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05/03/2020

En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd'hui ?

Trois questions à Bruno Cautrès

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En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd'hui ?
 Bruno Cautrès
Chercheur au CNRS et au CEVIPOF

La France est-elle devenue le pays de la défiance ? Qu’en est-il de nos voisins allemands et britanniques ? Décryptage des résultats du Baromètre de la confiance politique réalisé chaque année par le Centre de recherches politiques de Sciences Po dont l’Institut Montaigne, Terra Nova et la Fondation Jean-Jaurès sont partenaires avec Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au CEVIPOF, et contributeur au Baromètre des Territoires 2019 de l’Institut Montaigne.

Peut-on encore dire en 2020 que la France est le "pays de la défiance" ?

Dans la limite d’une comparaison européenne entre trois pays (France, Royaume-Uni, Allemagne), on peut effectivement dire que notre pays est bien "le pays de la défiance". C’est une observation que nous faisions jusqu’à présent, mais en observant seulement la France… Et c’est là l’un des intérêts majeurs de la vague 11 du Baromètre de la confiance politique : pour la première fois, nous avons comparé le rapport des Français à la politique et à la confiance dans une perspective de comparaison européenne. Pour réaliser cet objectif ambitieux le CEVIPOF s’est associé à des fondations partenaires, dont l’Institut Montaigne.

Les données collectées cette année permettent de tester l’hypothèse d’une "spécificité française". La France est, il est vrai, un cas national de premier choix pour analyser et comprendre les mécanismes et les formes de la défiance politique : la récente crise démocratique que la France a vécue lors du mouvement des Gilets jaunes, prend place dans une série de crises et crispations nationales plus anciennes (21 avril 2002, référendum de 2005, crise des banlieues la même année, confirmation de l’ancrage territorial et sociologique du vote populiste lors des élections de 2012 et de 2017). Pour autant, on ne peut en conclure directement à une "spécificité française". D’autres pays européens connaissent également la défiance politique et la crise de confiance dans la démocratie représentative. Les exemples ne manquent pas en Europe depuis ces dernières années : Brexit (Royaume-Uni), gouvernements d’orientations populistes, succès électoraux de partis nationalistes et populistes, contestations de l’Europe, tensions internes au sein de l’UE. Il n’y a sans doute pas eu, dans l’Europe d’après la chute du Mur de Berlin, autant de tensions et de risques pour la démocratie libérale et représentative qu’aujourd’hui et autant de situations nationales difficiles sur ces questions.

Dans ce contexte, pour mieux comprendre s’il existe, au sein des toutes ces tendances, une "spécificité française", nous avons décidé de comparer la France a peu de pays mais en allant en profondeur à chaque fois dans l’observation des mécanismes qui produisent la défiance politique. Le choix s’est porté sur le Royaume-Uni et l’Allemagne afin de comparer la France à des pays européens sensiblement comparables en termes socio-économiques. Notre projet s’étendra à d’autres pays dans les années suivantes. Les données que nous avons réunies montrent très clairement que même après trois ans de Brexit douloureux, même si le modèle allemand connaît de réelles difficultés au plan économique et politique, les britanniques et les allemands sont à la fois moins pessimistes au plan social, plus confiants dans les autres et nettement moins défiants vis-à-vis des institutions politiques ou vis-à-vis du personnel politique !  La France reste ce pays qui n’arrive pas (ou plus ?) à produire une "société de confiance" pour reprendre l’expression de Yann Algan. La comparaison avec les deux autres pays est très parlante : ce ne sont pas des écarts de quelques points qui séparent notre pays du Royaume-Uni ou de l’Allemagne en matière de confiance en soi, dans les autres, dans la politique ou l’économie, mais des écarts parfois de 10 à 15 points !

Quelles institutions suscitent le plus de défiance ? Et au contraire, le plus de confiance ? Voit-on une évolution significative par rapport aux précédentes éditions ?

Parmi les institutions politiques ce sont toujours les institutions locales qui inspirent le plus de confiance.

Lorsque l’on compare les données que nous avons obtenues sur la France cette année avec celles de l’an dernier, on constate une remontée générale des niveaux de confiance. Mais cette remontée est "en trompe l’œil" en large partie.  On peut dire qu’elle représente assez largement un simple correctif par rapport à l’an dernier où nous avions réalisé notre enquête (publiée en janvier 2019) en décembre 2018, au sommet de la crise des Gilets jaunes.

Toutes choses égales par ailleurs (donc en tenant compte des évolutions d’une année sur l’autre), nous retrouvons dans l’enquête de 2020 le classement habituel de la confiance dans les institutions : parmi les institutions politiques ce sont toujours les institutions locales qui inspirent le plus de confiance. Nous retrouvons cette année une observation faite en 2014, lorsque notre Baromètre avait été réalisé quelques semaines avant les municipales de 2014 : non seulement les maires et les conseils municipaux obtiennent les niveaux de confiance institutionnelle les plus élevés (en 2020 60 % des personnes interrogées en France déclarent avoir confiance dans le Conseil municipal et 63 % dans le maire, alors que seuls 37 % déclarent avoir confiance dans les députés et 31 % dans l’Assemblée nationale), mais celle-ci est en augmentation assez nette. Les autres institutions politiques, notamment celles qui incarnent l’échelon national ont des taux de confiance nettement plus bas. Les plus bas de niveau de confiance se trouvent, ce n’est pas une surprise, aux plus hauts sommets de l’État : l’institution présidentielle (30 % de confiance), le gouvernement (27 %), le Premier ministre (31 %) et le Président de la République (30 %).

Il faut bien différencier la confiance dans les institutions politiques et dans les institutions publiques : les services de l’État, les services publics, les institutions publiques comme les hôpitaux, l’armée, l’école, la Sécurité sociale, obtiennent des niveaux de confiance bien supérieurs aux institutions politiques.

Par exemple, 80 % des Français interrogés déclarent faire confiance aux hôpitaux. Une donnée marquante de la vague 11 de notre enquête est la forte chute de confiance dans la police : cette chute est de – 8 points par rapport à l’an dernier et seuls 66 % des Français déclarent avoir confiance dans la police aujourd’hui. C’est en fait assez bas en ce qui concerne l’une des fonctions régaliennes les plus éminentes. La confiance dans la police est clairement touchée par les images de violences que toute la séquence de crise et de difficile maintien de l’ordre public nous a livrées.

Le pourcentage de ceux qui déclarent que "les hommes et femmes politiques essaient de tenir leurs engagements" est passé de 18 % il y a deux ans à… 29 % aujourd’hui

Moindre confiance en la démocratie, doutes sur le référendum, rejet des syndicats et des partis politiques : les Français sont-ils en panne de moyens d'expression ?

Très clairement oui ! Il y a un vertigineux paradoxe en France depuis un an et demi. En effet, entre l’automne 2018 et le printemps 2020, nous aurons pu utiliser de très nombreuses modalités de l’expression publique : la colère sociale et la quasi-insurrection populaire, le débat et la délibération, le vote, la mobilisation collective, la grève, les manifestations, le dialogue social. Et rien n’y fait, ou presque !  Le sentiment que le système démocratique ne fonctionne pas bien est toujours largement dominant dans la vague 11 de notre Baromètre. Seule timide éclaircie : le pourcentage de ceux qui déclarent que "les hommes et femmes politiques essaient de tenir leurs engagements" est passé de 18 % il y a deux ans à… 29 % aujourd’hui…Si l’opinion semble créditer l’exécutif de cette qualité, on voit à quel point cela ne change rien de fondamental au sentiment que notre système politique et démocratique ne parvient plus à être perçu comme à l’écoute des Français. La demande de démocratie directe, notamment par référendum, est exprimée de manière très importante dans nos données.

 

Consultez l'intégralité de l'étude

 

Copyright : Ludovic MARIN / AFP

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