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07/01/2019

COP24 : quel avenir pour l’Accord de Paris ?

Trois questions à Laurence Tubiana

COP24 : quel avenir pour l’Accord de Paris ?
 Laurence Tubiana
Directrice générale de la Fondation européenne pour le climat

La COP24, Conférence de Katowice de 2018 sur le climat, s’est tenue du 2 au 15 décembre 2018. Cette conférence est la 24ème des conférences annuelles programmées par l’ONU, dans le cadre de la convention-cadre sur les changements climatiques. Organisée en Pologne, un pays fortement consommateur de charbon, cette COP avait pour objectif d’adopter les règles d’application de l’Accord de Paris, approuvé en 2015. Que retenir de cette conférence ? Laurence Tubiana, directrice de la Fondation européenne pour le climat (ECF), négociatrice en chef de l’Accord de Paris lors de la COP21, répond à nos questions.

Cette COP a été décrite comme étant la plus importante depuis la COP21, quels en étaient les principaux enjeux ? Quel bilan pouvez-vous tirer de l’Accord de Paris, trois ans après son adoption ?

Trois ans après son adoption, l’Accord de Paris tient bon, malgré les vents contraires ! C’est même aujourd’hui le seul accord multilatéral qui rassemble pratiquement tous les pays. Il faut rappeler que cet accord est entré en vigueur en moins d’un an, ce qui constitue un record dans le système des Nations Unies. Mais la COP24 à Katowice était un moment important car nous devions adopter les règles d’application de l’accord, ce qui était essentiel pour assurer sa crédibilité.

Les décisions prises lors de la COP24 à Katowice, et notamment l’adoption des règles d’application, nous donnent un cadre pour mettre en œuvre l’Accord de Paris dans un climat de confiance. Mais évidemment cela ne suffit pas. Les pays signataires doivent maintenant prendre des engagements plus ambitieux, en ligne avec l’objectif de limiter le réchauffement à "nettement moins de deux degrés" en 2100 : c’est l’objet des prochaines batailles.

Maintenant que les règles sont en place, il n’y a plus d’excuses pour l’inaction climatique.

La COP24 à Katowice était un moment important car nous devions adopter les règles d’application de l’Accord de Paris, ce qui était essentiel pour assurer sa crédibilité.

La COP24 s’est inscrite dans la continuité de la COP21. L’objectif était de préciser les règles de mise en œuvre de l’Accord de Paris (le "Paris Rulebook"), pour nous permettre d’aller de l’avant. Ce sont ces règles que nous avons définies, établissant un cadre commun pour l’action climatique. Les règles conclues sur le mécanisme de transparence, par exemple, indiquent de quelle manière les pays doivent rendre compte des mesures prises dans la lutte contre le réchauffement climatique et des résultats obtenus. Elles permettront aussi de vérifier la bonne mise en œuvre des engagements de chaque pays.

Ce processus est essentiel pour établir la confiance entre les États. Les gouvernements devront rendre compte de leurs actions et contribueront ainsi à renforcer la confiance mutuelle en assurant qu’il n’y ait pas de "passager clandestin", ce qui est une condition essentielle pour renforcer progressivement nos efforts collectifs.

Les experts du GIEC dans leur rapport spécial publié en octobre dernier nous disent qu’il est encore possible d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, mais qu’il faut relever pour cela l’ambition et donc réduire les gaz à effet de serre de façon drastique : d’environ 45 % en 2030, par rapport aux niveaux de 2010. Quant au rapport de l’ONU Environnement publié avant la COP24, il a rappelé l’insuffisance des engagements pris par les parties à l’accord. En l’état actuel, ceux-ci donneraient lieu à une élévation de la température moyenne de la planète de plus de 3°C d’ici 2100 par rapport aux niveaux préindustriels, avec des conséquences dramatiques pour nos économies et nos sociétés.

Certains pays en ont pris conscience et plusieurs déclarations encourageantes ont eu lieu dans le cadre de la COP24. Au sein de la "High Ambition Coalition", une trentaine de pays dont la France se sont engagés à relever leur ambition à court et à long terme, en ligne avec les objectifs de l’Accord de Paris. De nombreux autres acteurs – gouvernements locaux, entreprises et organisations non-gouvernementales (ONG) par exemple – ont aussi exprimé leur adhésion à cette initiative.

Les annonces de réapprovisionnement financier de différents fonds climatiques faites à la COP24, notamment par l’Allemagne et la Norvège, ont aussi apporté un soutien précieux à la mise en œuvre de l’Accord de Paris. Les contributions de la part des pays, ainsi que les déclarations de financement de la part de plusieurs banques et investisseurs, offrent notamment une plus grande garantie aux pays plus vulnérables, leur permettant d’initier des actions climatiques plus ambitieuses.

Vous étiez à la COP à Katowice, quels éléments vous ont particulièrement marqués ? 

Un aspect qui m’a particulièrement marqué à la COP cette année est la proéminence de discussions portant sur les questions de justice sociale, et leur relation à l’action climatique.

Beaucoup craignaient, à la suite du mouvement des gilets jaunes faussement présenté par certains comme un mouvement "anti-écologique", que la France ne remette en cause ses objectifs climatiques. De ce point du vue, les récentes annonces du gouvernement ont permis de clarifier le fait que la réponse à ce mouvement devait être apportée sur le terrain de la justice sociale et fiscale, et non en renonçant à le transition écologique. Ce que nous rappelle ce mouvement, c’est que la justice sociale doit être placée au cœur de la transition écologique.

L’inquiétude sociale autour du changement climatique n’a cessé de s’accroître cette année, notamment à la suite du rapport alarmant du GIEC, mais aussi parce que l’on a fait l’expérience d’épisodes météorologiques extrêmes : sécheresse, incendies, inondations, températures élevées sans précédent…

Beaucoup ont rejoint les marches pour le climat organisées en marge de la COP en Pologne, mais aussi en France, où de nombreux gilets jaunes ont participé à la marche. Opposer action climatique et justice sociale est un non-sens car les deux doivent avancer ensemble, mais il faut construire précisément les mesures de politique publique pour accompagner la transition et compenser les impacts négatifs sur tel ou tel type de populations. 

La justice sociale doit être placée au cœur de la transition écologique.

A la COP24, le discours de Gretha Thunberg a été le plus marquant pour moi – et pour beaucoup d’autres, je pense ! Cette jeune Suédoise de 15 ans est montée à la tribune pour rappeler les gouvernements à leurs responsabilités dans un discours empreint d’une impressionnante maturité, après avoir mené un mouvement de grève dans les écoles à travers l’Europe pour demander des actions climatiques ambitieuses et urgentes.

Quelles sont les prochaines étapes clés en matière d’action climatique pour les différents gouvernements, et plus particulièrement le gouvernement français ? 

Maintenant que les règles de mise en œuvre de l’accord sont en place, il s’agit de remobiliser les gouvernements.

D’ici 2020, selon les dispositions de l’Accord de Paris, les pays doivent présenter de nouveaux engagements à l’horizon 2030. Ces "contributions déterminées au niveau national" (CDN), censées expliquer les mesures que chaque pays prévoit de mettre en place pour atteindre les objectifs à long terme de l’accord, devront être bien plus ambitieuses que celles proposées à la veille de la COP21. Beaucoup d’éléments nouveaux plaident pour cela : notamment le rapport du GIEC réalisé à la demande de la COP21, qui montre que dépasser 1.5°C de hausse des températures serait très lourd de conséquences ; mais aussi le coût des technologies bas carbone qui a encore baissé depuis 2015, notamment dans la production d’électricité et les transports, et va continuer à se réduire.

Comme nous l’indiquent différent rapports scientifiques publiés récemment, il existe un écart trop important entre les engagements actuels des pays et les trajectoires de décarbonation nécessaires pour éviter les pires conséquences du changement climatique. Il faut réagir, et vite !

Maintenant que les règles de mise en œuvre de l’Accord de Paris sont en place, il s’agit de remobiliser les gouvernements.

Le Sommet sur le Climat organisé par le Secrétaire des Nations Unies Antonio Guterres en septembre 2019 sera l’occasion pour chaque pays de faire part de ses intentions. Déjà à la COP24, plusieurs pays (le Costa Rica, les Maldives, le Chili, l’Ukraine et le Liban entre autres) ont annoncé qu’ils entameraient très prochainement le processus de révision de leur contribution nationale. On attend bien sûr de l’UE qu’elle en fasse de même, et les décisions prises cet automne pour relever les objectifs d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique nous donnent une bonne base pour relever nos objectifs climatiques à 2030.

D’ici 2020, les pays doivent aussi présenter leur stratégie de long terme, censée préciser leur trajectoire de décarbonation à l’horizon 2050, au niveau de l’économie dans son ensemble et des différents secteurs. A cet égard, la France a publié fin novembre sa nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC), tandis que l’UE a présenté ces scénarios en posant clairement la neutralité carbone comme l’objectif à viser d’ici 2050.

A présent, il est crucial qu’au niveau européen et national, les acteurs, notamment économiques, s’approprient ces plans, et qu’ils les intègrent dans leur propre processus de planification. C’est ainsi que l’Accord de Paris pourra jouer son rôle de prophétie auto-réalisatrice. 

2019 et 2020 seront donc deux années cruciales pour l’action climatique, pendant lesquelles tous les acteurs, gouvernements, autorités locales, décideurs économiques et financiers et citoyens, devront se mobiliser et se mettre en ordre de bataille pour accélérer, tous ensemble, l’action pour le climat.


Crédit photo : © cop24.gov.pl

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