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01/02/2018

Crise des opiacés : Donald Trump face aux failles du système de santé

Crise des opiacés : Donald Trump face aux failles du système de santé
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

Dans son discours sur l’état de l’Union, le président Donald Trump a à nouveau promis de s'attaquer au problème de la crise des opiacés, renouvelant une promesse restée sans suite depuis octobre dernier. Avec plus de 40 000 morts en 2016 et une baisse de l’espérance de vie pour la deuxième année consécutive, l’épidémie des opiacés met en lumière des failles du système de santé américain. Décryptage.

Une espérance de vie qui baisse depuis deux ans 

En décembre 2017, le Center for Disease Control and Prevention (CDC), a annoncé que l’espérance de vie à la naissance des Américains avait à nouveau baissé en 2016 passant de 78,7 ans à 78,6 ans. Malgré la richesse des Etats Unis, l’espérance de vie y est inférieure à celle de la moyenne de l’OCDE. A titre de comparaison, en France, l’espérance de vie à la naissance était estimée à 82,4 ans pour l’année 2016. 

Selon le CDC, la baisse de l’espérance de vie aux Etats-Unis s’explique en grande partie par l’augmentation du nombre d’overdoses chez les 15-64 ans en raison de la consommation d’opiacés, ces substances hautement addictives dérivées de l’opium largement prescrites pour lutter contre la douleur. Les opiacés (opioïdes) tuent aujourd’hui plus que les accidents de la route, ciblant davantage les classes populaires blanches, sans emploi et peu qualifiées. Ce phénomène rappelle la baisse d’espérance de vie qu’a connue la Russie après la fin de l’URSS, largement expliquée par la hausse de la consommation d’alcool. 

Chaque jour, 115 Américains meurent d’une overdose due à la consommation d’opiacés

La consommation des opiacés est extrêmement répandue aux Etats-Unis où ils sont prescrits pour soulager des douleurs. Pour autant, malgré le caractère très addictif de ces médicaments (l’addiction survient dans 26 % des cas), la prescription d’opiacés aux Etats-Unis dépasse largement le simple soulagement de douleurs complexes. Malgré des annonces régulières, l’administration américaine reste immobile face à la crise.

L’histoire remonte au début des années 1990 où le traitement des douleurs, jusqu’alors très mal soulagées, dans des cas de maladies comme le cancer, va faire l’objet de campagnes nationales d’usagers. La Joint Commission on Accreditation of Healthcare Organization, établit alors des standards pour lutter contre la douleur, compris par un grand nombre de médecins comme une incitation à prescrire des opiacés pour des douleurs chroniques non-cancéreuses. Les laboratoires vont également encourager la prescription des opiacés en mettant en place un marketing agressif et en fixant des prix très attractifs. Entre 1990 et 2010, le nombre de prescriptions d’opiacés est multiplié par quatre. 

On estime qu’un Américain sur trois consomme ou a consommé des opiacés suite à une prescription médicale, et que 2,7 millions d’Américains en seraient désormais dépendants. Parmi eux, 1,5 million se sont tournés vers l’héroïne, peu chère et facile d’accès, devenant des chronic heroin users

Conséquence immédiate de cette épidémie : l’augmentation massive depuis deux décennies du nombre de morts par overdose. Alors que les Etats Unis ne représentent que 4 % de la population mondiale, ils comptent pour 27 % des morts par overdose à travers le monde

Que nous apprend cette crise sur le fonctionnement du système de santé américain ?  

Plusieurs facteurs expliquent l’existence d’une telle crise sur le territoire américain. 

Tout d’abord, la faiblesse des politiques de prévention et d’information sur les dangers des opiacés à destination des professionnels de santé qui les prescrivent largement ainsi qu’à destination des usagers. 

Cette crise témoigne ensuite de l’absence de solutions alternatives aux opiacés offertes aux patients américains. Même si d’autres traitements antalgiques existent, ces derniers sont insuffisamment connus des prescripteurs et ne sont généralement pas pris en charge par les assureurs privés car plus chers.  

La dimension socio-économique de cette crise, qui touche majoritairement les classes populaires blanches en âge de travailler, est également centrale. 

Certains Etats américains se mobilisent pour limiter les prescriptions, fournir des traitements en cas d’overdose, informer les professionnels et développer des alternatives aux opiacés. Malgré ces mesures, la crise continue de s’amplifier et les patients se tournent de plus en plus vers le marché noir. 

Malgré les déclarations du président Trump, qui avait déclaré en octobre dernier qu’il s’agissait d’une urgence nationale, aucune réforme d’ampleur du système de santé assurant une meilleure prise en charge des traitements alternatifs, une politique de prévention ciblée et une cartographie des profils à risque n’a été amorcée.  

La crise des opiacés est-elle susceptible de survenir en France ? 

En France, quelques centaines de décès chaque année seraient liés à des opiacés médicamenteux (plus que les overdoses d’héroïne) et selon la base de données CepiDC de l’Inserm, ces décès auraient augmenté de 128 % en 15 ans. 

Malgré cette hausse, il est difficile d’imaginer qu’une telle catastrophe sanitaire advienne en France. Notre rapport aux médicaments antidouleurs est foncièrement différent. Les accès y sont en effet, bien plus réglementés et l’assurance maladie permet aux patients d’avoir accès à d’autres stratégies thérapeutiques en cas de douleurs. 

En Europe, la consommation de drogues reste néanmoins un enjeu de santé publique, notamment chez les jeunes : en 2015, le nombre de morts par overdose avait augmenté pour la troisième année consécutive. Parmi ces 8 441 décès, 79 % avaient été provoqués par des opiacés. 

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