L’évacuation des ressortissants étrangers d’Afghanistan s’est achevée le 31 août, dans des conditions de sécurité difficiles, marquées par un attentat meurtrier. Si la Chine, qui avait effectué son opération de rapatriement un mois plus tôt, n’a pas eu à subir cette séquence, la sécurité des ressortissants chinois en Afghanistan et dans la région sera un facteur déterminant de l’avenir de ses relations avec les Talibans au pouvoir.
Au cours des dernières années, l’Afghanistan a joué un rôle crucial dans l’élaboration de la politique menée par la Chine pour protéger ses ressortissants à l’étranger, politique que nous analysions dans un livre publié en 2015. La mort de onze Chinois dans une attaque à Kunduz en 2004 avait alors fait office de tournant. Depuis cet incident et d’autres de même nature, Pékin a fait de la sécurité de ses ressortissants à l’étranger une priorité, notamment en obtenant des engagements de la part des pays concernés ou en menant des évacuations. Le rapatriement de ses ressortissants d’Afghanistan cet été est ainsi la dix-huitième opération de ce type menée par la Chine depuis 2006. La plupart ont été effectuées par des moyens civils - par ferry ou charter. La Chine a toutefois mobilisé l’Armée populaire de libération par deux fois : en Libye, en 2011, avec l’implication de l’armée de l’air et de la marine, et au Yémen, en 2015, où la marine a pris en charge l’essentiel des opérations. L’échelle de l’évacuation libyenne, avec 36 000 ressortissants alors exfiltrés, est aujourd’hui sans équivalent, mais ces opérations constituent désormais la réponse chinoise standard à des crises sécuritaires à l’étranger.
Sur le plan diplomatique, l’enjeu de protection des intérêts de la Chine lors de changements de régimes a transformé son approche traditionnelle de la non-ingérence. Auparavant, la Chine privilégiait jusqu'au bout les relations bilatérales de gouvernement à gouvernement, avec de très rares contacts avec les forces d'opposition, ce qui rendait la défense de ses intérêts vulnérable en cas de transition brutale. Ces dix dernières années, la diplomatie chinoise a progressivement gagné en anticipation et en souplesse, se rapprochant volontiers des forces d’opposition pour se prémunir contre les aléas propres aux changements de régime. Le dossier afghan l’a de nouveau démontré. La rencontre du 28 juin dernier entre le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi et le président de la Commission politique des Talibans afghans, le Mollah Abdul Ghani Baradar, appelé à jouer un rôle central dans un gouvernement mené par les Talibans, est le point culminant des efforts diplomatiques de la Chine vis-à-vis du mouvement islamiste.
À ce moment-là, les États-Unis considéraient encore qu’il était impossible que les Talibans prennent le pouvoir si rapidement. Lorsque le Mollah Baradar est reçu en Chine, en juin dernier, Wang Yi obtient des Talibans la garantie qu’ils ne "laisseront jamais une quelconque force utiliser le territoire afghan pour fomenter des actions contre la Chine". Le dirigeant taliban indique quant à lui qu’il espère que la Chine puisse "jouer un rôle plus important dans les efforts de reconstruction et de développement économiques à venir", promettant de créer un "environnement d’investissement favorable".
Rapatrier ses ressortissants à temps
La Chine a montré la même capacité d’anticipation en matière de protection de ses ressortissants. Le 21 juin, une semaine avant la réunion entre Wang Yi et les Talibans, le ministre des Affaires étrangères appelle alors tous ses compatriotes en Afghanistan à quitter le pays. Le 2 juillet, un vol charter décolle de Kaboul, évacuant 210 citoyens chinois vers Wuhan. En 2011, les Chinois évacués de Libye avaient été célébrés à leur retour au pays comme un glorieux succès de politique étrangère, symbolisant l’efficacité de la Chine et son statut de grande puissance. Cette fois, les médias chinois sont restés plutôt discrets sur un sujet sensible qui touche à la sécurité du Xinjiang, tout en soulignant malgré tout les cas de Covid-19 importés par les rapatriés.
Les membres de l’équipage du vol avaient, selon les médias, été choisis parmi "des cadres du parti présentant un haut niveau de conscience politique". L’avion a dû stationner une journée entière sur le tarmac pour attendre les 70 citoyens chinois qui rencontraient des difficultés à rejoindre la capitale ; ce fut là une péripétie complexe et risquée, mais avec un degré de dangerosité moindre comparé aux évacuations menées au mois d’août, conduites sous la menace constante d’attaques terroristes de grande ampleur de la part de la branche afghane de l’État islamique.
À l’inverse de nombreux pays occidentaux, il semble que la Chine n’a procédé à aucune expatriation d’Afghans ayant travaillé pour ses intérêts, ou dans une perspective humanitaire. L’histoire récente suggère que les médias chinois se seraient saisis de telles évacuations pour souligner la bienveillance de la puissance chinoise. Ce fut le cas en 2015 au Yémen, lorsque la marine chinoise avait évacué des ressortissants étrangers, y compris des citoyens allemands et pakistanais, les médias chinois présentant alors la puissance navale chinoise comme un bien public mondial.
Mais si la Chine n’a pas cherché à évacuer de ressortissants afghans avant la prise de Kaboul, ce n’est pas seulement parce que la prise de la capitale par les Talibans n’était pas encore écrite, mais aussi par souci de cohérence avec l’approche chinoise à l’égard des Talibans, qui consiste à accorder du crédit à leur promesse de former "un gouvernement ouvert et inclusif pour l’Afghanistan et de prendre des actions responsables afin de protéger la sécurité des citoyens afghans et des missions diplomatiques étrangères". Par conséquent, l’ambassade chinoise fonctionne toujours, démontrant la confiance, au moins relative, que Pékin place dans les garanties obtenues des Talibans en matière de sécurité. Le nombre exact de citoyens chinois toujours en Afghanistan n’est pas connu, mais le ministère évoque une "présence composée d’individus restés de leur propre chef".
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