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15/05/2020

Coronavirus et Afrique - Le Maroc, un modèle de gestion de la crise ?

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Coronavirus et Afrique - Le Maroc, un modèle de gestion de la crise ?
 Larabi Jaïdi
Auteur
Senior Fellow au Policy Center for the New South

Avec près de 6 500 cas déclarés au 13 mai, le Maroc est le troisième pays africain le plus touché par le Covid-19. Érigé comme modèle de gestion du Covid-19, notamment par ses voisins, le Maroc n’a pas lésiné sur les moyens, en particulier financiers, pour faire face à la crise. Alors que le confinement total du pays ne devrait pas être levé avant le 24 mai, plusieurs scénarios de reprise sont envisagés par les autorités. Quelle est la situation sanitaire actuelle ? Quels sont les impacts économiques de la crise au Maroc ? Quelle stratégie de sortie de crise ? Larabi Jaïdi, Senior Fellow au sein du think tank marocain Policy Center for the New South, nous livre son analyse.

Quelle est la situation sanitaire actuelle au Maroc ? Comment pourrait-elle évoluer dans les prochaines semaines ?

Le diagnostic des pouvoirs publics au lendemain des premiers signaux de l’épidémie Covid-19 établissait que le Maroc risquait d’être exposé rapidement à cette épidémie. Le Maroc est positionné géographiquement à quelques encablures du continent européen (15 kilomètres), il est ouvert sur le reste du monde par ses échanges de biens et services et de mouvements humains, une diaspora marocaine importante réside notamment en Espagne et en Italie, et le pays est un hub aérien entre les pays du Nord et du Sud.
 
Le bilan du ministère de la Santé, à la date du 11 mai, fait état d’un cumul de 6 418 cas et de 188 décès. 64 299 personnes ont été testées négatives. Le taux de morbidité reste stable à 2,9 %. Les mesures prises ont permis d'éviter 6 000 décès. Le total des guérisons est de 2 991. Le nombre de malades pris en charge dans un état médical critique reste stable : 81 cas en réanimation ou en soins intensifs. Sur plus de 1 600 lits de réanimation, seuls 5 % sont utilisés. La fréquence des analyses au laboratoire des cas suspects de coronavirus a augmenté, passant de moins de 1 000 tests à plus de 2 000 tests par jour.

Sur les nouveaux cas confirmés de Covid-19, 80 % proviennent du suivi des cas contacts. Sur ces cas, une forte majorité provient de contaminations familiales et professionnelles (entreprises et centres commerciaux). L'apparition de foyers familiaux s’explique par la cohabitation dans une faible superficie, rendant l'isolement difficile. La prolongation de l'état d'urgence sanitaire exprime la volonté de maintenir une vigilance dans le suivi de l’épidémie pour éviter l’apparition ou la résurgence de clusters même si le R0 (taux de production du virus) a baissé. Il était de 3, il est désormais inférieur à 2. Vraisemblablement, le déconfinement se déroulera de manière progressive et selon la situation épidémiologique des différentes régions. Une stratégie de déconfinement est actuellement en cours d'élaboration, plusieurs scénarios sont étudiés. Ses modalités dépendront des données scientifiques sur la nature du virus, l’infrastructure des hôpitaux, la capacité de protection de l'économie et du pouvoir d'achat des consommateurs.

Quelle est la stratégie adoptée par les autorités pour combattre l'épidémie ?

Le 25 mars a été déployé un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de 10 milliards de dirhams (soit 934 millions d’euros).

Des actions ont été très rapidement engagées pour minimiser la portée de la chaîne de contamination de l’épidémie : des "postes de commandement Coronavirus" ont été mis en place aux échelles territoriales appropriées pour assurer la veille et la coordination, avec les services sanitaires, de l’identification et de la localisation de l’épidémie. Cette initiative a été renforcée par un verrouillage des frontières, une interdiction des rassemblements, la fermeture des écoles, puis des mesures drastiques incitant à un confinement volontaire puis obligatoire.

Le ministère de la Santé a déployé une série d’actions pour élever son niveau de vigilance dans le suivi de la situation épidémiologique en temps réel. Il a ajusté son mode de fonctionnement par la mise en place d’un Comité technique et scientifique consultatif, dont l’une des missions est la définition d’un protocole de prise en charge des malades atteints de Covid-19. Parallèlement, le 25 mars a été déployé un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie de 10 milliards de dirhams (soit 934 millions d’euros). Doté initialement de ressources budgétaires, puis abondé par des contributions du privé et du public, le Fonds devait servir à financer des dépenses de mise à niveau du dispositif médical, à soutenir l’économie nationale pour faire face au choc, à préserver les emplois et à atténuer les répercussions sociales de la pandémie. Un Comité de veille interministériel a piloté le plan d’action sous ses volets économique et social.

Une indemnité mensuelle est octroyée jusqu’à fin juin 2020 au profit des salariés déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), en arrêt temporaire de travail, dans les entreprises en difficulté. Elle a concerné 132 000 entreprises sur les 216 000 affiliées à la Caisse, et près de 900 000 salariés. Ces derniers bénéficient également du report du remboursement des échéances des crédits de consommation et de logement. Des transferts monétaires ont été opérés en faveur de 2,3 millions de ménages affiliés au Régime d'assistance médicale, dont 38 % sont issus du milieu rural. Ces transferts ont été étendus aux actifs travaillant dans le secteur informel et qui ne bénéficient pas du régime d’Assistance, soit 2 millions de ménages. Ainsi, 4,3 millions de familles opérant dans le secteur informel bénéficieraient du soutien du fonds spécial Covid-19.

Le Comité de veille a pris un ensemble de mesures en faveur des entreprises touchées par cette pandémie, notamment les TPE, les PME et les professions libérales. Il a consenti des reports de remboursement d’échéances des crédits bancaires et de crédits leasings (310 000 demandes), accordé des garanties de crédit au profit des entreprises dont la trésorerie s'est détériorée (9 000 prêts). D’autres mesures ont participé à alléger les contraintes financières des entreprises : report du dépôt des déclarations fiscales, suspension des contrôles fiscaux, exonération de l'impôt, assouplissements des paiements de pénalités de retard sur les marchés publics, prêts sans intérêts au profit des auto-entrepreneurs. Le Comité de veille a également mis en place plusieurs mesures pour faciliter le financement de l’économie par le système bancaire et répondre aux besoins en liquidité des entreprises. Les banques ont été invitées à surseoir au provisionnement des crédits qui feront l’objet d’un moratoire et à utiliser les coussins de liquidité après un relâchement des ratios prudentiels.

La population soutient-elle les mesures adoptées ?

Aujourd’hui, la population est consciente de la gravité du risque et on observe plus de responsabilité dans l’application des directives publiques. Les appels de l’État à respecter les gestes barrières, les normes de distanciation sociale et d’hygiène et le port du masque ont trouvé un écho favorable auprès de la majorité des citoyens.

La vitesse de propagation du virus a progressivement conduit les autorités à adopter des mesures plus contraignantes, limitant la mobilité des personnes. Une loi d’urgence sanitaire a été édictée et le confinement a été imposé. Tous les moyens de l’État ont été mobilisés pour l’application de la loi : une communication à l’adresse du citoyen, un contrôle sur les débordements, une sanction en cas non-respect des lois. Ce dosage entre communication, dissuasion, et sanction a fini par créer une attitude plus responsable auprès des personnes refusant l’atteinte à leur liberté de mouvement.

Les appels de l’État à respecter les gestes barrières, les normes de distanciation sociale et d’hygiène et le port du masque ont trouvé un écho favorable auprès de la majorité des citoyens.

8 612 personnes ont été arrêtées et soumises aux enquêtes judiciaires depuis la déclaration de l'état d'urgence sanitaire au Maroc, pour diverses raisons : non possession de l'autorisation exceptionnelle de sortie, violation des mesures de l'état d'urgence sanitaire, diffusion de contenus numériques portant de fausses informations sur l'épidémie et une incitation à la désobéissance aux mesures de sécurité… La crédibilité du plan de communication déployé à l’adresse de l’opinion publique a contribué à mieux assurer l’adhésion de la population : sensibilisation en continu sur les médias, information sur le suivi de l’état sanitaire, production de kits d’information, développement de supports éducatifs, plateforme communautaire digitale. Je pense aussi que la population a été rassurée en observant que l’État "protecteur" s’engageait rapidement et efficacement pour apporter une aide sous forme de transferts monétaires aux personnes vulnérables touchées par leur perte d’emploi et de revenu suite à l’arrêt des activités de milliers d’entreprises, ou par l’impact du confinement sur les activités informelles de survie pour des milliers de foyers.

En écho à cette solidarité verticale portée par l’État, d’autres actions de solidarité de nature horizontale ont été engagées par des acteurs économiques et sociaux. Des entreprises citoyennes (publiques et privées) ont aménagé des services hospitaliers et des centres de consultation. Des unités hôtelières et de restauration se sont portées volontaires pour offrir des chambres d’accueil et des prestations de restauration aux patients convalescents ou au personnel de santé. Le bénévolat s’est manifesté par différentes actions : constitution de réseaux de fournisseurs donateurs de denrées alimentaires, mobilisation des élèves des écoles spécialisées de l’hôtellerie et de la restauration, des collectifs de citoyens et de professionnels de l’événementiel et de la production artistique. Des chercheurs universitaires se sont impliqués dans l’élaboration de modèles mathématiques de prédiction de la propagation du Covid-19 au Maroc.
 
L’État a cherché à assurer la continuité du service public au profit des usagers par une organisation de proximité appuyée par les autorités locales et les collectivités territoriales, pour permettre notamment le maintien des activités d’importance vitale, le suivi régulier de l’approvisionnement des marchés et des opérations de contrôle des prix et de la qualité des produits alimentaires. Cela a permis de renforcer la confiance de la population en la capacité de l’État à gérer cette crise.

Le système de santé est-il assez résilient pour affronter l’épidémie ?

Le Maroc dispose d’une infrastructure sanitaire qui le classe parmi les premiers pays africains, mais qui reste en deçà d’une couverture diversifiée et territorialement équilibrée. Le secteur de la santé au Maroc connaît certaines carences, notamment en matière de services rendus aux citoyens, qui demeurent insuffisants et dont la qualité ne satisfait pas toujours la population. En dépit des efforts fournis par les autorités publiques, le système sanitaire souffre encore de nombreux dysfonctionnements et d’un manque en ressources humaines.

Le Maroc dispose d’une infrastructure sanitaire qui le classe parmi les premiers pays africains, mais qui reste en deçà d’une couverture diversifiée et territorialement équilibrée.

La densité globale des professionnels de la santé au Maroc est de 1,9 pour 1 000 habitants, quand le seuil de l'OMS pour atteindre la couverture sanitaire universelle à l'horizon 2030 est de 4,45. Le rapport de nombre de lits par habitant dans le secteur public est de 0,6, contre 7 en moyenne dans les pays de l’OCDE. Ce problème est aggravé par des disparités de couverture entre les régions et à l’intérieur d’une même région. Les secteurs public et privé se développent de manière non complémentaire. Les dépenses de santé pèsent lourdement sur le budget des ménages qui en supportent 54 %. Un tiers de la population (principalement des travailleurs non-salariés) ne bénéficie pas de la couverture médicale.

Réaliste quant à ses moyens sanitaires limités (notamment ses capacités litières) et conscient que la pandémie évolue à une grande vitesse, le Maroc se devait d’être très réactif en déployant un plan d’action à plusieurs niveaux. Les ressources du fonds affecté au secteur de la santé ont servi essentiellement à l’achat d’équipement médical et hospitalier, de médicaments et de consommables médicaux, et au renforcement des moyens de fonctionnement du ministère de la Santé. Celui-ci a pris des initiatives pour augmenter et réaménager des capacités hospitalières, améliorer les conditions d’accueil des patients dans différentes villes du Maroc, plus particulièrement les villes à forte densité humaine les plus exposées au risque. Des hôpitaux militaires de campagne ont été déployés dans des villes ou à leurs périphéries pour renforcer le dispositif sanitaire civil en lits et équipements en soins intensifs. Des lots d'équipements médicaux et sanitaires ont été importés avec célérité et déployés dans les établissements sanitaires. Des stocks de médicaments ont été constitués, plus particulièrement la chloroquine produite par un groupe pharmaceutique installé au Maroc. Des entreprises marocaines, spécialisées dans la fabrication de matériel médical (respirateurs, moyens matériels des hôpitaux) ont aussi été sollicitées par des procédures accélérées. D’autres entreprises ont pu réadapter leur outil de production pour produire des respirateurs et sécuriser la production de masques.
 
Le ministère de la Santé a mis l’accent sur la détection précoce : la définition des "cas suspects" pour identifier les contaminés a été soumise à des révisions successives. Une fois les foyers importés ayant été éliminés, la vigilance s’est tournée vers les clusters internes. Le ministère a renforcé progressivement ses capacités de dépistage par la programmation de l’achat de kits de dépistage et l’acquisition de divers tests de diagnostics rapide. La couverture territoriale des tests et analyses a été élargie pour s’étendre aux Centres hospitaliers universitaires (CHU) dans différentes métropoles régionales et aux hôpitaux militaires. Enfin, la gratuité de l’accès aux soins a été assurée : des tests de dépistage jusqu’à l’admission à l’hôpital, voire dans un établissement hôtelier si les patients doivent être placés à l'isolement.

Quelles seront les répercussions économiques du coronavirus au Maroc ?

Les perspectives de croissance pour l'économie nationale ont été révisées à la baisse. Elle serait amputée de 8,9 points au deuxième trimestre 2020. Les prévisions de la demande étrangère adressée au Maroc sont aussi à la baisse, suite au fléchissement attendu des importations des principaux partenaires commerciaux du Royaume. Au repli de la demande extérieure se combinerait celui de la demande intérieure avec le prolongement de la période de confinement sur plus de la moitié du deuxième trimestre. La croissance de la consommation des ménages devrait fléchir de 1,2 % au deuxième trimestre 2020. L'investissement poursuivrait son repli au rythme de -26,5 % par rapport au deuxième trimestre 2019, pâtissant d'une accentuation du mouvement de déstockage des entreprises.

Une enquête du Haut Commissariat au Plan (l’institut national de la statistique) a relevé que près de 142 000 entreprises, soit 57 % de l'ensemble des entreprises, ont déclaré avoir arrêté définitivement ou temporairement leurs activités. Les secteurs de l'hébergement et la restauration sont les plus touchés par la crise, avec 89 % d'entreprises en arrêt, suivis par les industries textiles et du cuir (76 %), et les industries métalliques et mécaniques (73 %), ainsi que le secteur de la construction (60 %). Cette situation aurait des répercussions sur l'emploi. En effet, 27 % des entreprises auraient réduit temporairement ou définitivement leurs effectifs, soit près de 726 000 postes ou 20 % de la main d'œuvre des entreprises organisées. Ces pertes concernent 21 % des TPE, 22 % des PME et 19 % des grandes entreprises. Plus de la moitié des effectifs réduits (57 %) sont des employés des TPME (très petites, petites et moyennes entreprises).

Les résultats préliminaires d’une enquête de la CGEM (Confédération patronale) révèlent aussi que l'impact du Covid-19 a été violent : 47 % des entreprises ont vu leur activité trimestrielle baisser de plus de 50 %. 78 % des entreprises touristiques annoncent une baisse de l'emploi et les deux tiers d'entre elles une chute du chiffre d'affaires. La baisse est quasiment générale : promoteurs immobiliers, artisanat, industries culturelles et créatives, médias, textile...

57 % de l'ensemble des entreprises, ont déclaré avoir arrêté définitivement ou temporairement leurs activités.

Les entreprises touchées par la crise ont demandé des reports d'échéances bancaires (41,8 % des répondants), fiscales (37 %) ou de paiement d'acompte (33,7 %). Près de 23 % des entreprises interrogées ont demandé les trois reports d'échéances. Les entreprises sondées craignent la perte de 165 586 emplois, soit 55,11 % de leurs effectifs. Les activités ayant enregistré une baisse de plus de 50 % de chiffre d'affaires craignent de perdre 100 000 emplois. L’enquête souligne que 39,2 % des entreprises sont dans des arrêts temporaires et 88 % y ont eu recours ou risquent d'y avoir recours. La plupart des entreprises prévoient une reprise progressive à partir de juin mais le chiffre d'affaires, à divers degrés, restera impacté tout au long de l'année. Les plus impactés dans la durée semblent être le tourisme, l'immobilier puis le textile.

Les instances décisionnaires pensent-elles déjà l'après ? Quelles stratégies de sortie de crise sont envisagées ? Quelles sont vos recommandations à ce sujet ?

Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur la date de sortie de cette crise. Elle ne sera ni globale ni immédiate après la fin de la crise sanitaire. Cette fin n’est d’ailleurs pas encore totalement visible. Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur le coût économique que le pays aura à supporter sur le moyen terme. Malgré ces incertitudes, le Comité de veille a entamé les premières réflexions sur la sortie de crise, ses modalités, ses moyens, la cohérence des séquences d’articulation entre le court et le moyen terme, etc.

Il ressort des premières réflexions du Comité qu’un Plan de sortie de crise sera annoncé prochainement. Des scénarios sont établis prenant en compte les capacités et les vitesses de redémarrage des secteurs, l’état de santé financière des entreprises, les priorités... Le Comité aura à se prononcer sur une série d’actions et d’arbitrages à faire : quels sont les secteurs prioritaires ? Ceux qui sont liés à la couverture de la demande et des besoins essentiels (alimentation, santé et transport notamment) ? Ceux qui peuvent répondre à la relance de la demande externe et sont en mesure d’aider à la reconstitution du portefeuille des réserves en devises ?

Au-delà de la hiérarchisation des priorités, la question de la mobilisation efficace et optimale des leviers d’action est aussi à l’agenda du Comité. Une relance par le soutien de la demande des ménages et par l’incitation à l’offre par l’investissement doit être pensée. Dans ce challenge, la question de la soutenabilité du financement est cruciale. La relance par le budget et la commande publique qui s’impose va être confrontée à la réduction des ressources ordinaires, au creusement du déficit budgétaire et au seuil d’endettement tolérable. Le Parlement a autorisé le gouvernement à dépasser le plafond d’endettement inscrit dans la loi de finances de 2020. L'utilisation de la ligne de précaution et de liquidité (d'un montant de 3 milliards de dollars remboursables sur une période de 5 ans, avec une période de grâce de 3 ans) négociée avec le FMI fin 2018 va permettre d'atténuer les effets de cette crise, et de préserver les réserves de devises permettant de consolider la confiance des investisseurs étrangers et des partenaires bilatéraux et multilatéraux du Maroc. Cette assurance contre les chocs extrêmes n'affecte pas le niveau de la dette publique. Néanmoins, si le déficit budgétaire dépasse une norme soutenable, il faudra financer l’endettement par d’autres lignes de crédits auprès des organismes financiers ou avoir recours au marché des capitaux sans tomber dans un régime de conditionnalité contraignant qui remettrait en cause la souveraineté financière du pays.

L’autre modalité de financement est liée à la capacité du système bancaire marocain à procurer les liquidités nécessaires aux entreprises qui, au-delà de leurs besoins de trésorerie, risquent d’être confrontées à une crise de solvabilité exigeant un renforcement de leur bilan. Dans ce défi du financement du crédit, le système financier national qui dispose d’une solidité financière reconnue sera confronté à la nécessité d’accompagner les entreprises avec une plus grande imagination et réactivité, moins de conditionnalité sur les garanties et de rigidité dans le déblocage des ressources, tout en veillant à préserver sa stabilité financière.

La réussite de la sortie dépendra, sur ce registre, de la combinaison optimale d’un policy mix, fait d’une politique budgétaire soutenable et d’une politique monétaire flexible.

Aujourd’hui, la politique monétaire et de crédit est appelée à être plus flexible, veillant aux fondamentaux de l’inflation et à l’équilibre du taux de change, tout en accompagnant la relance économique par un usage convenablement dosé des techniques conventionnelles et non conventionnelles. La réussite de la sortie dépendra, sur ce registre, de la combinaison optimale d’un policy mix, fait d’une politique budgétaire soutenable et d’une politique monétaire flexible.

Quels enseignements le Maroc pourra-t-il tirer de la crise – en termes de digitalisation des services publics par exemple ?

Le Covid-19 a obligé l’administration à prendre le train du digital. L’une des leçons de cette crise sanitaire est que la digitalisation de quelques départements ministériels a permis de garantir la continuité des services indispensables à la vie des citoyens en ayant recours au télétravail et en limitant les échanges physiques de documents et de courriers administratifs. L’Agence de développement du digital (ADD) a accompagné ces mesures en développant des plateformes digitales respectant les standards et bonnes pratiques techniques en la matière. Le "portail bureau d’ordre digital", facilitant la gestion électronique des flux des courriers entrants et sortants, le "guichet électronique des courriers" avec l’automatisation du processus de traitement des courriers au sein d’une administration donnée, le "parapheur électronique" permettant une dématérialisation complète de flux documentaires, en sont quelques exemples. Plusieurs ministères, collectivités territoriales et établissements et entreprises publics ont adhéré au travail à distance. Il faudra saisir cette opportunité pour institutionnaliser ce système, en le dotant d’un fondement juridique.

Les services de banque en ligne, la distribution des aides financières, le suivi des cours à distance dans les écoles et universités, le télétravail dans les entreprises, la télémédecine, sont autant de pratiques qui se sont développées pendant cette crise et méritent de se pérenniser.

Mais ce sont les TPE et PME qui sont les premières à souffrir de la carence en digitalisation dont fait preuve le Maroc. Alors que les citoyens et consommateurs sont globalement à l’aise avec l’outil numérique, de nombreuses PME et TPE ont du mal à opérer leur propre révolution numérique par manque de culture et de compétences numériques, insuffisance de l’accompagnement financier, fracture numérique territoriale, relations ambivalentes avec les plateformes en ligne. De quoi être alarmé quand on sait qu’elles constituent 99 % des entreprises marocaines.

Ce contexte de crise sanitaire montre que les grandes et petites entreprises doivent mettre en place une certaine forme d’agilité. Le but étant d’inscrire dans le temps une véritable stratégie autour des outils digitaux de l’entreprise. Le numérique apparaît alors non plus comme un frein mais plutôt comme une étape dans un processus de transformation. L’APEBI (Fédération marocaine des technologies de l'information, des télécommunications et de l'offshoring) s’est récemment mobilisée en lançant des appels à projets innovants à l’adresse des start-ups, TPE, PME, universités, acteurs associatifs, experts locaux...

 

Copyright : Fadel SENNA / AFP

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