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27/03/2020

Le Covid-19 au Brésil, variations sur le thème de l’incompétence

Le Covid-19 au Brésil, variations sur le thème de l’incompétence
 Olivier Dabène
Auteur
Professeur de science politique à l'Institut d'Études Politiques de Paris (Sciences Po)

Jair Bolsonaro semble goûter au plaisir d’une singulière compétition dans les Amériques. Entre lui et Donald Trump, c’est à qui ira le plus loin dans le déni de réalité concernant le Covid-19. En effet, depuis le 26 février, date à laquelle a été révélée la première infection au Brésil (et en Amérique latine), le président brésilien n’a eu de cesse de minimiser l’importance de la menace sanitaire et de ridiculiser ses compatriotes qui, selon lui, cédaient à la panique.

Le 15 mars, à l’occasion d’une manifestation contre les institutions qu’il soutient, Bolsonaro prend un bain de foule à Brasilia, afin de montrer qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. "Si je ne suis pas mort d’un coup de couteau, je ne vais pas mourir d’une petite grippe", déclare-t-il à ses détracteurs, en référence à l’agression subie pendant sa campagne électorale en 2018. Les images du président entouré de ses supporters provoquent un énorme scandale dans le pays. De nombreuses voix s’élèvent pour critiquer son irresponsabilité et réclamer sa destitution. Le 17 mars, un concert de casseroles (panelaço) témoigne de la montée de l’insatisfaction, comme à l’époque des manifestations appelant à la destitution de Dilma Rousseff en 2016. Depuis, la courbe des personnes infectées par le virus révèle une progression géométrique, mais rien n’y fait. Bolsonaro a recours à la même rhétorique agressive et insultante qu’il avait inaugurée pour pourfendre l’accord de Paris sur le changement climatique en 2019.

De nombreuses voix s’élèvent pour critiquer son irresponsabilité et réclamer sa destitution.

En l’absence de leadership et de décisions du président, les gouverneurs des États et les maires des grandes villes prennent des initiatives pour suivre les consignes de l’OMS de confinement et distance sociale. Ils cherchent notamment à freiner la mobilité des Brésiliens à l’intérieur du pays. Ces mesures sont qualifiées d’"hystériques" par Bolsonaro qui accusent les gouverneurs de pénaliser l’économie.

Lorsque le gouverneur de l’État de São Paulo, João Doria, décrète une quarantaine de deux semaines et ferme les centres commerciaux et les offices religieux, Bolsonaro s’énerve : "L’État ne peut pas empêcher de se réunir les groupes religieux", et il accuse Doria d’être en campagne électorale. Le maire de São Paulo, Mario Covas, décrète quant à lui l’état d’urgence sanitaire dans la capitale économique du Brésil, épicentre du virus.

À l’image de Trump, plus préoccupé par la santé économique que par celle de ses concitoyens, Bolsonaro signe le 23 mars un décret autorisant les entreprises à suspendre le versement de salaires pendant 4 mois, provoquant l’émoi des travailleurs. Le mimétisme avec Trump l’amène à accuser la Chine d’avoir masqué la vérité, ce qui provoque un incident diplomatique.

Le 24 mars, alors que les chiffres officiels font état de 46 morts et 2200 personnes infectées, le président Bolsonaro tient des propos ahurissants à la télévision. Il semble s’adresser à sa base de soutien radicalisée bien plus qu’aux Brésiliens. Se voulant rassurant ("le virus est arrivé, nous l’affrontons et très vite il passera"), il conjure ses concitoyens de ne pas céder à la panique, et annonce qu’il faut "revenir à la normalité". Puis il enjoint le "petit nombre d’autorités étatiques et municipales d’abandonner le concept de la terre brûlée, la politique d’interdiction des transports, la fermeture des commerces et le confinement de masse", au moment où son ministre de la Santé s’emploie à convaincre les Brésiliens de rester chez eux. Il termine en se montrant bravache : "pour ce qui me concerne, au cas où je serais infecté, ne vous en faites pas, ce sera juste une petite grippe, un petit refroidissement".

Comment comprendre un tel comportement ? Bolsonaro semble déjà en campagne électorale, alors que les élections auront lieu en octobre 2022.

En 2019, pour la première année de son mandat, il a vu fondre ses soutiens à mesure que les chiffres économiques montraient une croissance atone (1,1 % en 2019). En ce début d’année 2020, le prix des matières premières, et notamment du pétrole, n’incitaient pas à l’optimisme concernant la croissance à mi-mandat. Le coronavirus a bousculé tous les pronostics, en provoquant d’ores et déjà la sortie de 12 milliards de dollars en 2 mois. La monnaie s’est aussi dépréciée à un niveau historique. La posture de Bolsonaro à l’occasion de la crise vise d’abord et avant tout à stimuler ses soutiens, toujours galvanisés par la rhétorique provocatrice et la désignation d’ennemis.

La posture de Bolsonaro à l’occasion de la crise vise d’abord et avant tout à stimuler ses soutiens, toujours galvanisés par la rhétorique provocatrice et la désignation d’ennemis.

Mais ce qui se joue à l’occasion de la crise va au-delà de la préparation anticipée des joutes de campagne électorale. Bolsonaro a réussi en très peu de temps à faire converger toutes les oppositions. Son vice-président (Hamilton Mourão), les présidents des deux chambres fédérales, plusieurs ministres (dont des militaires), les 27 gouverneurs, la finance, les maires des grandes villes, la rue : tous sont contre lui. Même si le "tous contre moi" ne lui déplait pas, cette situation annonce une deuxième partie de mandat conflictuelle, et une vraisemblable fin de partie pour la droite radicale brésilienne.

Le pacte fédéral brésilien est tout spécialement affecté. Les gouverneurs suivent les instructions de l’OMS et ignorent les injonctions du président. Le gouverneur de São Paulo, Doria, est en première ligne (et en campagne). Sa façon d’interpeller le président ("Président, je vous demande de faire preuve de sérénité, calme et équilibre") a suscité une réponse ferme : "gardez vos conseils pour 2022 quand vous pourrez distiller votre haine et votre démagogie". Le fédéralisme est moins coopératif que jamais.

Rien ne prédestinait le Brésil à une telle réaction incohérente à l’arrivée du coronavirus. Le Brésil possède en effet une riche expérience en matière de réponse aux crises épidémiologiques (Dengue, Zika, Chikunguña). Son système de santé est très inégalitaire, mais les soins sont offerts à tous grâce au Système unique de santé (SUS) et le personnel médical est de qualité. Dans la course contre la montre qui est engagée contre le virus, le président Bolsonaro représente un véritable handicap pour son pays. Reste à savoir s’il en paiera le prix politique.

 

Copyright : CARL DE SOUZA / AFP

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