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23/01/2019

Face au risque chinois, l'Allemagne veut réveiller l'Europe

Face au risque chinois, l'Allemagne veut réveiller l'Europe
 Nicolas Bauquet
Auteur
Expert en transformation publique
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie
 François Godement
Auteur
Expert Résident principal et Conseiller spécial - Asie et États-Unis

Menacés par l'hypercompétitivité chinoise, les industriels allemands ont formulé des propositions concrètes pour que l'Europe fasse bloc.

La Fédération des industries allemandes (BDI) alerte sur la montée en puissance de la Chine et lance un appel aux Etats européens et à l'UE pour faire face ensemble à ce défi. C'est un tournant majeur, dont la gestation a été longue et difficile.

Mais l'économie sociale de marché allemande se trouve aujourd'hui prise en tenaille par deux menaces. D'abord l'économie hybride chinoise - son Etat-Parti, sa centralisation, son usage immodéré du statut avantageux d'économie en voie de développement pour protéger, subventionner et piloter l'essor international de ses entreprises.Dumping commercial et financier, contournement des règles, chantage économico-politique, fermeture des marchés publics, mobilisation étatique sur les hautes technologies : pour le BDI, la Chine est revenue en arrière sur la voie de la convergence qu'avait tracée l'entrée à l'OMC.

La seconde menace, c'est la possible réponse américaine devant l'obstination chinoise : bien plus que des tarifs douaniers, ce serait la fragmentation de l'économie globale par une rupture des chaînes de valeur - protectionnisme technologique, abandon d'instances internationales comme l'OMC qui ont été prises au piège d'une entrée de la Chine trop favorable à celle-ci.

Budget de l'UE, ouverture des marchés

Alors le BDI fait preuve d'audace : aucun pays européen ne fait jeu égal avec la Chine, il faut donc que l'Allemagne passe des compromis d'intérêts au sein de l'UE pour renforcer celle-ci. Les instruments : une politique industrielle avec un budget européen en hausse considérable, des grands plans européens - la 5G et l'économie hydrogène - mais aussi un antidumping étendu aux services et aux subventions, le durcissement de la protection de la propriété intellectuelle, l'objectif catégorique de l'ouverture des marchés publics chinois, la réforme d'une politique européenne de la concurrence dont le vice de fabrique est... de s'appliquer seulement aux Européens.

Menacés par l'hypercompétitivité chinoise, les industriels allemands font des propositions très concrètes. Certaines plairont à Paris : la mention de champions européens, l'appel à une forte augmentation du budget de l'UE avec un doublement de l'enveloppe consacrée à la R & D, la mise en commun des forces pour le développement de l'intelligence artificielle, l'extension du rôle de la BEI au-delà des frontières de l'Union, dans les Balkans en particulier, ou l'extension des règles limitant les subventions des Etats aux entreprises extra-UE désireuses d'acquérir des entreprises européennes.

D'autres seront moins bien accueillies : l'insistance sur le renforcement des règles de l'économie de marché dans l'Union, les interventions (des Etats) devant être l'exception et respecter la neutralité technologique (ce n'est pas aux Etats de décider quelles sont les technologies du futur), le maintien et l'extension de l'ouverture des marchés, et le respect des règles budgétaires. ll est cependant capital de saisir le point crucial et nouveau de sa position : le BDI appelle ouvertement Paris et Rome à une convergence stratégique.

Terminer l'Union bancaire

Il incombe maintenant aux élites françaises, et d'abord à son patronat, de répondre à cet appel pour dessiner une stratégie de long terme pour l'Europe qui permette de répondre au défi technologique chinois. Encore faut-il, pour que le marché unique fonctionne au mieux, que l'Union bancaire et le marché unique des capitaux, conditions nécessaires au financement des entreprises européennes en fonction de leur qualité, et non de leur nationalité, soient achevés rapidement. Cela suppose une évolution de la position allemande sur l'assurance des dépôts bancaires.

Une réorientation des politiques européennes ne saurait attendre. Il y a cinq ans, un tel signal d'alarme de la part de la principale économie européenne aurait été inimaginable. Dans cinq ans, où en sera l'Europe dans le nouvel ordre du monde ? Il n'y a plus de temps à perdre.

 

Avec l'aimable autorisation des Echos (publié le 23/01/19).

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