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16/07/2021

Course à la chancellerie : les partis allemands et la Russie de Poutine

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Course à la chancellerie : les partis allemands et la Russie de Poutine
 Bernard Chappedelaine
Auteur
Ancien conseiller des Affaires étrangères

Les élections fédérales qui se tiendront en Allemagne le 26 septembre 2021 éliront le 20e Bundestag, qui choisira le successeur d’Angela Merkel à la chancellerie. Trois partis mènent la course : les conservateurs (CDU-CSU), les Verts et les sociaux-démocrates (SPD). Dans cette série d’articles, l’Institut Montaigne propose un suivi des élections qui vont se révéler cruciales pour l’Allemagne et l’Europe. 

L’attitude de la Chancelière à l’égard de la Russie a toujours été double : tenter de maintenir un dialogue constructif avec Moscou malgré la radicalisation évidente du régime de Vladimir Poutine et sanctionner les violations par le Kremlin de ses engagements internationaux. La Chancelière, qui a grandi en ex-Allemagne de l’Est, apparaît comme l’une des seules dirigeantes occidentales capable de comprendre les ressorts profonds d’un président ancien officier du KGB. Son départ marquera incontestablement un tournant dans les relations entre l’Allemagne et la Russie. 

Loin du partenariat stratégique que Berlin voulait bâtir avec Moscou dans la décennie 2000, les relations germano-russes sont en crise. L’annexion de la Crimée en 2014 constitue un point de rupture. Vladimir Poutine a eu abondamment recours à l’histoire de l’Allemagne pour justifier son comportement agressif en comparant les nationalistes ukrainiens aux nazis, le rattachement de la Crimée à la réunification de l’Allemagne et en instrumentalisant le "syndrome de Weimar". Cette violation du droit international a heurté beaucoup d’Allemands, attachés à "l'ordre de paix européen" ("europäische Friedensordnung"). La chancelière a pris l’initiative de sanctions au plan européen qui ont surpris le Kremlin. Cette décision fut considérée comme la première affirmation d’une Allemagne plus géopolitique, à laquelle le reste du monde ne s’attendait pas. 

D’autres ingérences ont terni l’image de la Russie, qu’il s’agisse de la cyber-attaque menée contre le Bundestag en 2015, de "l’affaire Lisa F.", du nom d’une jeune germano-russe prétendument enlevée et violée par des migrants en 2016, qui a donné lieu à une campagne de désinformation en Russie, ou encore du meurtre d’un opposant tchétchène en 2019 dans le Tiergarten à Berlin, à quelques mètres de la Chancellerie, attribué aux services secrets russes. La tentative d’assassinat d’Alexei Navalny en 2020, hospitalisé à Berlin, a ramené à l’étiage la relation Berlin-Moscou. Récemment, trois ONG allemandes, engagées dans le "dialogue de Petersbourg", dont l'objet est de renforcer les liens entre les sociétés civiles allemande et russe, ont été déclarées "indésirables" par Moscou, entraînant une protestation de l’Auswärtiges Amt.

Tout en manifestant sa fermeté à l’égard de sa dérive autoritaire, Merkel est attentive à maintenir le dialogue avec le Kremlin.

Pour des raisons diverses allant de l’anti-américanisme au pacifisme, du remord lié aux crimes commis par les nazis en URSS à la gratitude envers M. Gorbatchev pour avoir accepté la réunification, une partie de l’opinion (Rußlandversteher), exprime toutefois une certaine complaisance à l’égard du Kremlin.

Ce courant traverse quasiment tous les partis, l’AfD se singularise toutefois par un soutien ouvert aux positions de Moscou, où Alice Weidel et Tino Chrupalla, ses têtes de liste, séjournent régulièrement. Le débat sur le gazoduc Nord Stream 2 illustre la complexité de la relation germano-russe.

Tout en manifestant sa fermeté à l’égard de sa dérive autoritaire, Merkel est attentive à maintenir le dialogue avec le Kremlin, d’où la proposition, avortée, faite conjointement avec le Président de la République de convoquer un sommet UE/Russie. Les programmes des principales formations en lice ne laissent pas escompter un changement radical d’attitude de Berlin, chaque parti devant toutefois gérer ses contradictions. La base des Verts, les plus préoccupés de la menace russe, reste empreinte de pacifisme, au sein de la CDU/CSU coexistent des personnalités très critiques (Norbert Röttgen) et des dirigeants régionaux comme Michael Kretschmer, ministre-président de Saxe, reçu récemment par Poutine, qu’il a invité à Dresde (où l’ancien officier du KGB a été en poste). Quant aux Sociaux-démocrates, ils entendent renouer avec l’Ostpolitik, dont la philosophie ("changement par le commerce et par le rapprochement"), a montré ses limites dans le cas de la Russie comme de la Chine. 

La violation par la Russie de "l'ordre de paix européen" est largement condamnée

"Le défi lancé à nos valeurs par la Russie" est critiqué par la CDU/CSU, tandis que Les Verts fustigent les "aspirations autoritaires à l'hégémonie de pays comme la Chine et la Russie, qui suppriment systématiquement les droits de l'homme et des citoyens, cherchent non seulement à placer les États dans une dépendance économique et politique, mais veulent diviser l'UE". "La concurrence systémique globale avec les États autoritaires et les dictatures est une réalité", soulignent les écologistes dans leur programme, qui plaide pour une "offensive démocratique et un renforcement de la coopération internationale entre les démocraties", car "toute forme de cavalier seul serait condamnée à l'échec". "Nous voulons renforcer l'État de droit, l'intégration régionale, la société civile et les droits de l'homme en améliorant et en développant la coordination interne", indiquent encore Les Verts. 

"Nous voulons éviter la résurgence d'une menace militaire sérieuse pour nous en Europe", souligne la CDU/CSU qui reproche à Moscou de recourir à des "menaces explicites à l'encontre des alliés de l'OTAN, à des cyber-attaques, à la désinformation et à la propagande". "Le soutien de la Russie à des dictateurs comme Alexander Loukachenko ou Bachar al Assad, de même que les campagnes de désinformation et les cyber-attaques pilotées par le Kremlin menacent la sécurité internationale", dénonce le FDP.

"Nous voulons éviter la résurgence d'une menace militaire sérieuse pour nous en Europe", souligne la CDU/CSU.

"Les principes du droit international, des droits de l'homme et de l'ordre de paix européen, auxquels a explicitement adhéré la Russie en signant la Charte de Paris, ne sont pas négociables", avertit le parti libéral. "Qu'il s'agisse de l'annexion de la Crimée en violation du droit international, de l'appui fourni aux séparatistes dans l'est de l'Ukraine, des cyber-attaques visant le Bundestag ou de l'utilisation du novitchok, arme chimique bannie au plan international, pour éliminer ses adversaires politiques internes, la Russie viole régulièrement le droit international et porte atteinte aux relations avec ses voisins", écrit le SPD dans son programme. 

L’AfD se distingue des autres partis en occultant la question des valeurs et des libertés publiques et le comportement agressif de la Russie, elle se limite aux questions de défense et de sécurité européenne : "la détente avec la Russie est la condition d'une paix durable en Europe. Il est dans l'intérêt allemand et européen d'impliquer la Russie dans une structure globale de sécurité". Favorable à la reprise de réunions régulières du conseil OTAN-Russie, l'AfD juge que "l'élargissement et l'approfondissement des mesures de confiance et de sécurité, la coopération sur le contrôle des armements et le refus de l'extension des infrastructures militaires à proximité des différentes zones d'intérêt contribuent à la détente". 

Le conflit russo-ukrainien fait l'objet, dans la plupart des programmes, d'un développement spécifique 

"Notre objectif demeure le rétablissement de l'ordre de paix européen, mis en cause par l'annexion illégale de la Crimée par la Russie. Nous continuerons à nous mobiliser pour mettre un terme au conflit dans l'est de l'Ukraine et rétablir le statut légitime de la Crimée en droit international. Tant que le gouvernement russe n'y est pas disposé, les sanctions doivent être maintenues", déclare la CDU/CSU. La position des Verts est voisine : "l'UE a formulé des conditions claires pour alléger les sanctions imposées à la Russie en raison de l'annexion illégale de la Crimée et de son intervention en Ukraine. Nous nous y tiendrons et, au besoin, nous renforceront ces sanctions". Les écologistes demandent l'arrêt de la construction du gazoduc Nord stream 2, projet "en contradiction avec les intérêts énergétiques et géostratégiques de l'UE, qui menace la stabilité de l'Ukraine". Dans un débat récent, Armin Laschet (CDU) et Olaf Scholz (SPD) se sont rapprochés de la position défendue par Annalena Baerbock en se déclarant favorables à un arrêt de l’exploitation de Nord stream 2 s’il est utilisé par Moscou à des fins de pressions sur l’Ukraine.

Les écologistes demandent l'arrêt de la construction du gazoduc Nord stream 2, projet "en contradiction avec les intérêts énergétiques et géostratégiques de l'UE, qui menace la stabilité de l'Ukraine". 

"La voie vers une solution pacifique du conflit en Ukraine et la fin des sanctions dépendent en grande partie de l'application des accords de Minsk", estime le SPD. "Nous exigeons qu'un terme soit mis sans délai à la violence dans l'est de l'Ukraine et à l'annexion de la Crimée, contraire au droit international, peut-on lire dans le programme du FDP. C'est pourquoi nous soutenons expressément les sanctions décidées par l'UE. En cas de nouvelle escalade militaire en Ukraine, l'UE doit durcir les sanctions, car elles ne sont pas un objectif en soi, mais servent le retour à l'ordre de paix.

L'UE doit parler d'une seule voix. Un allègement ou une levée des sanctions sont envisageables uniquement si les accords de Minsk sont appliqués". L'AfD se singularise en se déclarant favorable à la "suppression des sanctions de l'UE" et au projet Nord stream 2, jugé "indispensable". 

La situation interne en Russie est analysée par les partis les plus associés à la défense des droits de l'homme

"La Russie se transforme de plus en plus en un État autoritaire, dont la politique étrangère menace, par de moyens militaires et hybrides, et de manière croissante la démocratie et la paix dans l'UE et dans tout le voisinage commun", affirment les Verts, qui relèvent "l'affirmation d'un mouvement démocratique en Russie". "Nous voulons apporter notre soutien à une société civile courageuse, soumise de la part du Kremlin à une répression toujours plus forte, qui lutte pour les droits de l'homme, la démocratie, l'État de droit et l'autodétermination sexuelle, et intensifier les échanges culturels, politiques et scientifiques avec elle", ajoutent-ils. "Nous dénonçons vigoureusement l'assassinat de B. Nemtsov, l'empoisonnement ciblé d'adversaires du régime, les actions visant à l'élimination physique et politique de figures majeures de l'opposition comme A. Navalny, les arrestations massives de manifestants pacifiques et les restrictions systématiques à la liberté de la presse", déclare le FDP, qui attribue au "Président Poutine une responsabilité directe dans l'évolution autoritaire croissante de la Russie". 

Le dialogue avec la Russie est jugé indispensable par tous les partis

Les formations les plus critiques de l'orientation actuelle de la Russie prônent néanmoins le maintien d’un dialogue. Ainsi le FDP s'inscrit dans la tradition de la diplomatie d'ouverture incarnée par les grands ancêtres que furent Walter Scheel et Hans-Dietrich Genscher : "la politique étrangère libérale ne peut pas s'arrêter aux frontières de l'UE, du point de vue humain, culturel et économique, la Russie demeure étroitement liée à l'Allemagne". "Nous, Libéraux démocrates, voulons maintenir ouverts les canaux de communication, en premier lieu avec des organisations de défense des droits de l'homme comme Memorial. Nous restons attachés à l'objectif d'un rétablissement de la confiance. Nous voulons faciliter les mouvements de la société civile par l'allègement des procédures de visa", affirme le FDP qui appelle le gouvernement russe à "rétablir l'État de droit, à respecter les libertés publiques et le droit international".

"Nous continuons à rechercher le dialogue et la coopération là où existent des intérêts communs, écrivent les Chrétiens-démocrates. C'est le cas par exemple pour la protection globale du climat, qui ne peut être efficace sans la Russie, et pour la coopération économique qui est dans l'intérêt commun". Les Verts se prononcent eux aussi en faveur d'un "dialogue constructif avec la Russie sur le climat". Nonobstant les "critiques fondées" adressées à Moscou, le SPD "mise aussi sur la Russie et sur sa disponibilité au dialogue à la coopération". 

Sur le continent européen, affirment les Sociaux-démocrates, "il ne peut y avoir de paix contre, mais seulement avec la Russie".

Nonobstant les "critiques fondées" adressées à Moscou, le SPD "mise aussi sur la Russie et sur sa disponibilité au dialogue à la coopération". Sur le continent européen, affirment les Sociaux-démocrates, "il ne peut y avoir de paix contre, mais seulement avec la Russie". Leur programme juge "précieux" les contacts entre les sociétés civiles, "que nous voulons encourager et développer, y compris par des allègements en matière de visa pour les échanges de jeunes". Tout en constatant que les relations de l'UE avec la Russie connaissent "régulièrement des revers", le SPD considère qu'il est "de l'intérêt allemand et européen de parvenir à des progrès sur les questions de sécurité commune, de désarmement et de maitrise des armements, en matière de climat, de développement durable, d'énergie et de lutte contre les pandémies". Déclarant vouloir "se fonder sur les valeurs et les principes de l'OSCE", les héritiers de Willy Brandt et d’Egon Bahr (l’architecte de l’Ostpolitik auquel Poutine se réfère dans la tribune qu’il a publiée dans die Zeit) indiquent :"nous aspirons à une nouvelle Ostpolitik européenne, qui pose les jalons d'une politique commune et cohérente de l'UE à l'égard de la Russie. Une disposition constructive au dialogue de la part de la Russie est la condition pour œuvrer à la réduction des tensions". 

 

 

Copyright : Pavel Golovkin / POOL / AFP

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