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19/03/2018

Francophonie en Afrique, juste une histoire de langue ? Trois questions à Dalila Berritane

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Francophonie en Afrique, juste une histoire de langue ? Trois questions à Dalila Berritane
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Cette semaine, partout dans le monde, la francophonie est à l’honneur. Ouverte le samedi 17 mars par le ministère de la Culture, la 23ème semaine de la langue française et de la francophonie invite les millions de francophones du monde entier à échanger et débattre sur l’usage du français. Loin de se cantonner à sa dimension linguistique et culturelle, celui-ci a des répercussions économiques et géopolitiques de première importance.  

Dalila Berritane, consultante influence & communication en Afrique et rapporteure du groupe de travail de l’Institut Montaigne Prêts pour l’Afrique d’aujourd’hui ?, décrypte pour nous les enjeux pléthoriques de la francophonie dans les relations franco-africaines. 

Plus de la moitié des locuteurs quotidiens du français vivent aujourd'hui en Afrique. Quel rôle joue la langue française dans les relations entre la France et l'Afrique ? 

Pour reprendre l’expression chère à Kateb Yacine, l’un des plus grands poète et dramaturge algérien, “la langue française est un butin de guerre”. Au-delà de l’héritage subi, les Africains ont fait leur la langue française. Celle-ci appartient à toutes celles et ceux qui s’en emparent, la triturent, la poétisent, la réinventent. 

En Afrique, la langue française est particulièrement vivace, notamment dans les villes où elle se marie aux différentes langues nationales pour en faire un savoureux mélange. Elle est souvent parsemée d’expressions anciennes et rares. Il faut accepter cette singularité et ce métissage de la langue, symbole d’une appropriation et d’un désir de faire corps avec le français et son identité propre. 

Cette langue est d’abord et avant tout un pont entre les différentes régions et pays africains qui s’expriment en français. Elle est également une passerelle vers la France, notamment utilisée dans le cadre des affaires entre celle-ci et les 22 pays d’Afrique qui ont le français en partage. Elle est la langue des études, des intellectuels francophones qui interrogent et bousculent de plus en plus la place de la France en Afrique, nous poussant à une remise en cause. Ces échanges foisonnants passent par la langue française. 

Elle peut cependant vite apparaître comme un mirage ou un piège si l’on n’y prend pas garde. Pour comprendre les Africains francophones, il faut accepter de regarder bien au-delà des mots.

Quel regard portez-vous sur la volonté d'Emmanuel Macron de faire de la francophonie "un outil de rayonnement, au service de l'intégration économique" ? 

La francophonie a toujours été un outil de rayonnement de la France, au service des idées et de l’économie. Le changement viendra de la manière de porter cette ambition : respecter l’autre dans sa diversité, dans sa multiplicité d’identités et de langues, dépoussiérer et décomplexer les relations de part et d’autre. Attelons nous à co-construire un bassin de valeurs et d’idées, qui au-delà de nos différences, nous rassemblent depuis Kinshasa jusqu’à Alger en passant par Abidjan, Paris ou Bamako. Encore faudrait-il que nous acceptions nous aussi de revoir nos modèles de pensée et de décentrer le monde francophone. Réinventons ce monde ensemble ! Pour reprendre les mots de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ “les hommes peuvent atteindre un but commun sans emprunter les mêmes voies”.
 
La langue française est incontestablement un avantage pour les entreprises françaises qui souhaitent investir en Afrique, mais elle ne suffit pas pour gagner des marchés. Certes le droit OHADA se rapproche du nôtre et là aussi, c’est un avantage concurrentiel, mais ce qui fait également notre force, ce sont nos services, leur qualité et le prix que les Africains sont prêts à payer pour ceux-ci. Aujourd’hui l’Afrique, tout en développant une trajectoire singulière, est un continent ouvert et réceptif à d’autres visions du monde. C’est sans doute l’un des continents les plus ouverts au monde. Nous gagnerons ensemble si nous savons nous aussi adopter des pensées et des philosophies plus ouvertes sur le monde et particulièrement sur l’Afrique, finalement encore méconnue en France.

Les parts de marché françaises ont été divisées par 2,5 depuis le début des années 2000 en Afrique subsaharienne. Au-delà de la langue, de quels outils la France dispose-t-elle pour remédier à cette tendance ?

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, je suis persuadée que l’un de nos avantages concurrentiels réside dans notre manière très “française” de faire du business, qui tient compte de l’environnement et surtout des collaborateurs africains. Même si la compétition est particulièrement rude face aux pays émergents, cet avantage est à envisager à long terme. Certes, personne n’ignore que pour l’entreprise, le long terme est un facteur de risque. Il n’empêche que c’est le temps long adossé à une vision stratégique claire qui sont indispensables à la réussite des affaires en Afrique

La France dispose également d’un arsenal financier qui n’est pas négligeable. Il est vrai qu’il est moins conséquent que celui des pays asiatiques par exemple, mais les Africains en apprécient la souplesse, la vision et le pragmatisme. Les entreprises françaises peuvent s’appuyer sur un réseau diplomatique qui a pris la mesure des enjeux économiques et qui tente, autant que faire se peut, de défendre les intérêts français. Et puis en France, on observe une nouvelle génération de jeunes gens, parfois issus de la diaspora, qui s’intéressent à l’Afrique. Il faut encourager et amplifier ce mouvement. L’Afrique devrait être un continent où exporter deviendrait une option aussi naturelle qu’aller vers les autres pays d’Europe ou vers l’Asie. Gagner des parts de marché, au-delà du produit ou du service, de sa qualité et de son prix, relève aussi de la croyance et de l’enthousiasme que l’on met à faire les choses.

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