Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
11/04/2018

La méthode, clé de la réforme ?

Imprimer
PARTAGER
La méthode, clé de la réforme ?

L’Institut Montaigne et le cabinet Roland Berger se sont intéressés, pendant plusieurs semaines, à la méthode de la réforme de l’action publique. L’élection présidentielle de 2017 a représenté un choix très clair, celui de la nécessité d’adapter la France au monde d’aujourd’hui. Pour autant, la volonté d’agir ne suffit pas : dans un contexte plus que favorable à la réforme, il est indispensable d’en définir de manière très précise et en amont la méthode, afin de sortir la France des blocages et des résistances qui favorisent l’immobilisme. A ce titre, l’Institut Montaigne et le cabinet Roland Berger ont coproduit une série de papiers visant à mieux comprendre, mieux anticiper et in fine faciliter la réforme de l’action publique française.

Le choix de la réforme 

L’élection présidentielle, malgré ses péripéties qui ont en partie occulté le débat politique, a représenté un choix très clair. Le nouveau président de la République a été élu sur un ensemble de mesures destiné à adapter la France au monde d’aujourd’hui et à lui permettre de tirer le meilleur parti des nouvelles technologies et de la croissance des échanges. 
 
Un processus ambitieux a été lancé depuis l'automne. Des réformes ont été engagées dans de nombreux domaines et pour certaines d’entre elles menées à bien, comme celles concernant le code du travail. Pour certains, c'est enfin la preuve que la France peut se réformer. Pour d’autres, la partie est loin d’être jouée tant les résistances restent fortes. Une seule certitude : le problème de la réforme reste toujours très complexe et reflète les ambiguïtés françaises.

La nécessité de réformer et "l’ardente obligation" qu’elle représente sont mieux partagées

Le diagnostic de la "crise française", formulé dans de nombreux rapports et études, venant d’experts ou de politiques de gauche comme de droite, a fait du chemin dans l’opinion. Cette fameuse crise a sans doute contribué à faire exploser au printemps dernier le cadre traditionnel de notre vie politique. Chacun sait que les résultats de la France, comparés à ceux de ses voisins, sont médiocres dans des domaines où elle était traditionnellement parmi les premières, en particulier ceux des politiques publiques de l’éducation, du logement, de la recherche… Alors qu’elle a les dépenses publiques les plus élevées de l’OCDE, et se plaçait en 2016 en deuxième position en matière de prélèvements obligatoires (derrière le Danemark). Les enquêtes d’opinion le prouvent, dans de nombreux secteurs, les déséquilibres ne peuvent durer : c’est le cas de la remise en ordre des comptes publics et sociaux pour arrêter l’endettement et abaisser les charges sur les forces productives, de la nécessité de simplification pour libérer les énergies, de la réforme du code du travail pour favoriser l’emploi, de la réforme des services publics et sociaux pour rendre compatible un système de protection sociale exigeant avec les contraintes budgétaires.

Pourtant, que de résistances subsistent !

Plus que d’autres, la société française est complexe en ce qu’elle est parcourue d’aspirations contradictoires qui favorisent l’immobilisme. Les ruptures et les conflits qui ont jalonné son histoire ont aussi façonné les mentalités.

Encore nombreux sont ceux qui, parmi les élus ou les économistes mais aussi dans l’opinion, voient dans un retour au bon sens de la gestion publique un risque de "fracture sociale", voire de déflation ou de disparition de leurs clientèles.
 
Cette appréhension est aggravée par la perception de dynamiques sectorielles et de rémunérations différentes, qui crée des phénomènes de "frustration relative". Si, à tort ou à raison, on a déjà le sentiment de décrocher, pourquoi ne pas défendre au minimum le statu quo ?
 
Le nombre de réformes comme leur rythme suscite aussi chez certains le sentiment d’une déstabilisation, faute de savoir ou de pouvoir relier ces projets à une stratégie nationale positive. Enfin, l’héritage de beaucoup d’hésitations passées a créé dans certains secteurs des blocages particulièrement difficiles à dénouer sans déclencher une hostilité certaine.
 
Cet instinct de préservation est facilité dans un contexte de dynamisme économique retrouvé. L'embellie récente pourrait, sans pédagogie, favoriser l'incompréhension des efforts demandés : pourquoi consentir à des évolutions perçues comme des sacrifices alors que les indicateurs économiques repassent au vert ?
 
Ce décalage perçu peut rendre, à moyen-terme, l'opinion plus encline à se mobiliser et à participer à des mouvements sociaux d'ampleur, freinant ainsi le processus de réforme. Ce risque de blocage conforte la nécessité d'une approche méthodique, qui viendrait renforcer l'ardeur. 

Le contexte est inédit et propice à la réforme. Une réflexion renforcée sur la méthode peut-elle la favoriser ?

Plus que jamais, l’étude des conditions de la réforme paraît nécessaire. Car si les projets actuels échouaient, quelle serait l’alternative ?
 
Les échecs passés en matière de réforme ne sont inscrits dans aucune "malédiction" française, mais le plus souvent dans des défauts de méthode, de volonté et de continuité comme dans les particularités de la vie démocratique qui rendent difficile de combiner le temps long des réformes et le temps court des échéances électorales. Analyser les expériences des quinze dernières années, comme nous l’avons fait, c’est montrer que la méthode retenue a joué un rôle essentiel dans ce processus.
 
Maintenant qu’un processus d’une ampleur rarement connue a été engagé, le débat est vif. Et, à nouveau, il porte beaucoup sur des questions de méthode. Beaucoup de bruit pour peu de résultats diront certains, excès d’initiatives dans trop de directions diront d’autres, concertation insuffisante pour des mesures qui préfigurent un profond changement de société diront les derniers… En face, les partisans du mouvement constatent qu’une dynamique sans précédent a été engagée pour faire cesser des pratiques qui détruisent la compétitivité et les emplois de secteurs entiers et pour adapter le pays aux nouvelles conditions de l’économie comme l’ont fait tous les voisins de la France, qui aujourd’hui réussissent mieux qu’elle (en 2017, le taux de croissance de la France s’établit à 2,0 %, contre 2,4 % pour l’Union européenne).
 
C’est le rôle des politiques que d’avoir à trouver les voies qui permettent de dépasser les blocages. Ils évoluent dans un champ démocratique loin des pratiques de l'entreprise. Pourtant les réalités économiques et sociales s’imposent à eux comme aux responsables d’entreprises. C’est dans un tel contexte qu’il paraît essentiel à un cabinet de conseil comme Roland Berger et à un think tank comme l’Institut Montaigne de réfléchir aux problèmes de méthode de réforme pour surmonter la "crise française".
 
Nous sommes convaincus que plus la réforme est difficile, plus il est indispensable de se pencher sur les questions de stratégie, sur la gestion du temps, l’explication  la bataille des idées et tous les facteurs qui permettent de surmonter les blocages. Plus la réforme progresse, comme celle qui va s’engager sur la transformation de l’Etat et des entités publiques, plus il est nécessaire  de répondre aux questions qu’elle soulève. Faut-il préférer des avancées limitées mais symboliques à des bouleversements plus profonds mais qui génèrent des blocages ? Faut-il privilégier un dialogue qui risque de repousser les échéances ou opter pour des procédures plus rapides ?  
 
Il n’y a pas de fatalité française, en témoigne les divers succès de réformes qui ont pu voir le jour ces dernières années. Ceux-ci s’appuient sur des méthodologies différentes, leur point commun étant le passage du texte et sa relative approbation par l’opinion publique comme par les parties prenantes :

  • la professionnalisation des institutions militaires, en 1997, visait à réduire considérablement les effectifs par le passage vers une armée de métier. Cette réforme, souhaitée par le président de l’époque (Jacques Chirac), s’est appuyée sur un fort soutien populaire (79 % des Français se déclarant favorables à cette mesure) à défaut d’être souhaitée par les militaires concernés ;
     
  • la réforme des retraites, en 2003, a su passer outre le mécontentement initial de la société civile, qui a affiché une opposition de masse une fois le texte révélé. C’est en informant les citoyens sur l’absolue nécessité d’assurer la pérennité du système que le ministre des Affaires sociales de l’époque a pu faire atterrir cette réforme ;
     
  • la réforme de l’autonomie des universités, en 2007, a vu le jour après plus de 60 heures de discussions avec les représentants universitaires et une véritable implication des parties prenantes. Un premier rejet du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche de l’époque a même conduit à la préparation d’une seconde version du texte, qui a fait consensus.

Mais l’entrée en vigueur d’une réforme ne veut pas forcément dire que la méthode fut une réussite. La loi "Travail", en 2016, est l’archétype de la réforme qui concentre à la fois tensions entre décideurs et citoyens, "passage en force", et in fine abandon de la recherche du consensus entre les parties prenantes via l’usage de l’article 49.3 de la Constitution.
 
Aussi intéressants que soient ces cas d’études français, il serait judicieux de méditer certains grands succès étrangers qui revêtent chacun leur lot de conclusions utiles pour notre pays. Une typologie, certes sommaire, peut être dressée sur la base de quelques études de cas internationaux :

  • La méthode consensuelle, alliant l'ensemble des parties prenantes, se construit sur un temps long. Elle a permis à la Suède, en 1998, de pérenniser son système de retraite au bout d'une décennie, en transformant le système de prestations définies par un régime de cotisations données, permettant ainsi d’ajuster le niveau de pensions en fonction de l’état des finances publiques nationales.
     
  • A l'opposé, la réforme par décrets, plus abrupte, a été un levier d'action décisif pour adapter le marché du travail espagnol dans un contexte d'urgence et de crise économique. Avec un taux de chômage passé de 8 % en 2008 à 23 % fin 2011, le gouvernement espagnol s’est appuyé sur le sentiment d’urgence dont a pris conscience la société civile pour passer un décret-loi, après une concertation préalable très limitée.
     
  • Le gouvernement britannique a, notamment dans l'éducation, opté pour une troisième voie : la stratégie du contournement. Autrement dit, afin de réformer l’autonomie des établissements scolaires, entre 2007 et 2010, il a affronté les écueils de son système éducatif en s'adossant à un réseau d'associations dans le but de créer des écoles d'un genre nouveau. Plus de deux millions d’élèves bénéficient aujourd’hui du système de free schools, écoles bénéficiant de fonds publics et créées en dehors des autorités locales.

Ces exemples étrangers sont autant de chemins que le gouvernement français peut emprunter en fonction des cas. Ceci d’autant plus que les prochains mois seront décisifs pour l’exécutif. En effet, le Comité Action Publique 2022 (CAP 2022), lancé en octobre 2017 et dont les conclusions devraient être rendues publiques dans les prochaines semaines, aura pour objectif "d’interroger en profondeur les missions exercées par la puissance publique". La manière de mettre en place les mesures qui en découleront fera indéniablement débat : l’Institut Montaigne et le cabinet Roland Berger partagent aujourd’hui la conviction que la méthode, "l’art de rendre possible ce qui est nécessaire", est l’une des réponses les plus pertinentes à ces interrogations.

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne