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02/06/2020

Covid-19 : un amplificateur des inégalités scolaires ?

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Covid-19 : un amplificateur des inégalités scolaires ?
 Eric Charbonnier
Auteur
Analyste Éducation à l’OCDE

Fermeture des écoles et éducation à distance, la crise du coronavirus a imposé aux pays une transformation précipitée de leurs méthodes éducatives. Alors que certains États avaient entamé cette évolution vers le numérique depuis longtemps, d’autres ont dû mettre en place rapidement des outils pour répondre au mieux aux besoins des élèves et des enseignants. Eric Charbonnier, analyste éducation à l’OCDE, répond à nos questions.

Comment les pays se sont adaptés à l’enseignement à distance, pouvons-nous remarquer des similarités ou plutôt des différences ?

En termes de similarités, la première réponse des pays par rapport à la crise du Covid a été une réponse sanitaire et non éducative. Le consensus dans la plupart des pays a été de fermer les écoles, cette décision a demandé une réaction rapide, les pays n’étaient pas préparés en terme de réponse éducative. Nous avons donc pu mesurer des écarts non seulement en termes de qualité de services éducatifs à distance mais aussi dans la capacité des acteurs à utiliser ces services. La France, dans l’étude PISA de l’OCDE de 2018, comptait ainsi 55 % des chefs d’établissements déclarant que les enseignants avaient les compétences techniques et pédagogiques suffisantes pour intégrer les outils numériques dans leurs apprentissages (la moyenne de l’OCDE était de 70 %). Ce qui a fait la différence pendant cette crise a été le degré de préparation à l’utilisation de ces outils numériques. Les mesures prises dans le cadre du déconfinement sont, pour ceux qui débutent la réouverture des écoles, souvent similaires à la France. La réouverture progressive des écoles en commençant par les premiers niveaux d’éducation est bénéfique à la fois pour la reprise économique et pour la lutte contre les inégalités qui est essentielle dès le plus jeune âge des citoyens.

Concernant cette capacité à utiliser des outils numériques et dans un contexte où l’indice de développement humain (IDH) pourrait diminuer pour la première fois depuis 30 ans, diriez-vous que la fracture numérique à l’intérieur des pays a eu une incidence sur la fracture sociale durant cette crise ?

Plutôt que causée par la fracture numérique, c’est la fracture sociale préexistante qui a été amplifiée. L'étude PISA démontre que 9 élèves de 15 ans sur 10 déclarent être connectés à internet en France et avoir chez eux un ordinateur pour faire leurs devoirs, il n’y a donc pas de fracture colossale en termes d’équipements. Pour autant, ceux qui n’ont pas d’ordinateurs sont principalement dans des zones défavorisées. La vraie fracture a été dans l’aide apportée à l’enfant en dehors des sessions scolaires. Le système d’éducation français est souvent critiqué car, par rapport à d’autres pays, il comprend une forte part de travail en dehors de la classe. Or c’est ce travail à la maison qui accentue les inégalités, tous les parents ne sont pas en mesure d’apporter la même aide à leurs enfants dans les devoirs ou de leur offrir des cours privés.

La vraie fracture a été dans l’aide apportée à l’enfant en dehors des sessions scolaires.

Durant cette crise, il y a eu beaucoup de problèmes au début sur les plateformes informatiques, les classes virtuelles n’étaient pas systématiquement mises en place durant les premières semaines de confinement. Cela a démontré un manque de préparation aux outils numériques de la part des enseignants, et la crise a donc été un processus d’enseignement tant pour les élèves que les enseignants qui ont du évoluer pour améliorer la qualité des supports éducatifs.

En Estonie, mais aussi en Australie et au Québec par exemple, pour sortir de l‘Europe, l’utilisation du numérique lors de l’apprentissage est plus courant. Les élèves, quel que soit leur niveau, sont habitués à utiliser ces outils. En Australie, l’école à distance était déjà une réalité dans certaines zones défavorisées ou isolées bien avant la crise. Mais cela n’est pas l’unique problème. En France, les programmes éducatifs sont centrés sur les disciplines et la théorie. Utiliser les outils numériques pour enseigner, travailler sur des projets regroupant plusieurs matières ne fait pas du tout partie de la culture du pays. La priorité est donnée à la maîtrise des savoirs fondamentaux, certes importante mais insuffisante pour faire face aux enjeux du monde de demain. D’ailleurs, de nombreux pays, le Canada, la Finlande ou la Slovénie, pour n’en citer que quelques-uns, accordent déjà depuis assez longtemps une place plus importante à l’acquisition de soft skills et à la transversalité des apprentissages. Ces pays-là sont mieux préparés à être flexible, à fonctionner en équipe et à s’adapter aux nouvelles façons de travailler. En France, cela a été plus difficile au début.

Pour autant, la crise a eu un aspect bénéfique en permettant des progrès, que cela soit dans le développement d’outils numériques ou dans l’appropriation de ceux-ci par les enseignants. Ainsi, le partage de bonnes pratiques qui n’était pas courant auparavant a été développé et il est essentiel de le sauvegarder à l’avenir. Encore une fois, cela met en exergue le caractère inégalitaire de l’école, non seulement pour les élèves mais aussi pour les enseignants. Même à l’intérieur d’un établissement, des écarts colossaux existent dans la préparation des enseignants. Cette difficulté d’appréhension des outils numériques par les enseignants couplée au manque d’aide proposée à certains élèves ont causé le creusement des inégalités. La crise a ainsi davantage été amplificateur plutôt que créateur d’inégalités.

Quelles sont, selon vous, les leçons à tirer de cette crise sans précédent dans le domaine de l’éducation afin d’y apporter des améliorations ?

Le point essentiel est de ne pas revenir en arrière. Il est crucial de chercher à intégrer davantage ces nouveaux outils numériques. L’étude PISA 2015 a démontré que ce n’était pas l'utilisation excessive du numérique qui avait un impact bénéfique mais son utilisation modérée et ciblée. Cette transformation vers les outils digitaux apporte en plus des compétences qui seront utiles au 21e siècle. Il faudra donc continuer à approfondir les connaissances des professeurs dans ces matières pour qu’ils les partagent aux élèves.

Cela met en exergue le caractère inégalitaire de l’école, non seulement pour les élèves mais aussi pour les enseignants

De plus, la culture de l’évaluation est centrale et il va être important de faire des débriefings dans les écoles pour ressortir de cette crise avec un éventail de bonnes pratiques qui pourront être partagées avec toute la communauté éducative. La réponse a été inégale entre établissements et à l’intérieur de ceux-ci, il faut donc que cette expérience serve à collecter les informations nécessaires pour amener l’éducation au format digital dans un cercle vertueux pour les élèves, les enseignants et les parents.

Il y a aussi une réflexion à avoir concernant ceux qui ont le plus souffert de la fermeture des écoles, les élèves défavorisés bien sûr, mais aussi ceux qui sont scolarisés dans les filières professionnelles. La réouverture de ces filières est ainsi à la fois un défi et un enjeu pour les pays. Pour les pays ayant une forte part d’apprentissage, aider les entreprises à garder ces apprentis est crucial et les filières professionnelles sont celles qui risquent de souffrir grandement de cette crise : il ne faudra pas les oublier lors de la relance.

 

Copyright : Yann Schreiber / AFP

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