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19/02/2018

Formation professionnelle : le rendez-vous manqué de la réforme

Trois questions à Bertrand Martinot

Formation professionnelle : le rendez-vous manqué de la réforme
 Institut Montaigne
Institut Montaigne

Après des semaines de négociations, un accord sur la formation professionnelle semble avoir été enfin trouvé vendredi 16 février. Mais la réforme qui se dessine est-elle à la hauteur des enjeux ? Décryptage en trois questions par Bertrand Martinot, Senior Fellow à l’Institut Montaigne, économiste spécialiste de l’emploi et auteur de la note Réforme de la formation professionnelle : allons jusqu’au bout.

Le projet d’accord soumis par les partenaires sociaux sur la formation professionnelle vendredi dernier répond-t-il aux attentes du gouvernement ?

Pas vraiment ! La ministre du Travail a envoyé aux partenaires sociaux un document d’orientation très précis en novembre, leur indiquant là où le gouvernement voulait en venir. Dans certains cas, notamment sur l’avenir du compte personnel de formation (CPF), pierre angulaire de la réforme et au cœur du programme du candidat Macron, les choses étaient assez claires. 

Or les partenaires sociaux, sous les apparences de grandes transformations, cherchent surtout à conserver le système en l’état et à limiter au maximum la partie des fonds de la formation qui profiteraient directement aux individus. Certes, ils proposent de supprimer les aberrantes listes administratives qui déterminaient régionalement et par branche les formations éligibles au CPF. De même, ils font des avancées notables en matière de construction des référentiels de formation. 

Mais, dans ce document, le CPF est toujours sous-financé. Il est toujours valorisé en heures et non en euros comme le souhaite le gouvernement. Ce point n’est pas un détail : la valorisation en heures signifie tout simplement que les appareils syndicaux et patronaux de branche continueront de fixer administrativement la valeur monétaire de ces heures de formation, de manière toujours aussi opaque et incompréhensible pour les entreprises comme pour les salariés et les chômeurs. 

Quant au Conseil en évolution professionnelle, complément indispensable du CPF (il faut que les salariés disposent d’un conseil de ce type pour utiliser valablement et de manière éclairée leur CPF), il y a certes un embryon de financement prévu. Mais les partenaires sociaux s’arrangent aussitôt pour verrouiller le système puisque ce sont eux qui détermineront la liste des opérateurs éligibles au niveau régional. 

S’agissant de l’apprentissage, qu’apporte ce document ?

Sur ce point, il décline les orientations du gouvernement annoncées par le Premier ministre il y a une semaine : transfert de la taxe d’apprentissage aux branches professionnelles, financement et gestion paritaire des contrats d’apprentissage, création d’un fonds de péréquation, fixation administrative par les branches de niveaux de prise en charge de ces contrats sur une base nationale. 

Bien entendu, les partenaires sociaux proposent que ce soit les OPCA qui collectent la contribution qui va succéder à la taxe d’apprentissage, alors qu’on aurait pu, par souci de simplicité, imaginer que ce soit les URSSAF. Mais qui se soucie de simplicité pour les entreprises dans ce document incroyablement technocratique de 52 pages rédigé par le Medef ? 

Il est prévu des actions de promotion, la création de plateformes, la prise en main de l’orientation, le transfert aux OPCA de l’enregistrement des contrats, de l’accompagnement des entreprises…  Bref, comme on pouvait s’y attendre, et sur le modèle de la formation continue depuis des décennies, il va y avoir beaucoup de frais de gestion prélevés!  

Les régions qui étaient compétentes sur cette matière depuis 1983, sont soigneusement tenues à l’écart. On mentionne juste qu’elles élaboreront, avec les partenaires sociaux régionaux, des "schémas directeurs de l’apprentissage" qui ne seront évidemment pas contraignants. Et qu’elles seront mises à contribution pour aider financièrement les CFA à investir. On ne comprend d’ailleurs pas pourquoi elles le feraient : il suffirait en effet que, dans le nouveau système, les taux de prise en charge fixés par les branches et payés par les OPCA intègrent les coûts d’amortissement des investissements des CFA. Derrière ces débats en apparence très techniques se cachent des enjeux financiers considérables. 

Un détail, qui n’en est pas un : les partenaires sociaux se sont aperçus que la fixation de taux uniformes nationaux de prise en charge des contrats d’apprentissage allaient générer des catastrophes (faillite de CFA qui auraient des coûts réels supérieurs à ces taux administratifs nationaux). C’est pourquoi ils proposent que, pendant une période transitoire (d’une durée non précisée), les taux de prise en charge soient calqués sur les coûts réels actuels de ces formations au niveau d’aujourd’hui. La réforme mettra donc un certain nombre d’années à être mise vraiment en place, mais c’était inévitable.  

Que faudrait-il faire ?

La balle est entre les mains du gouvernement. Ou bien il renonce à ces réformes fondamentales pour l’avenir du pays, et il accepte de renforcer sur la formation professionnelle, comme il l’a fait malheureusement pour l’apprentissage, le poids des 400 branches et de leurs appareils syndicaux et patronaux dans le pilotage et le financement du système. Ou bien il considère qu’il a une fenêtre de tir pour "renverser la table" et mettre fin à ces arrangements d’un autre temps. Dans ce cas, il faudra remettre en chantier une nouvelle réforme dans quatre ans (c’est la durée moyenne entre deux réformes dans ce domaine), car on constatera très vite l’échec de celle de cette année. 

Si, en revanche, le gouvernement choisit cette seconde option, il pourrait reconstruire durablement le système sur des bases solides et plus efficaces, comme nous le suggérons dans la note Réforme de la formation professionnelle : allons jusqu’au bout (janvier 2018) : un pilier "droits individuels", correctement doté, ne passant pas par les OPCA et accompagné d’un Conseil en évolution professionnelle passant par un marché régulé par la puissance publique ; un pilier "professionnalisation", dédié aux formes d’alternance (contrats de professionnalisation) préparant aux certifications spécifiques aux branches ; enfin, un pilier "plan de formation", spécialement conçu pour les TPE et PME, intermédié par les OPCA, mais sur la base d’une adhésion volontaire des entreprises. 

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