Il est intéressant de noter que si le contre-terrorisme est la priorité des services de renseignement français (selon la très officielle Stratégie nationale du renseignement parue au mois de juillet 2019), il ne figure qu’au quatrième rang des sept priorités fixées à la communauté américaine (la National Intelligence Strategy de 2019 met en tête de ses préoccupations le renseignement stratégique).
Pour ce qui concerne la lutte antiterroriste, Homeland et le BDL ont des approches très différentes. Approches qui révèlent d’une certaine manière les conceptions de la CIA et de la DGSE, et au-delà, des communautés américaines et françaises du renseignement en matière de lutte antiterroriste. Approches qui exposent également les visions américaine et française de la menace terroriste. Si l’on excepte les épisodes de la 7e saison qui traitent des ingérences russes, de la tentative d’assassinat de la Présidente des États-Unis et d’une grave crise interne au sein de la CIA (trois sujets parfaitement crédibles), Homeland raconte une histoire qui est une sorte de 11 septembre 2001 qui se finit bien. En effet, la menace mise en scène est tout aussi inconcevable - et même davantage - que les attaques du 11 septembre et fait l’objet, elle aussi, d’une préparation au long cours très sophistiquée. L’inimaginable apparaît à l'écran : un Américain, dont la conversion à l’islam terroriste est secrète, s’apprête à accéder à la vice-présidence, donc à la Maison Blanche. Voilà un scénario tout aussi rocambolesque qu’effrayant. Bien plus improbable que les attaques du 11 septembre 2001 pour lesquelles les services de renseignement américains disposaient d’une quantité de signaux non seulement faibles, mais forts. Autre similitude, le fait d’atteindre le cœur de l’Amérique : les Twin Towers revêtaient une dimension symbolique considérable pour le monde entier et la Maison Blanche est le cœur de la puissance des États-Unis. Mais un 11 septembre qui se finit bien, comme toute superproduction américaine, car si le vice-président finit par être assassiné après une première tentative ratée - et non pas déjouée par la CIA -, même si un attentat commis à Langley (le siège de la Centrale) tue 219 personnes, le complot islamiste ne parvient pas à toutes ses fins. Car malgré tous leurs défauts, tant l’héroïne, avec l’aide de certains de ses collègues, et la CIA elle-même, parviennent à faire triompher le bien du mal. L’Amérique est sauve. Homeland est ainsi une revanche symbolique sur le 11 septembre (les États-Unis sont atteints, mais ses services de renseignement sont actifs, luttent contre l’ennemi, alors qu’en 2001 ils ont assisté, impuissants, à une tragédie), sur al-Qaïda (qui gagne des batailles mais perd la guerre) et sur Ben Laden (dans la série, Abu Nazir, le chef du complot, est assez rapidement neutralisé et est un individu éduqué, voire raffiné, contrairement à Ben Laden, ce qui fait de lui un adversaire digne de l’Amérique).
Le Bureau des légendes raconte une histoire bien différente, plus subtile, plus intéressante, plus réaliste, même si le scénario n’est pas avare d’invraisemblances, spectacle et audiences obligent. En effet, si le BDL raconte la lutte contre le terrorisme islamiste, il montre bien d’autres aspects de l’activité supposée de la DGSE : la contre-prolifération, en l’occurrence la nécessité d’entraver les ambitions iraniennes dans le domaine du nucléaire militaire ; le contre-espionnage - le meilleur et plus vieux allié de la France, les États-Unis, étant bien indélicats en menant une opération d’infiltration de la Piscine (l’un des surnoms de la DGSE) - ; et son aisance à agir dans le cyberespace. Ce dernier aspect n’est pas anecdotique : activité peu spectaculaire (des geeks devant leur clavier), le cyber renseignement, à des fins de contre-ingérence ou pour mener des opérations offensives, est devenue une part importante de l’activité des grands services de renseignement. Une autre différence essentielle sépare Homeland du BDL : la vision du monde, des rapports entre les nations, et partant, des manières de travailler de leurs services de renseignement extérieur que ces deux séries véhiculent. Dans Homeland, le combat se déroule entre le bien, incarné par les États-Unis, et son héroïne solitaire, Carrie Mathison et le mal, al-Qaïda. Rien d’autre, pas de pays amis ou alliés, pas de services de renseignement partenaires - le BND allemand apparaît dans quelques épisodes, mais ne joue aucun rôle notable -.
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