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19/05/2022

Législatives 2022 : scrutin hors-normes 

Trois questions à Bruno Cautrès

Législatives 2022 : scrutin hors-normes 
 Bruno Cautrès
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

La montée des extrêmes, la recomposition de la gauche, et la crise démocratique et institutionnelle remettent le palais Bourbon au centre du jeu politique. En amont des élections législatives des 12 et 19 juin prochains, l’Institut Montaigne s’engage à contribuer au débat public en éclairant les enjeux d’un scrutin déterminant pour l’avenir du pays et de ses formations politiques . Dans le deuxième épisode de cette série, nous interrogeons Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au CEVIPOF, à moins d’un mois du premier tour. 

Scrutin souvent négligé depuis la réforme constitutionnelle de 2000, les élections législatives des 12 et 19 juin prochains s’imposent aujourd’hui de manière inédite dans le débat public. De la cohabitation souhaitée par Jean-Luc Mélenchon et la NUPES, à la décomposition de la droite jusqu’au risque d’abstention, que peut-on attendre de cette élection ?

La réforme constitutionnelle de 2000 a entériné un nouveau calendrier électoral : le passage du septennat au quinquennat, et l’organisation dans la foulée du scrutin des législatives, a eu pour effet une marginalisation de l’élection pour le palais Bourbon. En effet, pour beaucoup, c’est une véritable "élection présidentielle à quatre tours" qui en a découlé. Ce constat se vérifie d’ailleurs dans les faits. Depuis l’adoption de ce nouvel ordre électoral, chaque élection législative a confirmé les résultats des présidentielles en donnant une majorité au président élu. 

Mais la situation de 2022 est différente à bien des égards. Déjà, Emmanuel Macron est devenu le 24 avril dernier, le premier président de la République à être réélu hors période de cohabitation, en faisant donc campagne sur son propre bilan. Cette situation n’est pas anodine pour les élections des 12 et 19 juin prochains. Ce qui en découle, ce sont des élections législatives qui (contrairement à celles de 2002 à 2017) prennent des allures de "match retour" pour certains partis politiques, confiants dans leurs ambitions de devenir l’opposition du président, et avec l’espoir peut-être d’imposer une cohabitation à Matignon. Un souhait déjà formulé dans l’entre-deux-tours par Jean-Luc Mélenchon, décidé à politiser et à médiatiser une élection qui est trop souvent reléguée au second plan. À moins d’un mois du premier tour, c’est une véritable "drôle d’élection" qui se profile, et qui marque sa singularité en quatre points. 

Le premier fait remarquable de ce début de campagne est sans doute la construction d’une union de la gauche autour de ce que la France Insoumise, le Parti Socialiste, Europe-Écologie-Les-Verts et le Parti Communiste ont décidé d’appeler la Nouvelle union populaire écologique et sociale (NUPES). L’appel émis par Jean-Luc Mélenchon à "l’élire Premier ministre", et la construction d’une union sans précédent autour du parti qu’il a fondé en 2016, constitue un véritable coup de maître politique. Jean-Luc Mélenchon est parvenu à transformer sa défaite électorale à la présidentielle en victoire politique ! Il a, pour le moment, vampirisé l’actualité de la campagne des législatives et cadré le terrain de celle-ci autour d’un enjeu : cantonner Emmanuel Macron à un rôle de président de cohabitation. Le cadrage politique qui en résulte, pour la gauche du moins, place bel et bien Jean-Luc Mélenchon en position de force. Le score du leader de la France Insoumise au premier tour (22 %) lui a permis d’imposer son agenda aux autres formations de gauche et a consacré une nouvelle idée de l’unité à gauche. Là où la Primaire Populaire de février dernier avait tenté de construire une union au-dessus des partis, la NUPES a imposé une union de la gauche derrière le parti qui a rassemblé le plus grand nombre de voix au cours de l’élection présidentielle. Quel que soit le succès de sa démarche en juin prochain, la volonté affichée de Jean-Luc Mélenchon constitue déjà en-soi une victoire pour le troisième homme de l’élection présidentielle. 

La deuxième originalité de cette campagne est liée à sa temporalité. Déjà, il faut souligner qu’elle durera deux semaines de plus que les élections législatives précédentes, ce qui est loin d’être anodin au regard des dynamiques politiques en cours. Ce rapport au temps est également manifeste du côté de l’exécutif, où Emmanuel Macron se veut une fois de plus le "maître des horloges", selon l'expression consacrée. Alors que beaucoup l’attendaient au tournant au lendemain de sa réélection et pensaient voir s’ancrer sa volonté de "gouverner autrement" dans la nomination rapide d’un Premier ministre, le président de la République en a voulu autrement. Certains ont même vu dans ce "temps long" le présage d’un projet d’ampleur, qui passerait par la création de portefeuilles ministériels ambitieux à même de porter les enjeux prioritaires des prochaines années - tels que l’écologie ou le pouvoir d’achat - et dont le Premier ministre serait le personnage central. Le lundi 16 mai, Emmanuel Macron a donné les clés de Matignon à Élisabeth Borne, elle qui a déjà été chargée de trois ministères sous son précédent quinquennat. La tâche qui l’attend est considérable, elle qui devra assumer la planification écologique, et aussi, ne l’oublions pas, les lois de finances à l’automne prochain. Reste désormais à savoir si la personne d’Élisabeth Borne rassemblera derrière elle les électeurs d’Ensemble ! (rassemblement de La République en Marche, MoDem, Horizons, Territoires de progrès) en juin prochain. 

C’est une élection législative qui prend des tournants de "match retour" pour les partis politiques

Une autre particularité de cette "drôle d’élection" c’est la disparition des radars de Marine Le Pen au lendemain du 24 avril. On aurait pu penser que, forte de sa deuxième qualification au second tour de la présidentielle et compte tenu du renforcement de son ancrage territorial, la candidate du Rassemblement national (RN) engagerait une dynamique pour les élections du palais Bourbon. Pourtant, l’atonie actuelle du parti est tout à fait surprenante, d’autant que le système électoral majoritaire pourrait jouer en sa défaveur. On s’attend néanmoins à voir fortement augmenter le nombre de sièges de députés obtenus par le RN qui va sans doute pouvoir, à minima, constituer un groupe parlementaire à l’Assemblée nationale (ce qui demande d’obtenir au moins 15 députés quand le RN n’en a que 8 aujourd’hui). 

Dernier constat : cette campagne est marquée par la crise d'identité qui sévit toujours chez Les Républicains (LR) - qui, il faut le souligner, était la première force d’opposition au Parlement sur la législature qui se termine en juin. Le parti fondé en 2015 par Nicolas Sarkozy semble aujourd’hui en position d’attente, espérant sans doute que les résultats des 12 et 19 juin prochains leur permettent de résoudre ce questionnement existentiel. Si le groupe autour du Président Macron ne devait pas disposer d’une majorité, LR pourrait décider de prendre part, d’une certaine manière, au projet présidentiel. Dans ce scénario, et avec l’arrivée de la NUPES, le clivage gauche/droite prendrait un nouveau tournant. Pour autant, la crise de leadership du parti ne sera sans doute pas résolue dans les prochaines semaines : le successeur de Christian Jacob, président des Républicains, devrait être désigné à l’automne prochain. 

Force est de constater que, compte tenu de ces quatre axes structurants, les élections prochaines s’écartent du scénario de 2017, au cours duquel le momentum de La République en marche avait consacré l’élection d’Emmanuel Macron deux mois plus tôt.

S’agissant des sondage enfin, à moins d’un mois du premier tour, ils nous permettent de capter les grandes tendances de l’opinion publique et confirment la coexistence de trois blocs : la majorité présidentielle, la gauche, désormais sous la bannières NUPES, et l’extrême droite portée par Marine Le Pen. Toutefois, deux points doivent être soulignés. Déjà, la campagne est encore devant nous - sa date officielle de lancement est le 20 mai - et l’on sait à quel point le temps d’une campagne est long. La nomination d’Élisabeth Borne à Matignon n’est qu’un des facteurs qui pourrait peser en amont du scrutin. L’union autour de la NUPES, qui permet à la gauche de jouir d’une belle visibilité, pourrait aussi avoir le temps de montrer ses premières failles, au moment où certains "éléphants" du Parti socialiste dénoncent l’accord. Ensuite, dans le cadre des élections législatives il est important de souligner que le transfert des voix en sièges n’est pas évident. Les estimations données à l’heure actuelle offrent des fourchettes assez larges, d’autant que les intentions de votes prises en compte sont nationales et non par circonscription, ce qui fausse l’analyse. Méthodologiquement, il y a un réel pas à franchir pour aller de la présidentielle aux législatives. 

Dans une tribune du journal Le Monde, vous insistiez sur la "tectonique des plaques des partis politiques", tout en soulignant l’existence de 4 axes idéologiques disputés par plusieurs partis. Comment définir le système des partis et quels éléments caractérisent aujourd’hui un parti dans notre pays ?

Il convient de revenir aux sources de cette tectonique des plaques. Elle s’enracine, d’abord, dans une tendance de long terme. Dans cette perspective, l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 est un effet plus qu’une cause du changement. Cette dynamique commence en 1980 avec les scissions qui minent les partis politiques français autour des questions de la place de la France dans l’Europe, voire même dans le monde, et le modèle qu’elle doit adopter dans ce contexte. Ces débats se sont illustrés avec la naissance de la "deuxième gauche" sous Michel Rocard, et dans l’opposition à droite entre le RPR et l’UDF. Mais ces transformations de l’écosystème politique français peuvent aussi être analysées dans le plus court terme. Ici, Emmanuel Macron est plutôt la cause que l’effet. La création d’un bloc central, désormais appelé Ensemble !, a concrétisé le "rêve giscardien" qui visait déjà dans les années 1970 à bâtir une France de classe moyenne structurée autour d’une grande constellation centrale. À cet égard, la coexistence de trois blocs est plutôt une bonne nouvelle démocratiquement parlant, offrant deux pôles de confrontation au président de la République. 

La question est de savoir si les élections de juin prochain stabiliseront les différents camps de la vie politique française autour des trois pôles qui ont émergé du scrutin présidentiel, à savoir une gauche autour de Jean-Luc Mélenchon, une extrême-droite personnifiée par Marine Le Pen, et un courant centriste dont Emmanuel Macron est le représentant. D’autant que la limite des mandats imposée au président réélu va forcer les partis politiques à adopter des stratégies en vue de l’élection de 2027. Sa sortie progressive du champ posera inéluctablement la question de son successeur, un sujet que l’on verra poindre dans la majorité très vite, sans doute dès la mi-mandat.. Progressivement, cela poussera les alternatives à davantage rechercher la crédibilité gouvernementale et l’affirmation de projets alternatifs.

La question est de savoir si les élections de juin prochain stabiliseront les différents camps de la vie politique française.

Cette perspective pourrait alors être le point d’orgue d’une recomposition politique qui aura pris plus de 10 ans.

Au lendemain du second tour, vous mettiez en avant la nouvelle assise territoriale politique en France, en plus de sa division entre une échelle locale et une échelle nationale. Peut-on aujourd’hui parler d’une France "archipel", voire une France irréconciliable, dont les territoires ne parlent plus entre eux et ne coexistent plus politiquement ?

Il est certain qu’il y a des fractures territoriales dans notre système politique. Il suffit de regarder la corrélation entre les géographies électorales et les géographies socio-économiques. Depuis deux ans, dans le cadre du Baromètre du Cevipof, nous posons la question suivante à un panel représentatif : "diriez-vous que la France est une nation unie, ou plutôt un ensemble de communautés juxtaposées qui vivent les unes à côté des autres ?". Au vu des résultats, il est vrai que, subjectivement, les Français ont davantage le sentiment aujourd’hui que leur pays est morcelé. Du point de vue des perceptions, donc, l’idée d’une division est ancrée dans l’imaginaire collectif. 

Néanmoins, il faut être prudent sur l’échelle d’analyse. La littérature en matière de géographie électorale met d’ailleurs en avant que la coupure entre métropoles et périphéries n’est pas forcément une confrontation entre deux pôles irréconciliables. En outre, il faut souligner qu’au sein même des métropoles il existe de réelles divisions, qu'elles soient économiques, sociales ou politiques

Ce constat avait déjà été dressé avec le Baromètre des territoires de l'Institut Montaigne, dans lequel nous montrions l’importance des clivages sociologiques et territoriaux tout en insistant sur le fait que la France n’était pas faite de territoires qui ne communiquent plus ensemble. Le travail de recherche mené a permis de souligner qu’il n’existait pas dans notre pays des régions où tout allait bien et d’autres dans lesquelles tout allait mal. Certes, la géographie électorale montre de réelles différences entre nos territoires. Néanmoins, on ne peut pas dire que la France soit caractérisée par des territoires irréconciliables entre eux. 

 

Copyright : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

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