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22/04/2021

Le Brésil, au cœur d’un marasme sanitaire et économique

Trois questions à Gaspard Estrada

Le Brésil, au cœur d’un marasme sanitaire et économique
 Gaspard Estrada
Directeur exécutif de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes à Sciences Po

Le Brésil vit aujourd’hui une situation sanitaire absolument dramatique. Alors que le pays enregistre jusqu’à 4 000 morts du Covid-19 par jour et que la campagne de vaccination avance lentement, le Président Jair Bolsonaro, de plus en plus isolé sur la scène internationale, est attaqué pour sa gestion de l’épidémie. Le variant P1 qui sévit actuellement a fait du pays un paria international. À cela s'ajoute un risque d’effondrement économique qui ne fait qu’enfoncer le pays dans un profond marasme. Le récent remaniement ministériel acté par Bolsonaro promet-il une meilleure gestion de la crise ? Gaspard Estrada, directeur de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes à Sciences Po nous livre son analyse de la situation sanitaire critique au Brésil.

Le Brésil vit le pire moment de son épidémie de Covid-19. Le nombre de décès quotidiens dépasse désormais celui des États-Unis (près de 375 000 victimes liées au Covid-19) et le pays fait figure de principal foyer du Covid-19 sur la planète. Comment le pays fait-il face à cette situation totalement hors de contrôle ? 

Le Brésil vit aujourd’hui une catastrophe sanitaire, favorisée par le gouvernement de Jair Bolsonaro. Ce dernier, en promouvant le non-respect des règles de distanciation sociale, en étant dans un état de déni vis-à-vis de la pandémie, contribue à renforcer tant le nombre des contaminations que celui des décès. La situation est aujourd’hui absolument dramatique. Il y a déjà plus de 375 000 morts au Brésil, un chiffre effrayant - 66 800 décès rien qu’en mars, soit plus du double du mois précédent. Le système de santé est débordé pratiquement partout dans le pays. Le taux d’occupation des services de soins intensifs dépasse les 90 %, dans 17 états, alors que des centaines de malades meurent sans avoir le temps de se voir attribuer un lit et prescrire des soins. 
 
A cela s’ajoute un profond marasme économique. Bolsonaro privilégie ouvertement dans son discours l’économie face à la santé. Il a encore récemment déclaré que "le Brésil doit retourner au travail". Dans les faits, en menant toutes ces campagnes de dénigrement des médecins, en assumant ce déni sanitaire, le président contribue également à miner l’économie de son pays. Sans campagne de vaccination efficace et sans mesures de distanciation sociale, l’économie brésilienne ne pourra pas reprendre son activité normale. Sa politique est donc contre-productive et va vers l’impasse, puisque si la santé ne s’améliore pas, l'économie n’ira pas de l’avant. En 2020, le pays avait réussi à limiter les dégâts économiques, en mettant en place un programme de subvention d’urgence ("auxilio emergencial") bénéficiant près de soixante-dix millions de personnes, mais coûtant en parallèle 12 % du PIB. Aujourd'hui le Brésil n’est plus en mesure de financer de telles politiques pour éviter une contraction économique, laissant augurer une année économique morose en 2021. 

Bolsonaro privilégie ouvertement dans son discours l’économie face à la santé.

Enfin, le président fait face au retour de l’ancien Président Lula dans l’arène politique, à la suite de l’annulation de ses condamnations par la justice. L’opposition a désormais un visage dans la perspective des présidentielles de 2022.

L’Anvisa a autorisé le 17 janvier l’usage du vaccin anti-Covid au Brésil, après des mois de "sabotage" par le Président Jair Bolsonaro et son ancien ministre de la Santé Eduardo Pazuello. Bolsonaro promet aujourd’hui l’immunisation de l’ensemble de la population d’ici la fin de l’année, des paroles qui en laissent plus d’un sceptique. Qu’en est-il vraiment de la campagne de vaccination au Brésil face à cet antivaccin notoire, mais aussi face au nouveau variant amazonien ?

Historiquement, le Brésil est un pays qui, sur le plan sanitaire, est équipé pour faire face aux épidémies, autant sur le plan de la recherche et du développement que sur celui de la distribution et de l’application des vaccins. Ceci est dû à l’existence de deux Instituts, Fiocruz et Butantan, ainsi que grâce au programme national d'immunisation créé durant la dictature militaire. Or, les actions entreprises par le gouvernement de Jair Bolsonaro ont nui à l’action de ces laboratoires dans leur travail de recherche. Par ailleurs, en négligeant d’entamer des négociations avec les grands laboratoires pharmaceutiques internationaux en 2020, le Brésil s’est retrouvé sans suffisamment de vaccins au début de l’année 2021, retardant d’autant plus le lancement de la campagne de vaccination. Ainsi, Jair Bolsonaro a laissé son pays sombrer dans le chaos. 

Le démarrage hasardeux de la campagne de vaccination au Brésil est également dû aux entraves posées par Bolsonaro à la coordination entre gouvernement fédéral et collectivités locales. De fait, la montée en puissance de la campagne de vaccination reste poussive : 8 millions de personnes sont déjà vaccinées, soit seulement 3,8 % de la population.

L'émergence d’un variant local du virus en février, dénommé "P1", n’a fait qu’aggraver la situation. Considéré comme plus contagieux et plus mortel, il poursuit sa propagation foudroyante à travers le pays, et préoccupe médecins et scientifiques, du fait de sa résistance au vaccin et de sa capacité de propagation. À ce jour, près de 92 nouvelles souches du Covid-19 ont été identifiées au Brésil, faisant du pays une gigantesque usine à variants. Le variant P1 aura vraisemblablement des conséquences désastreuses sur la santé des brésiliens, mettant en péril la lutte contre l’épidémie dans le reste du monde, ce à quoi certains pays comme la France ont riposté, fermant leurs frontières au Brésil. 

Dans un billet publié en mars 2020 sur notre blog - Le Covid-19 au Brésil, variations sur le thème de l’incompétence - le Brésil, pourtant historiquement "fort" en matière de réponse aux crises épidémiologiques, était déjà handicapé par Jair Bolsonaro. Le remaniement de son gouvernement aujourd’hui, notamment avec la nomination d’un nouveau ministre de la santé, Marcelo Queiroga, est-il signe d’espoir vers une meilleure gestion de la crise ? 

Le pouvoir de Bolsonaro est aujourd'hui dans la tourmente. À mi-mandat, le président fait face à une popularité déclinante. Blâmé pour sa gestion catastrophique de la pandémie, seuls 18 % des Brésiliens jugent positivement sa gestion de la pandémie, selon l’institut XP-Ipespe. Le sénat brésilien a d’ailleurs lancé une mission d’enquête parlementaire mi-avril sur la gestion de la crise par le président. Toutefois, Bolsonaro conserve un socle électoral conséquent, qui évolue entre 25 % et 30 % de l’électorat. 

Blâmé pour sa gestion de la crise, seuls 18 % des Brésiliens jugent positivement la gestion de la pandémie du Président Bolsonaro. 

L’obsession de Bolsonaro est d’éviter l’ouverture d’une procédure de destitution à son encontre. Cette menace est-elle réelle ? À court terme, la réponse est non. Toutefois, les piliers de l’action gouvernementale - à savoir, le soutien de l’armée, des milieux d’affaires, et des églises évangéliques - s’étiolent progressivement. Le limogeage le 29 mars du général Fernando Azevedo e Silva, ministre de la défense, a entraîné la démission immédiate de trois commandants des trois forces - Armée de Terre, de l’Air, et de la Marine. Cette démission collective a ébranlé le lien entre Bolsonaro et l’establishment militaire, qui dispose de plus de 6 000 postes au sein de la haute administration, ainsi que du tiers des postes ministériels. Le président, pensant faire acte d’autorité, s’est au contraire tiré une balle dans le pied. 

De plus, le retour sur la scène politique de l’ancien président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva, qui a retrouvé ses droits politiques en mars, met également Bolsonaro sous pression. Vilipendé et critiqué par ses alliés, il est devenu un paria sur la scène internationale. Plus que jamais isolé, il a tenté de reprendre la main en remaniant son gouvernement. Sans succès pour autant. La nomination du cardiologue Marcel Queiroga en tant que nouveau ministre de la santé - le quatrième en l'espace de 12 mois - ne fera pas évoluer structurellement cette situation. Quand bien même ce dernier pourrait apporter davantage de cohérence à la campagne de vaccination en cours, le Brésil tardera à sortir de l’état d’urgence sanitaire dans lequel il se trouve. 

 

Copyright : EVARISTO SA / AFP

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