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01/04/2021

La sortie du PPE de Fidesz réduira l’influence hongroise au sein de l’UE

La sortie du PPE de Fidesz réduira l’influence hongroise au sein de l’UE
 Péter Krekó
Auteur
Directeur de l’Institut Political Capital et chercheur au CEPA

Début mars, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a annoncé qu’il retirait le parti de droite Fidesz du Parti populaire européen (PPE), le groupe parlementaire de centre-droit au Parlement Européen. Cette décision intervient après que le PPE ait changé ses règles internes pour pouvoir exclure des partis susceptibles d’affaiblir le pouvoir judiciaire et les libertés individuelles. Orbán a retiré ses parlementaires européens du groupe avant que le PPE ne puisse les expulser. 
 
Bien que cette astuce ait évité un renvoi spectaculaire, la décision d’Orbán a de grandes chances de modifier l’influence qu’a la Hongrie - et qu’a Orbán lui-même - au sein de l’UE
 
Tout d’abord, il est probable que le Fidesz gravite désormais aux frontières du paysage politique européen, quelque chose qu’Orbán avait par le passé pris le soin d’éviter. Orbán a une vision cynique de la politique étrangère : il considère que seuls les intérêts matériels déterminent le rang et l’influence au sein de l’UE. Ceci lui a permis de maintenir le Fidesz dans le PPE au cours des dix dernières années. Mais cela ne suffit plus aujourd'hui : le fait que des entreprises allemandes aient des intérêts économiques en Hongrie n'entraînera pas un soutien automatique des parlementaires européens allemands. Orbán voulait clairement que le Fidesz reste dans le PPE, mais il s’est fait déjouer par ses propres manœuvres. 

Une solution afin de contrer cette perte d’influence serait que le Fidesz forme une alliance avec le PPE, similaire à celle que le PPE entretenait avec les Démocrates européens dans les années 1990. Toutefois, il est hautement improbable que le PPE l’accepte si peu de temps après le départ du Fidesz. Une autre option serait que le Fidesz rejoigne le groupe eurosceptique des Conservateurs et réformistes européens (CRE), (bien que ce groupe ait perdu beaucoup d’influence avec le départ des parlementaires européens britanniques issus du parti conservateur). Il pourrait également décider de rejoindre le groupe d’extrême droite Identité et démocratie (ID), qui comprend des partis encore plus marginaux. La dernière option serait de créer un nouveau groupe - chose compliquée quand elle ne repose que sur 11 parlementaires.

Cette perte d’influence se fera aussi ressentir au-delà du Parlement européen.

Cette perte d’influence se fera aussi ressentir au-delà du Parlement européen. Orbán ne pourra plus participer aux réunions de coopération informelles entre les chefs d’État affiliés au PPE, qui ont lieu en amont des réunions du Conseil européen. Bien que ces réunions soient informelles, elles ont une réelle importance politique, car elles permettent aux dirigeants européens des partis de centre-droit de créer des coalitions. 

Orbán siègera désormais dans un groupe différent de celui de la CDU-CSU, le parti qui dirige la coalition actuellement au pouvoir en Allemagne. La relation entre la CDU-CSU et le Fidesz sera par conséquent plus limitée et l’accès de Fidesz au cœur du système européen entravé par la faible représentation de partis au pouvoir chez les Conservateurs et Réformistes européens ou (encore plus) chez Identité et Démocratie.
 
Cela aura également un impact sur l’influence de Orbán lui-même. Le Premier ministre a longtemps joué le rôle de mouton noir : la brute assise à la table des bons. Il sera désormais assis à la table des brutes, mais une table ayant peu d’impact sur les politiques européennes. 
 
Il est fort probable que la décision de quitter le PPE transforme également la rhétorique de Fidesz et du gouvernement hongrois envers l’UE. On peut s’attendre à ce qu’ils tiennent un discours anti-européen encore plus désinhibé et qu’ils adoptent une attitude de plus en plus obstructionniste en matière de politique migratoire et de politique étrangère au sein du Conseil européen, y compris en ce qui concerne la relation de l’UE avec la Russie, la Chine, la Turquie et Israël. Mais cet obstructionnisme a des limites : la Hongrie sait qu’elle s’expose à une punition au titre du mécanisme de conditionnalité à l’État de droit si elle aliène trop les autres États membres et réunit contre elle deux tiers de ceux-ci.

Orbán était jusqu’ici plutôt bon à ce jeu d’équilibriste. La question est désormais de savoir comment il s’adaptera à cette nouvelle situation. Le gouvernement hongrois sera-t-il capable de surmonter sa rancœur et sa mentalité de siège et de s’atteler à réduire les conséquences de ce départ, chose d’autant plus importante qu’un nouveau président occupe désormais la Maison Blanche, ou accélèrera-t-il la détérioration de ses relations en maniant un discours de plus un plus nationaliste et arrogant ? La deuxième option semble aujourd’hui la plus probable. 

Le gouvernement hongrois sera-t-il capable de surmonter sa rancœur et sa mentalité de siège [...], accélèrera-t-il la détérioration de ses relations ?

Quoi qu’il advienne, il reste une relation qu’Orbán ne peut se permettre d’endommager : celle que son pays entretient avec l’Allemagne. Le gouvernement hongrois préfèrera sans doute parler de ses priorités avec les entreprises et industriels allemands directement plutôt que de passer par les canaux diplomatiques traditionnels. Les intérêts économiques mutuels des deux pays ne vont pas disparaître du jour au lendemain, et créent des liens forts même si les relations diplomatiques sont un peu tendues. 
 
Ceci mènera-t-il à la montée de l’euroscepticisme en Hongrie ? Pas forcément. Malgré presque une décennie de critiques constantes envers Bruxelles émanant du gouvernement, l’opinion hongroise reste très attachée à l’UE. Le Premier ministre comprend aussi que son pays est bénéficiaire au titre des fonds européens, et qu’un départ de l’UE mènerait sans doute à un désastre économique. 
 
Le départ de Fidesz du Parti populaire européen pourrait amener la Hongrie à être plus agressive et tapageuse, mais aussi, paradoxalement, moins influente. Cependant, les craintes d’un potentiel Huxit sont, à ce stade, excessives et exagérées.

 

Copyright : FREDERICK FLORIN / AFP

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