Le 31 mars, la Maison Blanche a dévoilé de sombres modèles épidémiologiques. Même les meilleurs scénarios prédisaient que le nombre de décès causés par le Covid-19 pourrait atteindre 240 000.
S’est alors produit une volte-face pour la Maison Blanche, qui s'est déroulée comme un drame en trois actes. Dans le premier acte, la réaction a été marquée par la suspicion et le blâme. On ne pouvait pas se fier aux rapports chinois. Pour certains, il s'agissait d'un canular exagéré, concocté par les démocrates et les libéraux pour châtier la Maison Blanche. Puis, fin janvier, la suspicion s'est transformée en reproche. La première mesure prise par Washington n'a pas consisté à préparer le pays, mais plutôt à mettre un terme aux vols en provenance de Chine. À cette époque, des cas étaient signalés aux États-Unis, dont le plus alarmant était celui d'une maison de retraite de Seattle. Pourtant, le secrétaire d'État Mike Pompeo s'est fait un devoir de qualifier le Covid-19 de "virus de Wuhan". D’autres, plus contestés diplomatiquement, l'ont appelé la "grippe Manchu" ("Flu Manchu"), d'après les stéréotypes racistes des films hollywoodiens.
Si ce premier acte se concentrait sur l’accusation envers la Chine, l’acte suivant consistait à contester le caractère menaçant du virus. Trump déclarait alors que ce virus était moins mortel qu'une grippe ordinaire. Un animateur de Fox News, Jesse Watters, se retournant vers son co-animateur, lui a demandé : "Ai-je l'air nerveux ? Non. Je n'ai pas du tout peur de ce coronavirus". Sur les ondes, c’était encore pire. Rush Limbaugh, l'une des voix préférées de Trump, braillait dans son microphone en critiquant l’alarmisme des médias grand public, des universités ou de l'"État profond" - comme le Centre de contrôle des maladies. Personne n'a autant ridiculisé les avertissements que Sean Hannity, le présentateur préféré du président sur Fox News (Trump le rejoint chaque semaine à la télévision devant 5,6 millions de téléspectateurs en moyenne). Pour Hannity, il s'agissait d'une bagatelle, montée de toutes pièces par les démocrates pour faire de l’ombre au génie économique de Trump. Pas plus tard que le 10 mars, alors que le directeur de l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses appelait les Américains à la prudence, la fougueuse commentatrice conservatrice Candace Owens s'est moquée de "la dépression nerveuse mondiale" (un mois plus tard, elle refuse toujours d'admettre son irresponsabilité). La vraie menace était de croire au "canular" et de ne pas faire confiance au président.
Le déni était d’ailleurs synonyme d’un engouement face à la menace. Le président Trump s'est empressé d'annoncer que sa Food and Drug Administration (FDA) avait "approuvé" la chloroquine comme traitement pour le Covid-19. Ce n'était pourtant pas le cas : les scientifiques, y compris certains des principaux conseillers médicaux du président Trump, ont publiquement rejeté le médicament de prévention contre la malaria, le qualifiant de chimère. Alors que Trump annonçait être "un grand fan" du médicament, le commissaire de la FDA était contraint d’admettre qu'il s'agissait d'un "faux espoir". Quelques jours plus tard, Trump twittait : "L'hydroxychloroquine et l'azithromycine, prises ensemble, ont une réelle chance de devenir l'un des plus grands changements de jeu dans l'histoire de la médecine." Il avait alors déclaré : "Si vous voulez, vous pouvez avoir une ordonnance", ajoutant : "Mais qu'avez-vous à perdre ?"
Le troisième et plus récent acte de la pièce, une fois l’urgence de la situation comprise par le président Trump, a été de déclarer la guerre. La Maison Blanche est devenue le centre d'un "plan de bataille", et les "survivants", comme l'évangéliste Nic Brown, ont été déployés pour relayer des histoires de foi. Restez chez vous, suivez les directives - et surtout, priez.
Au centre du maillon faible de ce système complexe se trouve le Bureau ovale. Au lieu de construire un lien fort avec une équipe cohésive et compétente, le président a ajouté des liens toujours plus nombreux, plus petits, et plus faibles. Au milieu de la panique, le 6 mars, Trump a congédié son chef de cabinet, Mick Mulvaney. À sa place, le président a nommé un loyaliste du Congrès, le représentant Mark Meadows. Mais Meadows a mis trois semaines à démissionner de son siège au Congrès. Pour combler le vide, Trump a créé un groupe de travail (ou task force).
Au départ, il a placé cette task force entre les mains d’Alex Azar, deuxième secrétaire à la santé et aux services sociaux, et ancien lobbyiste pharmaceutique. Confirmé dès le début de 2018, Azar s’est immédiatement rallié aux préoccupations du président Trump : la baisse des prix des médicaments et la lutte contre l'épidémie d'opiacés. Azar devenait un loyaliste. Mais au fur et à mesure que les alarmes se sont déclenchées et que des informations ont été divulguées sur l'inaction du HSS, Azar s'est inquiété de la réputation de son département et de l'administration. Son objectif : changer le message. En vain. Le 26 février, Trump se débarrassait d’Azar et le remplaçait à la tête de la task force par le vice-président Mike Pence.
À ce moment-là, la crédibilité de la Maison Blanche était en grande difficulté. S'en prenant aux instigateurs de fake news et qualifiant certains gouverneurs d'irrespectueux, le président, frustré et irritable, s'est finalement tourné vers sa famille. Son beau-fils, Jared Kushner, qui supervise le Bureau de l'innovation américaine de la Maison Blanche, est passé à l'action. Kushner appelle son bureau "l'équipe d'impact". Pour les responsables de l'Agence fédérale de gestion des urgences (Federal Emergency Management Agency ou FEMA), qui s'efforcent de gérer la catastrophe, les anciens cadres recrutés par Kushner sont indiscrets et déroutants. C’est par exemple le cas de son ami Adam Boehler, directeur de la Société financière américaine pour le développement international, et ancien investisseur en capital-risque. Les employés de la FEMA ont ainsi rebaptisé l'équipe d'Impact "les costumes moulants" ("Slim Suit Crowd"), en référence aux Armani qu'ils portent sur le champ de bataille.
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