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08/02/2019

Et l’Europe, comment se porte-t-elle, dans tout ce fracas ?

Et l’Europe, comment se porte-t-elle, dans tout ce fracas ?
 Eric Chaney
Auteur
Expert Associé - Économie

Dans les deux précédents articles de cette série, nous avons analysé les facteurs qui devraient marquer les économies américaine – robuste, mais moins qu’en 2018 — et chinoise – sérieusement affaiblie fin 2018 par un resserrement des conditions de crédit et dépendante de mesures de relance en cours. Nous nous tournons à présent vers l’Union européenne, au sein de laquelle les tensions et les risques politiques montent, mais dont l’économie pourrait finalement surprendre par sa résilience.

Les signaux d’alarme n’ont pas manqué ces derniers mois. Il y a presque un an, les industriels allemands interrogés par l’institut CES-Ifo se félicitaient de l’excellente conjoncture dont ils bénéficiaient, mais s’inquiétaient déjà d’un possible ralentissement, probablement en raison de l’agressivité de la nouvelle politique commerciale américaine. Le ralentissement s’est bel et bien produit, et, aujourd’hui, les mêmes industriels, voyant leurs carnets de commande se déplumer, sont encore plus inquiets pour les mois à venir, même s’ils jugent leur situation courante toujours confortable. Le pessimisme prospectif allemand a des causes essentiellement externes : le ralentissement du commerce mondial est, sans surprise, une mauvaise nouvelle pour le premier exportateur mondial. De plus, ce ralentissement, en partie causé par les hausses des droits de douane américains, provient aussi et surtout du marché sur lequel les industriels allemands ont le plus misé depuis vingt ans, la Chine. Il faut donc revenir sur le sujet chinois, mais sous l’angle allemand, cette fois.

La Chine, vue d’Allemagne : ça pourrait être pire

Le coup de froid qui a saisi l’économie chinoise inquiète, car elle est devenue le troisième moteur commercial du monde avec 14 % des importations globales, juste derrière l’Union européenne (15 %) et plus très loin des États-Unis (17,5 %). Le risque ne vient pas tant de la demande intérieure – celle-ci réagira positivement aux inévitables mesures de relance décidées à Pékin — que des menaces sur la distribution des chaînes de valeur ajoutée, avatar de feu la division internationale du travail et dont les tribulations de Huawei sont la parfaite illustration.

La Chine est le troisième moteur commercial du monde avec 14 % des importations globales, juste derrière l’Union européenne (15 %) et plus très loin des États-Unis (17,5 %).

La bonne nouvelle — si l’on peut dire — pour les industriels européens, allemands en particulier, c’est qu’ils sont moins impliqués dans la chaîne de valeur de l’industrie électronique, des composants aux smartphones en passant par les infrastructures, que leurs homologues américains, coréens ou taïwanais. En revanche, les menaces américaines de relever les droits sur les importations d’automobiles sont prises très au sérieux à Stuttgart ou Munich car l’industrie allemande est essentiellement centrée autour de l’automobile et des machines-outils, deux activités par ailleurs étroitement imbriquées. Mais, pour l’instant, ce ne sont que des menaces.

Si les menaces structurelles sur le commerce mondial sont sérieuses, mais pas au point de remettre en cause la croissance dans l’Union européenne, qu’en est-il de la demande intérieure, qui représente 83 % de la demande finale adressée à ses producteurs ? Bien que contrastées, les nouvelles ne sont pas si mauvaises de ce côté.

En Europe continentale, la demande est soutenue par les salaires allemands…

Pour commencer, et comme on l’a rappelé dans ce blog, l’économie allemande est au plein emploi, si ce n’est au-delà, et les conséquences sur les salaires sont bien visibles. Dans les secteurs où la pénurie de main d’œuvre est la plus flagrante, la construction par exemple, les coûts salariaux augmentent de 4 % l’an. Dans les services, le rythme est de l’ordre de 3 % et, même dans l’industrie, les salaires augmentent plus vite que dans le reste de l’UE. Quoiqu’on en dise souvent de ce côté du Rhin, l’excellente santé du marché du travail allemand est une aubaine pour ses voisins, car elle profite à la consommation, et réduit l’écart de compétitivité, à condition, bien sûr, de ne pas laisser les salaires domestiques s’envoler, ce que l’équipe Macron-Philippe a bien compris, puisqu’elle a résisté aux sirènes appelant à l’augmentation du SMIC.

… et les politiques stimulantes de la BCE, de la France et de l’Italie

En second lieu, les politiques économiques sont — en général — en faveur de la croissance. Même si la Banque Centrale Européenne a cessé d’ajouter, mois après mois, une stimulation supplémentaire sous la forme d’achats d’obligations publiques et privées, elle garde le pied bien calé sur l’accélérateur en laissant ses taux et son bilan inchangés. La meilleure preuve est que la masse monétaire au sens étroit (M1), souvent considérée comme un indicateur cyclique coïncident, croissait à un rythme trimestriel annualisé de 7,1 % à la fin de 2018, et que sa version la plus large, M3, était sur un rythme de 5,1 %, supérieur à la croissance du PIB courant, un signe d’abondance de liquidités. Et puisque les salaires augmentent plus vite en Allemagne que dans les autres pays de la zone euro, la politique monétaire commune y est plus stimulante, car ce qui compte pour l’économie, ce sont les taux d’intérêt corrigés de l’inflation.

Coté budgétaire, la France et l’Italie ont finalement opté pour des politiques macro-économiques similaires, avec des mesures de soutien du revenu de l’ordre de 0,5 % du PIB de chaque côté des Alpes, si l’on en juge par l’augmentation annoncée des déficits structurels. Même si leurs politiques économiques divergent sur le fond — réformes en France, redistribution et retour sur les réformes passées en Italie — les deuxièmes et troisièmes économies de la zone euro ont elles aussi également le pied sur l’accélérateur.

Même si leurs politiques économiques divergent sur le fond [...] les deuxièmes et troisièmes économies de la zone euro ont elles aussi également le pied sur l’accélérateur.

A moins d’un choc important, sur l’offre (compétitivité) ou sur la demande (confiance), l’économie européenne devrait être — en théorie du moins — moins sensible au ralentissement mondial que la Chine ou les États-Unis, grâce à la bonne tenue de sa demande intérieure. La probabilité que les enchaînements économiques ne suivent pas ce scénario raisonnable et plutôt optimiste est malheureusement significative, en raison de deux risques internes à l’UE.

Deux facteurs de risque : Brexit et l’Italie

Du premier risque on a tant parlé qu’on risque de le sous-estimer. Si, au 1er avril, le Royaume-Uni quittait l’UE sans autre forme de procès, le choc d’offre causé par la chute temporaire des échanges et la désorganisation des chaînes de production pourrait être considérable. Certes, il serait bien plus important pour le Royaume-Uni que pour les 27 ; certes, l’intégration économique entre les économies continentales est plus importante qu’avec le R.U., pour la production de biens tout au moins, mais il n’en demeure pas moins que le choc serait négatif, sans qu’il soit possible de le chiffrer à l’avance avec précision, tant les effets de réseau sont difficiles à quantifier, en particulier dans le domaine financier.

Le second risque est la trajectoire de l’économie italienne. Même si l’on sait à Bruxelles que l’Italie présente un risque systémique, et à Rome que la population italienne tient à la stabilité économique associée à l’euro, il n’en demeure pas moins que l’économie a stagné au cours des six derniers mois en raison du resserrement des conditions monétaires, de crédit aux PME en particulier, causé par la défiance des marchés (c’est-à-dire des épargnants italiens principalement) vis-à-vis des extravagances du programme de la coalition Lega-Cinq Etoiles. La stimulation budgétaire devrait redonner des couleurs à l’économie, mais dans le même temps, elle ravivera les doutes que les marchés et les pays de la zone euro, garants de sa crédibilité monétaire, l’Allemagne avant tout, ont déjà sur la soutenabilité de la dette publique italienne, et sur la solidité de son système bancaire, dont les bilans sont loin d’être nettoyés. L’expérience a montré que l’économie italienne est résiliente, que sa dette publique, à défaut d’être soutenable à long terme, est bien gérée, et que les entreprises, qui travaillent souvent en réseau dans le Nord de l’Italie, sont innovatrices et font preuve de grandes capacités d’adaptation. A court terme, le risque semble donc être plus politique que financier ou économique.

En France, les industriels sont plutôt optimistes

Pour conclure, un mot de la France. Si l’année 2018 fut décevante, se terminant par une stagnation de la demande intérieure, les perspectives 2019 pourraient être meilleures. Commençons par les moins bonnes nouvelles. L’enquête mensuelle de l’Insee auprès des promoteurs indique en janvier une poursuite de la dégradation de la demande de logements neufs. Si les conjoncturistes attachent de l’importance à cette enquête, c’est qu’elle a souvent détecté à l’avance les points de retournement. Il est cependant probable qu’un facteur exogène, le remplacement de l’ISF par l’IFI, est à l’origine de sa chute, illustrée par la nette dégradation des apports personnels rapportée par les promoteurs.

En 2019, le paradoxe pourrait bien être la bonne tenue de l’économie française, dans un contexte général de ralentissement et de risques politiques.

À l’opposé, l’enquête de l’Insee sur les projets d’investissement des industriels, publiée le 7 février, est franchement positive. Comme de coutume, les industriels ont relevé à la hausse les toutes premières prévisions d’investissement en 2019, annoncées en octobre dernier, mais ils l’ont fait encore plus que d’habitude, misant dorénavant sur une hausse de 10 % des dépenses, et citant la profitabilité et la demande, intérieure comme extérieure, comme facteurs justifiant leur enthousiasme. Concernant la profitabilité, il faut y voir le résultat des mesures fiscales en faveur des entreprises (baisse du taux de l’IS et pérennisation du CICE sous forme de baisse de charges).

Du coup, les industriels citent la création de nouvelles capacités comme la destination principale de leurs investissements, avec une conviction que l’on n’avait pas vue depuis le boom des années 1999-2001. Quant à la bonne tenue de la demande, une bonne surprise, elle illustre le fait que, dans l’ensemble, l’industrie française est moins sensible aux fluctuations du commerce mondial que son homologue allemande et qu’en revanche, elle est sensible à la demande domestique et … allemande. 

En 2019, le paradoxe pourrait bien être la bonne tenue de l’économie française, dans un contexte général de ralentissement et de risques politiques. Une excellente raison pour poursuivre les réformes !

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