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26/10/2017

Collectivités locales : l'exécutif en quête d’un nouveau rapport de force ? Trois questions à Jean-Bernard Auby

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Collectivités locales : l'exécutif en quête d’un nouveau rapport de force ? Trois questions à Jean-Bernard Auby
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La politique d’Emmanuel Macron à l’égard des collectivités locales est difficile à appréhender. Suite à la présentation du budget 2018, le climat, déjà dégradé, s’est considérablement refroidi entre le gouvernement, les maires, les présidents de régions et de départements. En cause : la suppression progressive de la taxe d’habitation, la diminution du nombre d’emplois aidés et la baisse annoncée des dotations. 
 
Quelle est la stratégie du gouvernement pour les collectivités ? Pour y voir plus clair, nous avons posé trois questions à Jean-Bernard Auby, spécialiste du droit administratif français, professeur de droit public à Sciences Po, et directeur de la chaire Mutations de l’action publique et du droit public. 

Y-a-t-il un nouveau rapport de force entre l’exécutif et les collectivités territoriales ? Les mesures budgétaires prises par Emmanuel Macron vont-elles dans le sens d’une recentralisation ? Ou au contraire vers plus d’autonomie ?

Il est difficile de répondre de manière globale. Je ne pense pas qu’il y ait de véritable stratégie en matière de décentralisation de la part de l’exécutif. Je pense que le président de la République et le gouvernement partagent une vision commune, à savoir que les réformes essentielles ont été faites et qu’il faut stabiliser le système. L’idée est que, dans un contexte de contrainte budgétaire, il faut partager l’effort entre l’Etat et les collectivités territoriales en matière de réduction des dépenses publiques. Les réductions budgétaires sont importantes et systématiques mais, en parallèle, des contreparties sont mises en place comme l’affectation de la TVA aux régions. 

On a tendance à employer le terme de recentralisation un peu vite. Recentraliser signifierait que l’Etat récupère la main de manière significative sur certaines politiques publiques, or nous ne sommes pas face à un tel scénario. Les présidents de régions sont aujourd’hui très remontés mais il ne semble pas que le président de la République ou le Premier ministre aient remis en cause le rôle de chef de file attribué aux régions avec la loi MAPTAM et la loi NOTRe. Le gouvernement ne semble en réalité pas réformateur sur le sujet, il cherche plutôt à stabiliser le système, surtout sur le plan financier. De manière globale les réformes récentes ont porté leurs fruits, mais la question des régions est centrale, on ne sait pas si elles vont être à la hauteur du rôle imaginé pour elles. 

Il est probable que l’exécutif ne soit pas viscéralement décentralisateur, mais il ne semble pas avoir véritablement de stratégie en matière de décentralisation ou de recentralisation. Emmanuel Macron en a d’ailleurs assez peu parlé durant sa campagne. Il n’y aucune expression, ni vision d’un système territorial différent, aucune mise en cause des processus de métropolisation ou d’intercommmunalisation fortement poussés par le précédent gouvernement. Ce qui prédomine aujourd’hui pour le gouvernement c’est bien la maîtrise des finances publiques, et la participation des collectivités territoriales est indispensable pour restaurer les comptes, notamment au regard des engagements européens. 

La contractualisation est-elle un moyen efficace de réguler la dépense publique locale ? Comment l’articuler avec le principe d’autonomie des collectivités territoriales ? 

En matière de dépenses publiques, il manque une règle du jeu claire. Aux Pays-Bas par exemple, il y a un pacte de solidarité formellement signé entre l’Etat et les collectivités, on s’est mis d’accord sur des critères de maîtrise de la dépense locale, sur le modèle de Maastricht pour l’Europe. En France, nous ne sommes jamais parvenus à mettre en place un tel système. Néanmoins, sur ce point, le dernier rapport de la Cour des comptes est plutôt réjouissant, les finances locales ne se portent pas trop mal, mais il faut trouver un moyen de les discipliner davantage, notamment concernant l’évolution des dépenses de personnels. 

La contractualisation pourrait être efficace mais cela est très compliqué à mettre en place. On sait contractualiser une série de dépenses données, sur des catégories de dépenses précises. Mais aujourd’hui, ce qui est en jeu dans le plan budgétaire du gouvernement, c’est une contractualisation sur l’évolution générale des dépenses, très délicate à mettre en œuvre, d’autant qu’il serait vain de raisonner de manière uniforme, étant donnés les dépenses et les besoins de financement propres à chaque collectivité territoriale. Si l’on envisage de contractualiser sur la base d’évaluations plus fines pour en déduire quelles sont les dépenses raisonnables, l’idée est bonne mais également difficile à mettre en œuvre au regard du principe d’autonomie. En effet, ce mode de fonctionnement porte un parfum évident de recentralisation. A l’heure actuelle, à l’intérieur des enveloppes données par l’Etat, les collectivités font ce qu’elles veulent. Si l’Etat tente de contrôler et d’orienter l’évolution des dépenses de manière plus fine, il s’agira en effet d’une régression sur le plan de la décentralisation. 

De façon globale, la décentralisation est-elle un vecteur de modernisation de l’action publique ? 

Sans aucun doute, la décentralisation pousse à la modernisation de l’action publique. Dans beaucoup de cas, les collectivités territoriales se montrent plus flexibles et plus adaptables que l’Etat lui-même. La culture de l’évaluation est aussi plus développée du côté des collectivités territoriales. L’Etat a le plus grand mal à évaluer ses politiques publiques et à tenir compte de ses évaluations. Aujourd’hui, grâce à des entités variées, il me semble que la culture de l’évaluation est plus présente dans le monde local, sauf peut-être en matière de gestion du personnel.
 
On n’est pas naturellement poussé à se moderniser. Or, les collectivité territoriales sont sous le regard direct des citoyens qui les élisent, payent des impôts… Ces stimulants jouent plus directement du fait du niveau de proximité des collectivités. 
 

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