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13/02/2018

Désinformation : la faute (seulement) aux réseaux sociaux ?

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Désinformation : la faute (seulement) aux réseaux sociaux ?
 Théophile Lenoir
Auteur
Contributeur - Désinformation et Numérique

Le 2 février dernier, l’Institut Montaigne était invité à intervenir à l’occasion d’un sommet sur la mondialisation et la démocratie, organisé par le think tank Avenir Suisse. Dans un contexte de défiance vis-à-vis des nouveaux outils de communication, des réseaux sociaux et de leur impact sur la cohésion sociale, l’un des débats a porté sur la question de l’"Impact de la technologie et de la digitalisation sur la démocratie". Ces échanges ont permis d’envisager cette thématique sous un angle nouveau. Retour sur les principaux arguments de ce débat.  

Doit-on blâmer les réseaux sociaux ? 

Une forme de doxa semble désormais s’imposer concernant le lien entre les réseaux sociaux et l’information. Les réseaux sociaux favoriseraient la formation de communautés, consultant et partageant des contenus qui ne feraient que les conforter dans leurs propres visions du monde. C’est notamment l’argument mis en avant par Eli Pariser dans The Filter Bubble : What The Internet Is Hiding From You(2011). Dans cet environnement, les émotions prennent le pas sur la raison comme vecteur du débat. Nous aurions tendance à faire confiance aux informations provenant de personnalités que nous respectons, remettant ainsi plus rarement en question leur véracité, comme l’ont montré les chercheurs Claire Wardle et Hossein Derakhshan dans leur rapport Information Disorder: Toward an interdisciplinary framework for research and policy making (2017). 

Les réseaux sociaux permettent ainsi de partager des informations fortement partisanes, pouvant être manipulées voire mensongères. Parfois, le nombre d’interactions (partages, likes ou commentaires) qu’ont les utilisateurs avec de telles informations dépasse celui qu’ils ont avec des articles issus de médias traditionnels. C’est le constat qu’ont fait Craig Silverman de Buzzfeed et ses analystes dans leur rapport sur le sujet. En effet, ils expliquent que les 20 fausses informations les plus populaires lors de l’élection présidentielle américaine ont donné lieu à 8 711 000 réactions (partages, likes ou commentaires), contre 7 367 000 pour les 20 articles les plus populaires issus des 19 principaux sites web d’information. 

D’autres faits confortent cet impact négatif des réseaux sociaux pour la démocratie. Ainsi, 

Les réseaux sociaux, tenus pour responsables de la polarisation politique et de la croissance des sentiments populistes, devraient donc être davantage régulés. Sur ce dernier point, Twitter, Facebook et Google ont été entendus au Congrès dans un contexte de débat sensible sur la modération des contenus

Les chiffres montrent que leur impact a été exagéré 

Il existe indéniablement une fragmentation des audiences sur les réseaux sociaux, offrant une grande visibilité à certains types de contenus. Cependant, certains considèrent que leur impact aurait été fortement exagéré, et qu’en blâmant les réseaux sociaux pour la polarisation politique et la croissance des tensions sociales, nous aurions oublié de nous pencher sur des questions plus complexes

Comme cela a été souligné lors de la table ronde, les statistiques permettent de contextualiser et de minimiser ces inquiétudes. Un membre du panel a ainsi cité des chercheurs de Stanford et du National Bureau of Economic Research, qui ont démontré que la croissance de la polarisation politique n’était pas liée aux réseaux sociaux car elle provenait principalement des groupes les utilisant le moins. Quant à la désinformation, les chercheurs Hunt Allcott et Matthew Gentzkow ont démontré que l’adulte américain n’était confronté et ne se souvenait en moyenne que de 1,14 fausses informations dans les mois précédant l’élection américaine. Face au volume total d’informations ayant circulé lors de la campagne électorale, ce chiffre paraît plutôt faible. 

Quel rôle pour les médias traditionnels ? 

Un article de la Columbia Journalism Review apporte un éclairage différent sur l’élection américaine. Selon ses auteurs, les chiffres avancés par Craig Silverman et son équipe de Buzzfeed (8 700 000 interactions avec les 20 fausses informations les plus populaires de l’élection américaine contre 7 367 000 pour les informations provenant de sources traditionnelles) doivent être relativisés. Si tous les utilisateurs de Facebook avaient eu recours à une action (partage, like, commentaire) par jour sur la plateforme – ce qui est probablement une sous-estimation -, ces interactions avec de fausses informations représenteraient 0,006 % des actions de l’ensemble des utilisateurs sur la même période. 

Les auteurs de cet article ont également analysé la couverture de la campagne par le New York Times lors des 69 derniers jours de l’élection. Cette étude a mis en évidence que, parmi les 150 unes de journaux traitant de la campagne publiées sur cette période, seulement 16 abordaient des questions politiques. Qui plus est, le nombre d’articles mentionnant le scandale des e-mails d’Hillary Clinton a égalé en seulement six jours le nombre total d’articles évoquant les propositions de l’un des deux candidats lors des 69 derniers jours de la campagne. Les auteurs concluent ainsi que les médias traditionnels ont joué un rôle clé dans la promotion du sensationnalisme

Que nous disent les fausses informations ? 

Le sujet de la désinformation doit donc être abordé différemment. Il parait nécessaire de le considérer non plus comme une cause mais comme une conséquence de la montée des tensions sociales. Comme l’écrit Ethan Zuckerman, directeur du Center for Civic Media au MIT Media Lab, dans son article pour la Knight Commission on Trust, Media, and American Democracy : la crise du journalisme américain doit être considérée dans la perspective plus large d’un déclin de confiance vieux de 45 ans vis-à-vis des institutions. 

L’Institut Montaigne a récemment publié un article sur ce sujet, commentant deux rapports du Pew Research Center et de la Fondapol. Les deux think tanks sont arrivés à des conclusions similaires. Tandis que 70 % des citoyens des pays d’Europe du Nord se disent satisfaits du fonctionnement de la démocratie, ils ne sont plus que 28 % pour les pays d’Europe du Sud. Par ailleurs, 62 % des citoyens considérant que leur niveau de vie s’est amélioré au cours des dernières années se disent satisfaits du fonctionnement de la démocratie, contre 29 % pour ceux ayant perçu une baisse de leur niveau de vie. Ces chiffres, parmi d’autres encore (tels que les relations entre perception de la démocratie et géographie, nombre d’habitants en ville, ou encore le niveau d’éducation) semblent indiquer que le déclin de confiance envers les institutions est corrélé au niveau de satisfaction des citoyens vis-à-vis de ces institutions. Ce constat n’a rien de surprenant. 

Selon Ethan Zuckerman, la crise des institutions de l’information doit être replacée dans le contexte plus large d’une crise du fonctionnement de l’ensemble des institutions. Cette situation est simplement devenue plus visible. Les grandes organisations ne sont plus en mesure de dissimuler leurs dysfonctionnements - les médias y sont pour beaucoup. 

Dans ce contexte, comment faire en sorte que les médias puissent répondre aux défis de notre époque ? La coopération régulièrement avancée entre les institutions médiatiques et les entreprises de technologie représente probablement l’une des meilleures solutions pour combattre la désinformation. Cependant, il sera important de se rappeler la nécessité de restaurer un dialogue productif entre les citoyens et leur gouvernance.  

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