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05/07/2018

Les défis du nouveau président mexicain. Trois questions à Laurence Pantin

Les défis du nouveau président mexicain. Trois questions à Laurence Pantin
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Institut Montaigne

Dimanche 1er juillet dernier, les électeurs mexicains se sont rendus aux urnes pour élire leur nouveau Président, qui prendra ses fonctions le 1er décembre prochain. Ancien maire de Mexico, le candidat de la gauche Andrés Manuel López Obrador, emporte largement ce scrutin avec 53 % des voix, offrant une victoire historique à la gauche mexicaine. Laurence Pantin, du think tank Mexico Evalua, nous éclaire sur les enjeux et les conséquences de cette élection pour le Mexique et ses partenaires étrangers. 

Comment expliquez-vous la victoire historique du candidat de la gauche Andrés Manuel López Obrador aux élections présidentielles ?

Il convient tout d’abord de rappeler qu’il s’agissait de la troisième tentative d’Andrés Manuel López Obrador pour gagner la présidence. Certains analystes estiment que cela faisait en fait 12 ans qu’il était en campagne, ce qui, contrairement à ses rivaux, lui a donné l’avantage d’être très connu des électeurs avant même que ne débute la campagne officielle. En effet, si ses premiers spots officiels ne mentionnaient pas son nom, mais vantaient les mérites de “tu sais qui” (ya sabes quién), tout le monde savait de qui il était question.

Après son premier échec à la présidentielle - qui l’avait conduit à appeler ses partisans à bloquer l’avenue principale de la ville de Mexico pendant plus d’un mois et demi -, López Obrador, originaire de l’état de Tabasco et qui avait été maire de la capitale mexicaine, avait compris l’importance de parcourir chaque recoin du Mexique. L’objectif était double : se faire connaître de tous les habitants d’un pays très divers, aux grands contrastes et trois fois et demi plus grand que la France, mais également les écouter et comprendre leurs préoccupations (insécurité, corruption, inégalités), qui ont été au centre de son discours.

Bien plus charismatique que ses adversaires, López Obrador a également bénéficié d’un "ras-le-bol" généralisé vis-à-vis des élites politiques du pays, marquées par leur corruption et leur incapacité à enrayer la crise de violence et d’insécurité que subit le Mexique depuis plus de dix ans.

Finalement, la gauche était le seul secteur de la classe politique mexicaine qui n’avait jamais pu obtenir la présidence du pays, malgré l’alternance qui avait atteint la plus haute fonction du pouvoir exécutif en 2000. Cette victoire clôt ainsi le cycle de la transition démocratique mexicaine.

En quoi cette mutation du paysage politique peut-elle transformer le pays, notamment sur les enjeux majeurs de corruption et de sécurité auxquels est confronté le Mexique ?

C’est la question que tout le monde se pose. Sans aucun doute, le fait que sa coalition de partis dispose d’une majorité absolue à la Chambre des députés comme au Sénat donne à López Obrador une marge de manœuvre dont aucun de ses prédécesseurs n’avait bénéficié. Et, étant donné qu’il s’est présenté pendant sa campagne comme le symbole du changement et, en particulier, comme le champion du combat contre la corruption et contre les inégalités, ses électeurs attendent effectivement de lui qu’il transforme le pays. Avoir un Président qui place ces sujets au centre de ses priorités est déjà une grande transformation.
 
Cependant, comme souvent lors des campagnes électorales, López Obrador n’a pas donné beaucoup de détails sur son programme et a même parfois tenu des discours qui pouvaient sembler contradictoires en fonction de ses interlocuteurs. Il est donc difficile de prédire ce qu’il va vouloir mettre en œuvre et ce qu’il parviendra effectivement à réaliser.
 
Par ailleurs, l’insécurité et la corruption sont des problèmes de fond qui requièrent des réformes en profondeur, dont les résultats ne seront pas forcément immédiats. C’est notamment le cas du renforcement des polices locales, de la consolidation du Système National Anticorruption, mais également de la transformation du système politique, pour parvenir non seulement à sanctionner de façon exemplaire les responsables de cas de corruption, mais aussi à prévenir et réduire leur prévalence. López Obrador a déjà compris que son mandat de six ans sera court pour obtenir des résultats concrets et incontestables. C’est pourquoi, même s’il n’accèdera au pouvoir que le 1er décembre prochain, il a demandé aux membres de son équipe de transition et à ceux de son futur gouvernement - dont il avait annoncé la composition pendant sa campagne - de se mettre au travail à marche forcée dès aujourd’hui, car il souhaite faire en six ans ce que d’autres ne parviendraient à réaliser qu’en 12 ans.

Quel impact ce résultat peut-il avoir sur l’avenir des relations entre les Etats-Unis et le Mexique ?

 

En tant que candidat, López Obrador a fortement critiqué l’actuel gouvernement pour son manque de fermeté vis-à-vis de Donald Trump. Il a néanmoins déclaré souhaiter maintenir une relation productive et respectueuse avec les États-Unis et faire aboutir la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’un des principaux sujets de tension entre les actuels gouvernements des trois pays - Mexique, Etats-Unis et Canada. Il a également mentionné la possibilité de proposer aux États-Unis et au Canada une “alliance pour le progrès” en Amérique Centrale, qui permettrait de stimuler le développement et de réduire la migration au sein de cette région, autre point de friction avec le voisin du Nord.
 
Dans tous les cas, il ne faut pas oublier que López Obrador considère que "la meilleure politique extérieure est la politique intérieure". Cela signifie tout d’abord que sa priorité consistera à soutenir la croissance nationale afin de créer des emplois mieux rémunérés, diminuer l’émigration - même si le flux migratoire mexicain vers les États-Unis a déjà atteint son plus bas niveau depuis 40 ans - et renforcer la sécurité, ce qui contribuerait à relâcher les tensions avec les États-Unis. Mais cela correspond également à une volonté plus générale de revenir à la tradition de "non-intervention" qui a marqué la politique extérieure mexicaine de la deuxième moitié du XXème siècle.
 
Par ailleurs, la relation du prochain gouvernement avec les États-Unis ne dépend peut-être pas tant de la stratégie de López Obrador que de la volonté de Trump. Pour l’instant, les choses ont bien commencé puisque, depuis son compte Twitter, Trump a été l’une des premières personnes à féliciter López Obrador pour son triomphe (avant même que les résultats officiels ne soient publiés), qu’ils ont parlé par téléphone pendant une demi-heure le lendemain et que le chef de la diplomatie américaine, Mike Pompeo, doit rencontrer López Obrador la semaine prochaine. Les changements d’humeur de Trump peuvent cependant être abruptes et les réactions de López Obrador brusques, ce qui pourrait mettre en danger la relation bilatérale à plus long terme.
 

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