché par le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran. Le stade 1 devant freiner l’introduction du virus est déclenché.
  • 25 février : un enseignant de Crépy-en-Valois (Oise) meurt du Covid-19, soit le premier Français décédant du virus.
  • 29 février : le stade 2 est déclenché, l’objectif est de freiner la propagation sur le territoire. Les manifestations de plus de 5 000 personnes en milieux confinés sont interdites. Dans le foyer épidémique de l’Oise, les rassemblements sont interdits, les déplacements restreints, les écoles des communes touchées ferment leurs portes.
  • 1er mars : premiers cas en Outre-mer (Petites Antilles, Saint-Barthélémy, Saint-Martin).
  • 6 mars : 81 cas sont déclarés en 24h à Mulhouse à la suite d’un rassemblement évangélique ayant rassemblé 2 500 personnes entre les 17 et 21 février. Cette manifestation aura un rôle majeur dans la propagation du virus sur le territoire.
  • 11 mars : les visites en EHPAD sont interdites.
  • 12 mars : allocution présidentielle annonçant la fermeture des crèches, écoles, collèges, lycées et universités. Toutes les entreprises pourront reporter sans justification, sans formalités, sans pénalités le paiement des cotisations et impôts dus en mars. Un mécanisme de chômage partiel est envisagé. Les salariés sont encouragés à pratiquer le télétravail.
  • 14 mars : le Premier ministre annonce le passage au stade 3, tous les lieux non indispensables recevant du public sont fermés.
  • 15 mars : le premier tour des élections municipales est maintenu, avec un taux d’abstention à plus de 55 %.
  • 16 mars : le Président annonce des mesures de confinement pour une durée minimale de 15 jours à partir du lendemain 12h. Le second tour des élections municipales, initialement prévu le 22 mars, est reporté.
  • 27 mars : le Premier ministre prolonge le confinement jusqu’au 15 avril.
  • 7 avril : la France dépasse le cap des 10 000 décès liés au Covid-19.
  • 13 avril : le Président annonce que le confinement sera partiellement et progressivement levé à partir du 11 mai et laisse 15 jours au gouvernement pour préparer le plan de déconfinement.
  • 14 avril : la France dépasse les 100 000 cas sur le territoire.
  • 28 avril : le Premier ministre présente le plan de déconfinement à l’Assemblée nationale (rentrée scolaire échelonnée, non reprise des cours en présentiel dans l'enseignement supérieur, maintien de la fermeture des bars, cafés et restaurants et interdiction des rassemblements).
  • 30 avril : diffusion par le ministère des Solidarités et de la Santé d’un bilan épidémiologique actualisé qui permettra de cibler les départements et zones qui devront appliquer des mesures plus strictes (rouge, orange, vert).
  • 5 mai : le Sénat adopte le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 10 juillet.
  • 7 mai : le Premier ministre annonce le déconfinement pour l’ensemble du territoire national (à l’exception de Mayotte) avec une distinction entre départements "verts" et "rouges" en fonction des 3 indicateurs suivants : la dynamique de l'épidémie, les tensions dans les services de réanimation et la capacité des régions à tester.
  • 7 mai : l’Insee annonce 453 800 destructions nettes d’emplois au premier trimestre.
  • 11 mai : la France entame son premier jour de déconfinement.

Analyse

La France aborde le début de l’épidémie, mi-février, dans un contexte politique particulier : à la suite du retrait de Benjamin Griveaux dans la course à la Mairie de Paris, ce dernier est remplacé comme candidat par Agnès Buzyn alors ministre de la Santé. Olivier Véran, député et neurologue, se retrouve ainsi propulsé à un poste stratégique, alors que le "précédent italien" annonce la crise épidémique qui attend la France dans un futur imminent. Un Conseil des ministres est exceptionnellement tenu le samedi 29 février afin de concevoir les scénarios pour faire face à la crise sanitaire qui se profile. Le 11 mars est créé un conseil scientifique ad hoc, placé auprès du ministre de la Santé "pour éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus". Il est présidé par le professeur Jean-François Delfraissy, et compte dix autres experts.

Le 11 mars est créé un conseil scientifique ad hoc, placé auprès du ministre de la Santé "pour éclairer la décision publique dans la gestion de la situation sanitaire liée au coronavirus".

Après la tenue contestée du premier tour des élections municipales le dimanche 15 mars, l’allocution présidentielle du lundi 16 mars marque l’entrée symbolique de la France dans le confinement dès le mardi 17. Ce confinement est certes moins strict qu’en Italie ou en Espagne, du fait des dérogations accordées par le gouvernement français, mais il représente néanmoins une réponse plus coercitive au virus que celle du Royaume-Uni, par exemple, qui opte alors pour la stratégie risquée de l’immunité collective.

Un début de propagation du virus relativement moins exponentiel qu’ailleurs en Europe

Même si le confinement est entré en vigueur relativement plus tard en France (J+16 après avoir atteint le cap des 100 cas) qu’en Espagne (J+12) ou en Italie (J+14), la courbe de contaminations de la France suit une trajectoire moins exponentielle que ses voisins. Un mois après le recensement des premiers cas de Covid-19 sur le territoire national, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier Véran déclenche, le 23 février, le plan de réaction dont le premier des 4 stades doit permettre de freiner l’introduction du virus. Le stade 2 est déclenché le 28 février, l’objectif étant désormais de freiner la propagation sur le territoire, ce qui passe, entre autres, par l’interdiction des manifestations de plus de 5 000 personnes en milieux confinés. Les quelques foyers épidémiques (Haut-Rhin, Oise, Morbihan) voient leurs écoles fermées. Le stade 3, synonyme de confinement, intervient le 17 mars.

Malgré des dépenses de santé parmi les plus élevées des pays de l’OCDE (11 % du PIB, contre 9 % en moyenne au sein de l’OCDE), devant la propagation rapide du virus, la situation devient critique dans les hôpitaux des zones les plus touchées du fait :

  • d’un manque de lits de réanimation. La France dispose habituellement de 5 000 lits de réanimation sur son territoire d’après le ministre Olivier Véran. Mi-mars, ce dernier annonce "un objectif de 14.000 à 14.500 lits" tandis qu’un hôpital militaire annexe est installé fin mars à Mulhouse. Atteindre cet objectif va, outre la mobilisation de personnels soignants, de pair avec une augmentation des équipements, et notamment des respirateurs. Une commande de 10 000 respirateurs est passée par le gouvernement auprès du groupe Air Liquide ;
  • d’une pénurie de masques et d’équipements de protection. La communication du gouvernement a fait l’objet de critiques sur ce sujet : après avoir assuré que le port du masque chez les personnes non atteintes était inutile, le gouvernement incite désormais chaque citoyen à en porter un, faisant du masque un élément clé de la stratégie de déconfinement à compter du 11 mai.

Par ailleurs, la France se démarque par le très faible nombre de tests PCR réalisés chaque semaine. Fin mars, après avoir développé son premier test dès la mi-janvier, l’Allemagne mène entre 300 000 et 500 000 tests par semaine ; de son côté, la France en effectue entre 35 000 et 85 000 (les formes bénignes et asymptomatiques ne sont ainsi pas testées). Selon les chiffres de l’OCDE du 28 avril, la France réalisait 9,1 tests pour 1 000 personnes, soit plus de deux fois moins que l’Allemagne (25,1) et l’Espagne (22,3), et trois fois moins que l’Italie.

La France réalisait 9,1 tests pour 1 000 personnes, soit plus de deux fois moins que l’Allemagne (25,1) et l’Espagne (22,3), et trois fois moins que l’Italie.

Alors que le confinement s'assouplit, le Premier ministre a affirmé devant l’Assemblée nationale le 28 avril que l’objectif était "de réaliser au moins 700 000 tests virologiques [PCR] par semaine" à partir du 11 mai.

Un effet de surprise et une réponse économique notable

À l’instar de la machine industrielle française, les capacités organisationnelles et hospitalières françaises ont été, comme chez nombre de nos voisins européens, surprises par l’arrivée du virus et ont dû réagir de façon rapide, sans visibilité sur l’évolution de la situation. Le manque d’agilité en situation de crise des organismes centralisés (moins flexibles que la gestion du système de santé au niveau des Länder) que sont les Agences régionales de santé (ARS) a très vite été pointé du doigt par les directeurs d’hôpitaux, notamment dans leur temps de réaction face aux demandes émanant des établissements de santé de leur département.

Moins dépendantes de facteurs extérieurs que les réponses sanitaires, les réponses économiques du gouvernement ont été très rapides. Annoncés lors de l’allocution présidentielle du 12 mars, la généralisation du chômage partiel (permettant aux salariés concernés de toucher 70 % du salaire brut et 100 % au niveau du SMIC) et le report du paiement des cotisations sociales et impôts, ainsi que les prêts garantis par l’État (couverture par l’État de 70 à 90 % du prêt, sans remboursement exigé la première année) font partie de la batterie de mesures économiques contracycliques du gouvernement. Un soutien public massif, certes, mais encore loin des sommes débloquées outre-Rhin via le plan de sauvetage voté par le Bundestag et l’État fédéral allemand le 26 mars dernier.

Les mesures décidées en France concernent aussi bien l’offre que la demande. Elles ont pour objectif de "congeler" l’économie et préserver, au maximum, les capacités de production des entreprises, les emplois et les revenus des ménages. La première loi de finances rectificative a été adoptée dès le 20 mars.

Au total, le plan d’urgence de l’État est estimé à plus de 110 Mds€ (5 % du PIB), assorti de 315 Mds€ de garanties de prêts bancaires.

Au total, le plan d’urgence de l’État est estimé à plus de 110 Mds€ (5 % du PIB), assorti de 315 Mds€ de garanties de prêts bancaires. Dans un sondage pour Les Echos, l'Institut Montaigne et Radio Classique, l’Institut Elabe montre que ces mesures d’aide aux entreprises et de protection des actifs sont très largement approuvées par les Français : 92 % d’avis favorables pour le report du paiement des cotisations sociales et des impôts, 90 % pour la généralisation du chômage partiel.

Touché par la simultanéité soudaine des chocs d’offre et de demande, le PIB français s’est rétracté de 5,8 % au premier trimestre 2020, soit un recul plus important qu’après la crise financière de 2008 qui avait provoqué une baisse de 1,6 % au premier trimestre 2009. Si l’Insee n’a pas publié de prévision pour l’ensemble de l’année 2020, le gouvernement table pour la loi de finance rectificative sur une chute de 8 % du PIB, un déficit public de 7,6 % et une dette publique qui attendrait 115 % du PIB. Quant à elle, la Commission européenne annonce dans ses prévisions de croissance du 6 mai une récession de 7,7 % pour l’ensemble de la zone euro, 9,5 % pour l’Espagne, 9,4 % pour l’Italie, 8,2 % pour la France et 6,5 % pour l’Allemagne.

Une opinion publique rapidement critique et défiante envers le pouvoir ainsi que l’utilisation des technologies

Alors que le déconfinement s’apprête à intervenir dans de nombreux pays, l’exécutif français est jugé bien plus sévèrement que ses homologues européens. Début mai, seuls 24 % des Français se disent "satisfaits" du président de la République. Ce même chiffre est de 50 % en Allemagne pour Angela Merkel et 48 % pour le Premier ministre du Royaume - Uni, Boris Johnson malgré l’aggravation récente de la situation de son pays. En France, on observe un mouvement de défiance envers les institutions, visible dans le taux de confiance accordé au gouvernement (passant de 55 % le 23 mars à 35 % le 23 avril, avant de remonter à 39 % au 4 mai et de chuter à nouveau, le 7 mai, à 34 %). Cette relative déception est notamment à mettre en perspective avec l’excellente réputation du système de santé français dans l’opinion publique. Les mesures économiques sont globalement mieux acceptées par les citoyens que les mesures plus générales, dont le taux d’adhésion s’érode au fur et à mesure que dure le confinement.

Parmi les sujets de discorde figure par ailleurs celui de l’usage des technologies pour limiter l’épidémie du Covid-19. Contrairement aux questions plus matérielles des masques et de tests, le gouvernement s’est attaqué relativement tôt à la possibilité d’utiliser des instruments de traçage et de pistage. En période d’épidémie, le traçage fait partie de la panoplie de mesures préventives qu’ont mis rapidement en place - avec un succès parfois nuancé - des pays asiatiques comme Singapour avec l’application TraceTogether. La sortie de l’application française StopCovid est prévue à partir du 2 juin. Le développement de l’application a déclenché, en France comme ailleurs en Europe, un débat virulent sur l’utilisation des données. La solution retenue par la France est dite "centralisée", c’est-à-dire que les données anonymisées (les identifiants aléatoires donnés à chaque utilisateur de l’application) sont stockées dans un serveur unique, et non sur les téléphones des utilisateurs, comme c’est le cas des solutions "décentralisées", comme celle retenue par l’Allemagne ou encore celle proposée par Apple et Google.

La solution française est en ce sens similaire à celle utilisée au Royaume-Uni, possédant ses avantages et ses inconvénients. Dans le cas français, le gouvernement a souhaité favoriser la compréhension de la propagation du virus par les épidémiologistes, ainsi que la sécurisation des numéros d’identifiant et les données associées, qui sont placés dans un seul endroit à protéger, plutôt que dans les téléphones partout en France.

Une situation sanitaire en amélioration avant le déconfinement

On observe un mouvement de défiance envers les institutions, visible dans le taux de confiance accordé au gouvernement (passant de 55 % le 23 mars à [...] à 34 %, le 7 mai).

Le nombre total d’entrées en réanimation baisse depuis le 1er avril, plus de patients sortant des hôpitaux que de patients y entrant depuis le 9 avril : bien que la situation soit toujours sensible dans certains territoires particulièrement touchés par l’épidémie, dans son allocution du 13 avril, le Président prend acte de cette première inflexion globale en annonçant que le confinement sera partiellement et progressivement levé à partir du lundi 11 mai.

Somme toute, la France aura jusqu’ici compté plus de 25 000 décès liés au Covid-19 (chiffre au 11 mai). Le confinement entré en vigueur le 16 mars aura permis d’éviter que ce nombre n’augmente : selon une étude de l’École des hautes études en santé publique (EHESP) publiée le 22 avril, plus de 60 000 décès auraient été évités du fait du confinement. D’après leurs calculs, si aucun confinement n’avait été mis en place, entre le 19 mars et le 19 avril, environ 600 000 personnes auraient dû être hospitalisées en plus de celles qui ont été admises à l’hôpital pendant le confinement, et les services de réanimation auraient dû accueillir plus de 140 000 malades supplémentaires, dépassant largement, d’environ 90 000 lits, la capacité de l’ensemble des services de réanimation. Une étude de l’Imperial College, plus prudente, fait état de 5 000 morts évités sur un mois.Mais le confinement a aussi un impact économique et social fort. Outre l’impact économique estimé par l’Insee (voir plus haut), qui devrait perdurer pendant de longs mois, la question du creusement des inégalités scolaires a été mise en avant, le 21 avril, par le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer pour encourager une réouverture progressive des écoles à partir du 11 mai, malgré les réticences du Conseil scientifique publié dans un avis la veille.

59 % des Français sont défavorables à une réouverture progressive des écoles et 7 parents sur 10 ne comptent pas envoyer au moins un de leurs enfants à l'école le 11 mai.

Entre 80 et 85 % des écoles rouvriront à partir du 11 mai, en ne dépassant pas les 15 élèves par classe pour l’élémentaire et 10 pour la maternelle : des mesures sanitaires strictes seront imposées, et les parents pourront avoir recours à un droit de retrait. Ces garanties n’ont pas suffi à dissiper les doutes au sein de la population : 59 % des Français sont défavorables à une réouverture progressive des écoles et 7 parents sur 10 ne comptent pas envoyer au moins un de leurs enfants à l'école le 11 mai selon un sondage réalisé par Odoxa le 6 mai. À partir de la semaine du 18 mai, les collèges des départements "verts" pourront accueillir à nouveau leurs élèves.

Conclusion

Le confinement, qui aura duré en France du 17 mars au 11 mai - date d’un déconfinement progressif et non total -, aura eu un impact positif sur la limitation de la propagation de l’épidémie, qui se sera concentrée dans quelques régions, notamment parce qu’elles ont subi des "clusters" du virus, des foyers comptant nombre de personnes contaminées. Mais il aura aussi eu un impact très marqué sur l’économie française, rentrée en récession au 1er trimestre 2020. L’amélioration progressive de la situation sanitaire globale a encouragé le gouvernement à procéder à une reprise de l’activité qui n’atteindra néanmoins pas son rythme de croisière avant plusieurs mois.

Le contexte politique dans lequel le confinement a été orchestré n’a pas facilité la compréhension de la population française, qui reste très critique à l’égard de l’exécutif, avec notamment trois pommes de discorde : le discours contradictoire sur les masques, le numérique et la réouverture des écoles. L’évolution de la situation dans les semaines à venir permettra de savoir si la "deuxième vague" redoutée par nombre d’épidémiologistes aura bien lieu : le cas échéant, le gouvernement se réserve la possibilité d’un second confinement pour freiner, à nouveau, la propagation du virus.

 

Copyright : VALERY HACHE / AFP

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