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19/04/2022

La dangereuse fascination de Marine Le Pen pour Poutine

La dangereuse fascination de Marine Le Pen pour Poutine
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

"L'Amitié d'un grand homme est un bienfait des dieux", écrivait Voltaire dans sa pièce de théâtre, Œdipe. On serait tenté de dire, le plagiant, que la proximité d'un despote accusé de crimes de guerre constitue un sérieux handicap. En temps de conflit armé il y a des fréquentations qui s'avèrent dangereuses.

Nul ne sait avec certitude qui les Français éliront le 24 Avril prochain. Mais d'une manière ou d'une autre, l'ombre de Poutine pèsera sur le scrutin. Ce qui n'est qu'un juste retour des choses. En 2017, multipliant les rumeurs infondées et les aides financières, la Russie de Poutine avait tout fait pour favoriser l'élection de Marine Le Pen. En 2022, au moment où la candidate du Rassemblement National s'efforce, non sans succès, de présenter une version apaisée d'elle-même, les reportages sur la guerre en Ukraine viennent brouiller son image devenue si lisse, interrogeant la réalité de son changement et ses valeurs profondes.

Un détecteur de mensonges

Il est rare que les questions géopolitiques jouent un rôle significatif dans les processus électoraux. Mais là, c'est autre chose. Même si elle ne passionne plus tout autant les Français, la guerre en Ukraine est devenue un marqueur, un révélateur de réalités qui vont au-delà de la géopolitique. Dans son rapport à la Russie de Poutine, Marine Le Pen fait la démonstration qu'elle n'a pas changé, qu'elle ne saurait aller contre sa vraie nature et sa vision du monde. 

Pour Marine Le Pen, la relation avec Poutine agit en quelque sorte comme un détecteur de mensonges.

Pour Marine Le Pen, la relation avec Poutine agit en quelque sorte comme un détecteur de mensonges. Sans cette clé de lecture, on ne comprendrait rien. Pourquoi souhaiter un rapprochement - même à long terme - avec la Russie, au moment même où la guerre en Ukraine menace de s'approfondir, sinon de s'étendre ? Pourquoi évoquer l'idée plus qu'abstraite sinon totalement irréaliste, d'un rapprochement entre l'Otan et la Russie ? 

Pourquoi surtout vouloir prendre ses distances à l'égard des deux constructions qui nous protègent et dont nous avons plus que jamais besoin : l'Alliance avec les États-Unis et la construction européenne ? Pourquoi enfin maintenir cette ambiguïté structurelle avec l'homme qui constitue, et de loin, la première menace pour l'Europe ? Un homme qui n'hésite probablement pas - comme il l'a déjà fait en Syrie - à utiliser l'arme chimique contre les populations civiles ? Un homme dont l'armée se livre quotidiennement à des crimes, qui ne constituent peut-être pas un génocide, mais qui sont passibles des tribunaux internationaux ?

Comment face au retour de la barbarie à ses portes, la France pourrait-elle choisir une candidate qui se refuse à envisager de se passer du gaz russe et qui considère que l'Europe en a déjà trop fait pour les Ukrainiens ?

La liberté a un prix

Dans le contexte géopolitique actuel, l'arrivée de Marine Le Pen au pouvoir, c'est-à-dire de la démocratie illibérale telle qu'elle existe toujours en Hongrie, serait tout simplement une catastrophe pour notre pays, pour l'Europe et plus globalement pour la cause de la démocratie dans le monde.

Face à la tragédie ukrainienne, les Européens s'efforcent - pas toujours avec toute la détermination et la clarté qui s'imposeraient - à convaincre leurs citoyens que la liberté à un prix. Avec la victoire de Marine Le Pen en France, ce serait l'idée même de liberté et très vite sa pratique qui serait remise en question.

Mais comment expliquer ce qu'est la liberté à des générations qui ont toujours vécu, "en liberté", et qui n'imaginent même pas ce que peut signifier son absence ? Privilège de l'âge, j'ai connu l'Europe soviétisée du temps de la Guerre froide, "l'Europe kidnappée", pour reprendre la belle expression de l'écrivain Tchèque, Milan Kundera. J'ai, à plusieurs reprises, traversé Berlin à Checkpoint Charlie, pour me rendre de l'autre côté du Mur. L'air y était tout simplement d'une autre nature, comme raréfié. La Hongrie de Viktor Orbán - un modèle revendiqué par Marine Le Pen - est-elle encore un pays pleinement libre ?

Avec la victoire de Marine Le Pen en France, ce serait l'idée même de liberté et très vite sa pratique qui serait remise en question.

On peut sérieusement en douter, compte tenu de la reprise en main sévère effectuée par le pouvoir sur la justice et les médias. La remise en cause de la liberté en France ne se ferait pas bien sûr de manière radicale, mais progressive. Elle ne constituerait pas un événement mais un processus.

Une faute morale

Sur un plan géopolitique, l'argumentaire développé par Marine Le Pen pour privilégier l'alliance avec la Russie, ne tient tout simplement pas la route. Il traduit l'amateurisme de ses concepteurs. Il faut, dit-elle, prévenir un rapprochement entre Pékin et Moscou qui serait dangereux pour l'équilibre du monde. Mais cette alliance des autoritarismes existe déjà. Elle est "solide comme le roc" répètent en chœur comme une incantation ses principaux protagonistes, de Pékin à Moscou. À moins que le rêve secret de la candidate du Rassemblement National ne soit de s'ancrer à cet attelage "asiatique" ? Et ce, au moment ou en Chine comme en Russie, on ne peut que percevoir les difficultés des autoritarismes : à gagner la guerre contre le Covid pour Pékin, à gagner celle contre l'Ukraine pour Moscou. Pourquoi vouloir quitter l'organisation militaire intégrée de l'Otan au moment ou des pays comme la Finlande et la Suède font tout pour entrer dans l'Alliance ?

Que sont les diktats bureaucratiques de Bruxelles ou les pressions de Washington face à la menace constituée par Moscou ? Il y a un seul acteur qui représente aujourd'hui un danger immédiat pour notre liberté, nos valeurs, notre essence en tant que pays respectueux de l'état de droit et des différences qui existent entre ses concitoyens : c'est la Russie de Poutine. Comment vouloir comme allié, un pays, au moment où il apparaît plus que jamais comme un anti-modèle ? Un État que les meilleurs de ses citoyens quittent par centaines de milliers, parce qu'ils ne peuvent plus respirer l'air insoutenable qui a gagné le pays depuis le 24 Février ? Pourquoi délibérément choisir le camp du mal ? C'est non seulement une faute morale, c'est aussi un non-sens économique, stratégique, politique et culturel.

Ne pas voter Macron au second tour de l'élection présidentielle, c'est voter Poutine. C'est surtout, voter contre la France.

 

Avec l'aimable participation des Echos, publié le 18/04/2022.

Copyright : KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

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