En effet, le quadruplement du prix du brut et son extrême volatilité ont encouragé la recherche d’alternatives au pétrole, mais aussi celle d’autres gisements dans le monde, d’où l’émergence des Nopep, des hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz de schiste) et des énergies alternatives. En a découlé une chute rapide et ininterrompue de la consommation par unité de PIB dans les pays développés, au point que les États-Unis sont redevenus exportateurs nets et que le thème de la dépendance pétrolière a considérablement rétrogradé dans les préoccupations stratégiques, y compris européennes. Pour faire court, le pétrole a fini par sortir de la géoéconomie.
Le paradigme "gagnant-gagnant" de la mondialisation post-1990
La désagrégation du bloc soviétique et l’ouverture de la Chine a profondément bouleversé le terrain géoéconomique sans que son paradigme – le monde de Bretton Woods – ne change intrinsèquement. En l’espace de quelques années, la force de travail insérée dans les échanges internationaux a doublé, offrant au capitalisme occidental une occasion historique de se déployer sur pratiquement toute la planète et il a, ce faisant, profondément modifié sa structure. Auparavant, la maîtrise des coûts unitaires de production venait principalement des gains de productivité, les salaires étant largement déterminés par l’équilibre ou le déséquilibre sur le marché du travail - la fameuse courbe de Phillips. Dorénavant, pour les entreprises manufacturières, il était possible de réduire les coûts en délocalisant la production vers l’immense réservoir de main d’œuvre apparu en Europe centrale et surtout en Chine, ou, sans déplacer les unités de production, en réduisant le coût des intrants en s’adressant à des fournisseurs éloignés mais moins chers. Les changements structurels du monde post-1990 ont abouti à une division et une diversification sans précédent des chaînes de valeur ajoutée, ouvrant ainsi une ère de désinflation prolongée et de forte expansion du commerce mondial : de 1990 jusqu’à la crise financière de 2008-2009, les échanges de biens manufacturés ont augmenté à un rythme deux fois plus rapide que la production elle-même, mesurée par le PIB mondial.
En ouvrant les portes de l’OMC à la Chine, les réformes de Deng Xiaoping ont donné une nouvelle dimension aux stratégies géoéconomiques. La montée en puissance de la Chine dans les échanges mondiaux, encouragée par les États-Unis et leurs alliés, apparaissait essentiellement comme une stratégie gagnant-gagnant, par laquelle la Chine sortirait de la misère, serait obligée d’étendre la libéralisation interne, tandis que le reste du monde bénéficierait de son marché intérieur et de l’accès à son abondante main d’œuvre pour réduire les coûts de production et, du même coup, relever le niveau de vie de ses citoyens. L’opposition politique à la mondialisation, alimentée par les dégâts sociaux causés par l’émiettement des chaînes de valeur ajoutée – essentiellement dans le secteur manufacturier traditionnel – ne retint du "gagnant-gagnant" macroéconomique que son hétérogénéité : certains y gagnaient plus que d’autres, la Chine plus que les États-Unis, l’Allemagne plus que d’autres pays européens, les multinationales technologiques et financières plus que l’industrie traditionnelle et les PME-ETI, etc.
Mondialisation en panne et changement de paradigme géoéconomique
Avec le recul, la crise économique et financière de 2008-2009 a signé la fin de cette période de mondialisation accélérée "gagnant-gagnant". Le modèle de développement chinois, fondé sur les exportations et l’investissement étranger en Chine, y compris les transferts de technologie associés, avait connu une sorte de "mort subite" fin 2008, lorsque le commerce mondial s’arrêta net et que les investissements étrangers se tarirent soudainement (les exportations chinoises de produits manufacturés chutèrent de 27 % entre août 2008 et février 2009). Les dirigeants chinois en tirèrent plusieurs leçons : d’une part, le système économique américain, qui avait plus ou moins servi de modèle jusqu’alors, avait de grosses failles, ce qui nécessitait de repenser, de "siniser" le développement économique du pays ; d’autre part, une croissance tirée principalement par les exportations était à la merci d’une autre crise de type mort subite.
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