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22/01/2018

Contraindre ou inciter ? L’installation des médecins dans les déserts médicaux à nouveau en débat

Contraindre ou inciter ? L’installation des médecins dans les déserts médicaux à nouveau en débat
 Angèle Malâtre-Lansac
Auteur
Ancienne directrice déléguée à la Santé

Comment en finir avec les déserts médicaux ? Cette question n’a pas fini d’alimenter le débat public. Jeudi 18 janvier, une proposition de loi visant à empêcher l’installation des médecins dans les zones déjà bien pourvues a été examinée en séance publique à l’Assemblée nationale. Ainsi, un jeune médecin qui souhaiterait s’installer ne pourrait être conventionné par l’Assurance-maladie (et voir ses consultations prises en charge par la Sécurité sociale) que si son installation coïncide avec le départ d’un médecin exerçant dans la même zone : c’est le principe du "un départ pour une arrivée". L’idée derrière cette proposition est bien entendu de contraindre les médecins à s’installer là où le nombre de médecins par habitant est insuffisant

Le conventionnement sélectif : une mesure serpent de mer  

L’idée de contraindre l’installation des jeunes médecins généralistes libéraux ressort fréquemment dans le débat public. Cette proposition a déjà fait l’objet de nombreux plans par le passé dont les résultats ont été jusqu’alors peu significatifs.

Ainsi, en 2013, la commission du développement durable du Sénat avait proposé dans son rapport Déserts médicaux : agir vraiment, de mettre en place le conventionnement sélectif et d’obliger les jeunes médecins à l’issue de leur formation à exercer pendant leurs premières années dans un territoire où l’offre de médecins était insuffisante. En novembre dernier, un rapport de la Cour des comptes sur l’avenir de l’Assurance-maladie proposait lui aussi de mettre en place un conventionnement sélectif. Ce système existe par ailleurs pour d’autres professions de santé comme les infirmiers ou les sages-femmes.

Pourtant, la littérature internationale montre que les politiques de coercition envers les médecins -  menées par exemple au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Autriche - n’ont pas permis de mettre fin aux inégalités de répartition géographique, voire ont eu pour conséquence de limiter l’attractivité de la profession vis-à-vis des étudiants. Quand on sait que 25 % des jeunes diplômés en médecine renoncent à s’inscrire à l’Ordre pour exercer d’autres professions, il est aisé d’imaginer que des mesures coercitives ne sauraient aller dans le bon sens.

Payer plus les médecins pour les inciter à s’installer dans des zones en difficulté ?

Outre les mesures contraignant l’installation, des incitations financières ont également été mises en place pour répondre à la question des déserts médicaux. Ainsi, tout médecin s’installant dans une zone sous dotée peut bénéficier d’une aide à l’installation de 50 000 euros.

Le précédent gouvernement avait également créé le statut de Praticien territorial de médecine générale qui offre un complément de rémunération (jusqu’à 3105 € brut mensuels) aux jeunes médecins s’installant dans ces territoires  ou encore la possibilité pour les étudiants en médecine de recevoir durant leurs études une allocation mensuelle de 1200 € (contrat d’engagement de service public) en contrepartie de l’engagement de s’installer, à l’issue de leur formation, dans une zone sous-dotée pour une durée comparable à celle de l’aide.

Malgré toutes ces mesures, la répartition des médecins comme la démographie des médecins généralistes restent inquiétantes : entre 2007 et 2016, le nombre de médecins généralistes a diminué de 10 % et cette baisse tend à s’aggraver selon les projections du Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) qui estime que sur la période 2007-2025, un médecin généraliste sur quatre sera parti à la retraite et non remplacé.

La nécessité d’une revalorisation globale de la profession et des modalités d’exercice

La médecine générale fait partie des dernières spécialités choisies parmi les étudiants, avec la médecine du travail, la santé publique, la psychiatrie et la biologie médicale. L’exercice libéral est également en baisse : en 2011, sur les 6 053 médecins inscrits pour la première fois à l’Ordre, seuls 8,3 % avaient choisi de s’installer en libéral.

Les jeunes médecins souhaitent désormais avoir le choix du lieu de leur installation, mieux concilier vie privée et vie professionnelle et n’aspirent plus à exercer en solitaire. Redonner à l’exercice de la médecine générale une attractivité implique de recentrer les efforts autour de la médecine de ville, d’offrir aux jeunes médecins des conditions d’exercice plus adaptées à leur mode de vie et que ces derniers soient au cœur de l’innovation.

Revaloriser la profession et les modalités d’exercice de la médecine généraliste : ce sont là les deux missions que les pouvoirs publics doivent s’allouer de façon prioritaire. Cela passera par l’incitation aux stages en ville pendant les études, un changement des modalités de tarification pour favoriser le travail de groupe, le développement rapide de maisons de santé pluridisciplinaires possédant une taille critique, ou encore l’investissement massif dans la digitalisation de la profession et l’équipement des soins de ville en outils numériques.

Compte tenu du vieillissement de la population, les besoins de soins d’une médecine générale mieux répartie et accessible partout sur le territoire sont immenses et la France aurait tout à gagner à investir massivement pour structurer et densifier son offre de soins de ville.
 

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