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05/02/2019

Dépenses publiques : les enjeux du grand débat national

Trois Questions à Vianney Bourquard

Dépenses publiques : les enjeux du grand débat national
 Vianney Bourquard
Ancien Haut fonctionnaire

La dépense publique a traditionnellement des fonctions profondément établies : redistribution, répartition des richesses, et stabilisation de l’économie. En France, elle a connu une augmentation particulière, en dépassant le seuil de 50 % du PIB dès les années 1990. Quelles répercussions cela a-t-il sur la dette ? Quelles sont les antécédents ? Les perspectives ? Dans le cadre du grand débat national, Vianney Bourquard, ancien haut fonctionnaire, répond à nos questions.

Où en est-on en termes de dépenses publiques et quelles sont les perspectives ?

Des dépenses d’un niveau inégalé au sein des pays de l’OCDE

Les dépenses publiques en France s’élèvent à près de 1 300 Md€, soit plus de 56 % du PIB. Ce niveau de dépense publique est le plus élevé des pays de l’OCDE (comme le montre le graphique ci-dessous) et l’un des plus élevés du monde. La dépense publique rapportée au PIB en France est plus de 5 points supérieure à celle des pays scandinaves qui ont pourtant une tradition bienveillante à l’égard de la dépense publique. Elle est supérieure de plus de 9 points à la dépense moyenne en zone euro, c’est-à-dire que, pour un euro de richesse produite (PIB), les Français financent 20 % de dépense publique supplémentaire que les habitants de la zone euro en moyenne. De même, elle est supérieure de 12,5 points à la dépense publique en Allemagne, c’est-à-dire que, pour un euro de richesse produite (PIB), les Français financent 29 % de plus de dépense publique que les Allemands.

 
Source : Institut Montaigne sur la base de l'OCDE

 

Un écart qui s’est creusé au cours des dernières décennies

Cette distinction de la France en faveur de la dépense publique s’est révélée au cours des 25 dernières années : au milieu des années 1990, les dépenses publiques rapportées au PIB étaient approximativement au même niveau en France que dans le reste de la zone euro, contre 9 points de différence aujourd’hui. De même, les dépenses publiques en France rapportées au PIB étaient inférieures d’environ 3 points à celles des pays scandinaves (Danemark, Finlande, Norvège, Suède), alors que cet écart s’est inversé depuis (comme le montre le graphique ci-dessous). Ces écarts proviennent essentiellement des efforts réalisés par les autres pays dans les périodes de croissance favorable et en particulier concernant les pays scandinaves (Finlande, Norvège et Suède), au milieu des années 1990 dans le cadre d’efforts de redressement de leurs finances publiques portant en grande partie sur leurs dépenses publiques.

Source : Institut Montaigne sur la base de l'OCDE




Un accroissement des dépenses de prestation sociale à l’origine de ces écarts

La protection sociale représente la plus grande partie des dépenses publiques (57 %) et, parmi celles-ci, les retraites représentent 26 %, les dépenses de santé 19 %, l’éducation un peu plus de 9 % et la recherche un peu plus de 2 %. Les services régaliens (défense, sécurité intérieure, justice) représentent 6 %. Les dépenses sectorielles (environnement, infrastructures de transports, gestion des déchets, culture, …) représentent un peu plus de 14 %. La gestion de la dette représente 4 % des dépenses totales et les services généraux un peu plus de 6 %. Ces données sont recalculées à partir des données COFOG de l’Insee, correspondent au document présenté par le ministère des finances dans le cadre du grand débat national.

Source : Institut Montaigne sur la base de l'Insee

 


Ces dépenses ont connu des dynamiques différentes au cours des dernières décennies, ce qui explique les écarts totaux sur la dépense publique. La dynamique des dépenses publiques en France s’explique essentiellement par les dépenses de protection sociale et de santé, qui ont globalement continué à augmenter alors qu’elles ont été stabilisées en moyenne dans les pays scandinaves et en Allemagne, et par la charge des intérêts de la dette, dont la décrue est moins marquée en France que dans les autres pays représentés ici. Par ailleurs, des efforts importants ont été réalisés sur la partie "affaires économiques" ainsi que sur d’autres secteurs. En Allemagne, cette forte diminution du poste "affaires économiques" doit être lié à la fin des subventions à l’Allemagne de l’Est.

Les données ne permettent pas de remonter dans le temps pour les autres pays, mais les données françaises disponibles sur une longue période conduisent à identifier une dynamique des dépenses sociales forte depuis la fin des années 1970 (date à partir de laquelle les données existent) : les prestations sociales, en espèce (retraites, allocations, minima sociaux…) et en nature (dépenses de santé), rapportées au PIB ont ainsi augmenté de 8 points entre 1978 et 2017.

Source : Institut Montaigne à partir de données Eurostat

 


Une dynamique qu’il sera nécessaire d’infléchir à l’avenir pour restaurer une possibilité de choisir les dépenses prioritaires

Les pensions de retraites et les dépenses de santé ont représenté l’essentiel de ces accroissements en France (la somme cumulée des autres prestations ne représentant que 6 points de PIB). Cela provient en grande partie de facteurs démographiques. Ainsi, il y avait 1 personne âgée de plus de 60 ans pour 3 personnes de 20 à 59 ans au début des années 1980 en France contre une pour 2 aujourd’hui. De la même manière, la part des personnes âgées de 60 ans et plus a augmenté de l’ordre de 50 % entre 1980 et aujourd’hui (comme le montre le graphique ci-dessous).

Source : Institut Montaigne à partir de l'Insee

 


Les dernières projections démographiques de l’Insee montrent que cette proportion des personnes âgées de plus de 65 ans devrait encore augmenter dans les années à venir, pour atteindre plus de 23 % en 2030 et près de 29 % à l’horizon 2070, alors même que les effets des réformes passées au cours de la dernière décennie devraient s’atténuer.

Cependant, dans les projections publiées récemment, le facteur démographique serait compensé à moyen terme par l’effet mécanique de l’indexation des retraites sur l’inflation : les pensions, revalorisées sur l’indice des prix à la consommation, évoluent moins vite que les salaires, qui captent, au-delà de l’inflation, une partie des gains de productivité dégagés par les entreprises. C’est cet écart d’évolution entre les pensions et les salaires qui permettrait de compenser en partie le facteur démographique.

Le Gouvernement a engagé une réforme des retraites visant notamment à harmoniser les régimes existants au sein d’un unique régime à points. Par nature, la transformation des régimes actuels en un régime unique ne constitue pas une économie. Pour autant, la valeur du point pourra éventuellement être pilotée par un comité indépendant, à l’instar du fonctionnement des régimes Agirc - Arrco actuels. Par ailleurs, ce nouveau régime ne serait vraisemblablement pas mis en place avant 5 ans, ce qui signifie qu’il ne pourrait pas être vecteur de dépenses supplémentaires ou d’économies avant cette échéance. Les variations que l’on pourrait observer sur ce volet des dépenses publiques d’ici-là seront donc imputables au fonctionnement actuel des régimes de retraite.

De la même manière que pour les retraites, les dépenses de santé devraient poursuivre à l’avenir leur évolution observable sur le passé récent. Les études récentes sur le sujet montrent que les dépenses de santé rapportées au PIB pourraient continuer à croître au cours de la prochaine décennie. En particulier, le vieillissement de la population devrait renforcer la hausse des dépenses de santé à l’avenir. De nombreux autres facteurs jouent cependant sur les dépenses de santé, comme le prix des soins (et des médicaments), la sinistralité, … et l’appétence des citoyens à favoriser les dépenses de santé éventuellement au détriment d’autres dépenses.

D’autres dépenses sont susceptibles d’augmenter dans les années à venir. Les dépenses de défense, par exemple, doivent connaître un accroissement de 8 Md€ des crédits à l’horizon 2023 selon la loi de programmation militaire.

De nombreuses autres dépenses devraient augmenter à l’avenir. Les préférences collectives en termes de répartition sectorielle des dépenses doivent donc tenir compte de ces dynamiques.

Où en est-on en termes de charge de la dette ?

La France, comme la plupart des pays de l’OCDE, a bénéficié de circonstances exceptionnelles de financement au cours des dernières décennies, illustrées par le graphique ci-dessous. Alors que le niveau d’endettement public a été multiplié par près de 4 entre 1995 et 2017, les intérêts de la dette sont restés stables (Le taux apparent de la dette publique, correspondant au rapport entre la charge d’intérêts et la dette en fin de période précédente, est passée dans le même temps de 7,1 % à 2,0 %). En principe, ces deux courbes devraient être proches l’une de l’autre : la courbe des intérêts devrait correspondre à la courbe de la dette décalée et lissée dans le temps.

Si la charge d’intérêts avait suivi la même dynamique que la dette, elle serait aujourd’hui de 158 Md€ (contre 43 Md€ actuellement) et représenterait près de 7 points de PIB (contre 2 aujourd’hui), pesant alors le poids de l’ensemble des dépenses d’Education nationale et de recherche telles qu’observées en France en 2017 (152 Md€ au regard des données de l’Insee COFOG).

Source : Institut Montaigne à partir de données Insee

 


Les taux d’intérêt sont aujourd’hui très bas, notamment grâce à la politique monétaire très expansionniste menée par la Banque centrale européenne depuis quelques années. Ils pourraient donc remonter à l’avenir. De son côté, la Commission européenne prend comme hypothèse de moyen terme une remontée des taux d’intérêts nominaux de long terme (à 10 ans) à 5 % dans 15 ans, contre 0,5 % à fin 2018 (pour l’Allemagne). Au terme de calculs complexes, la Commission européenne estime que la soutenabilité de la France à moyen terme est l’une des moins assurée de l’Union européenne, car la dette de la France à moyen terme est davantage susceptible d’augmenter que de décroître.

Les recettes des administrations publiques françaises, et en particulier les prélèvements obligatoires, peuvent-il être significativement réduits ?

Les recettes des administrations publiques françaises, et en particulier les prélèvements obligatoires, ont crû de manière pratiquement continue depuis près de 60 ans. L’augmentation de ces prélèvements obligatoires a suivi celle des dépenses publiques.
 

Source : Institut Montaigne à partir de données Insee





Il est possible de diminuer les recettes des administrations publiques en diminuant les dépenses publiques, afin de ne pas trop dégrader le solde public. En effet, un creusement des déficits publics se répercuterait mécaniquement sur la dette, ce qui grèverait alors sa soutenabilité pourtant déjà fragilisée au regard de son niveau et de la charge d’intérêts qu’elle pourrait occasionner.

De nombreux pays ont par le passé réussi à diminuer significativement leurs ratios de dépenses publiques sur le PIB. Par exemple, la Suède a baissé ses dépenses publiques rapportées au PIB de 15 % entre 1995 et 2000. Sur la même période, les Pays-Bas les ont baissés de près de 19 %. Plus récemment, la Norvège les a baissés de 17 % entre 2003 et 2006.

De telles diminutions des dépenses publiques ne sont pas rares, mais nécessitent souvent des circonstances exceptionnelles et en particulier un consensus politique autour de la nécessité de les réduire. Elles se font généralement grâce à des revues de dépenses qui permettent d’examiner l’efficacité d’une dépense publique et de réorienter, voire de supprimer certaines dépenses lorsque celles-ci ne sont pas efficaces.

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