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26/12/2019

China Trends #4 - La croissance chinoise : un second souffle ?

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China Trends #4 - La croissance chinoise : un second souffle ?
 Angela Stanzel
Auteur
Senior Policy Fellow

2019 pourrait être l’année de croissance économique chinoise la plus basse depuis 1992. La National Institution for Finance and Development (NIFD), un think tank basé à Pékin, a récemment estimé qu’en 2020, le taux de croissance chinois serait même inférieur à 6 %, en tablant sur une croissance de 5,8 % contre 6,1 % cette année. 5,8 % serait un taux inférieur à l'objectif de croissance que s'est fixé la Chine pour 2019 (entre 6 et 6,5 %) et laisse présager une nouvelle pression à la baisse sur l'économie chinoise. On comprend le pessimisme des économistes - en Chine comme ailleurs - quant aux perspectives de la croissance chinoise de demain. Yu Yongding, ancien président de la China Society of World Economics et directeur de l’Institute of World Economics and Politics de l'Académie chinoise des sciences sociales (CASS), estime que "la tendance à la baisse présente davantage de risques encore que ce que nombre d’observateurs ne veulent le croire"1.

Contrairement à ces prédictions bien sombres, les deux auteurs dont les analyses sont présentées dans cet article font preuve d’un certain optimisme : selon eux, la croissance de l'économie chinoise conservera un rythme raisonnable si le gouvernement privilégie les politiques économiques pertinentes. Zhang Deyong, chercheur à l'Institute of Financial and Economic Strategy de l’Académie chinoise des sciences sociales, place ses espoirs dans les nouveaux moteurs de la croissance chinoise ; Li Xunlei, économiste en chef de Zhongtai Securities et vice-président du China Chief Economist Forum, s’attache quant à lui à ses moteurs traditionnels.

L’analyse de Zhang Deyong l’amène à considérer que l'économie chinoise a plutôt bien progressé au premier semestre 2019, ce en dépit des incertitudes de son environnement extérieur et de la pression à la baisse sur l'économie2. En mai 2019, 5,97 millions d'emplois ont été créés dans les zones urbaines. La production s'est de plus stabilisée, voire a progressé, le secteur tertiaire a conservé une croissance rapide, la demande intérieure a continué de croître et le e-commerce a connu une forte croissance3. Zhang Deyong souligne de même que les exportations sont toujours en forte croissance et que l'excédent commercial chinois s'est encore accru.

L’économie chinoise s’orientant vers un "développement de haute qualité", l’innovation est devenue le premier moteur du développement.

Si la deuxième affirmation est exacte, cette vision des exportations chinoises pèche peut-être par excès d’optimisme. Ainsi, si l’on en croit le MOFCOM, le ministère du Commerce chinois : "entre janvier et septembre 2019, la valeur totale du commerce extérieur chinois a atteint 3 351,78 milliards de dollars, soit une baisse de 2,4 % si l’on compare avec  l’année précédente sur la même période. Les exportations ont atteint 1 825,11 milliards de dollars américains, soit une baisse de 0,1 % par rapport à l’année précédente (toujours de janvier à septembre), et les importations 1 526,67 milliards de dollars américains, soit une baisse de 5 %. L'excédent commercial s'est élevé à 298,43 milliards de dollars américains, augmentant ainsi de 36,1 %"4.

L’économie chinoise s'orientant vers un "développement de haute qualité", l'innovation est devenue le premier moteur du développement, comme l’écrit Zhang Deyong, permettant ainsi un essor robuste des  "trois nouvelles" économies ("三新" 经济), que sont les nouvelles industries, les nouveaux formats et les nouveaux modèles économiques (新产业、新业态、新商业模式). Ces nouvelles économies s’appuient sur l'innovation et ont été portées de différentes manières par la numérisation de l’économie, l'intelligence artificielle, le big data ou le e-commerce. En 2017, le poids de la croissance de ces "trois nouvelles" économies représentait 15,7 % de la croissance totale du PIB, soit 0,4 % de plus qu'en 2016, et 2,9 % de plus en comparaison avec le taux de croissance actuel du PIB.

Dans la lignée de l’essor de ces "trois nouvelles" économies, Zhang Deyong souligne l'incessante émergence de nouveaux modèles de consommation. Bien qu’entre janvier et avril derniers, le taux de croissance ait diminué de 0,5 point de pourcentage, l'investissement dans les industries high-tech a de son côté augmenté de 11,9 % - en comparaison avec l’année précédente sur la même période. Les investissements liés à la transformation numérique (industrie 4.0) ont quant à eux augmenté de 15 % dans l'industrie manufacturière ; l’universitaire souligne donc la forte croissance de l’industrie high-tech depuis le début de l’année 2019. En mai, sa valeur ajoutée a augmenté de 9,4 %.

Zhang Deyong soutient par conséquent que la croissance économique de la Chine est stable et que cette tendance positive de long terme ne sera pas remise en question. Il estime que la poursuite de la réforme, de l’ouverture et des innovations systémiques promues par les pouvoirs publics seront porteuses de croissance pour l’économie chinoise. Zhang Deyong invite la Chine à "promouvoir un développement de qualité", lui recommande un programme de réformes structurelles axées sur l'offre et l’approfondissement des réformes dans certains domaines clés. Il préconise d’accorder davantage d'attention aux règles et au degré d’ouverture des institutions chinoises, tout en facilitant davantage l'accès à ses marchés.

L'analyse de Li Xunlei s’ouvre sur une note bien moins optimiste. Li Xunlei appuie son analyse sur l'architecture de la "troïka" (三驾马车) : consommation, investissement et commerce extérieur. Au premier semestre de 2019, le PIB chinois a crû de 6,3 %5, une croissance conforme à la fourchette des 6 à 6,5 % proposés dans le rapport gouvernemental daté de début 2019.

Le manque d’optimisme perçu chez les consommateurs peut s’expliquer par la stagnation du revenu disponible des ménages chinois.

Néanmoins, du côté de la consommation, Li Xunlei souligne une tendance à la baisse de sa croissance. Si en 2018 les ventes au détail de biens de consommation ont augmenté de 9 % environ, le taux de croissance moyen constaté au premier semestre de 2019 est, lui, tombé à 8,4 %. Quant à la croissance des ventes au détail de biens de consommation, elle a atteint 9,8 % en juin, un chiffre à attribuer à l'industrie automobile[6]. Les autres taux de croissance en matière de consommation, y compris dans le secteur des services, se sont avérés faibles. À titre d’illustration, l'indice des prix à la consommation du secteur des services est passé de 3 à moins de 2 %.

Notre second analyste pense que le manque d'optimisme perçu chez les consommateurs peut s’expliquer par la stagnation du revenu disponible des ménages chinois. Li Xunlei constate une grande similarité entre la tendance de la croissance des revenus et celle des ventes de biens de consommation. Toutefois, alors qu'en 2018, le revenu disponible par habitant parmi les catégories sociales à revenus élevés avait augmenté de 8,8 %, les catégories à revenus intermédiaires n'ont connu qu’une hausse de 3,2 %. En tenant compte de l'inflation, la croissance des revenus de ces catégories est donc quasiment nulle. Si l’on en croit Zhang Deyong, c'est la principale raison de la lenteur de la progression de la consommation intérieure. En outre, la structure de la consommation a pu être marquée par une certaine divergence, la consommation de biens haut de gamme et de produits de luxe ayant ainsi, par contraste, augmenté rapidement.

Deuxièmement, le taux de croissance des investissements dans le secteur manufacturier, à destination des actifs immobilisés, est tombé à 3 % au cours du premier semestre de 2019. Selon Li Xunlei, cette évolution indique que le ralentissement des investissements dans le secteur industriel est fortement lié à la timidité de la demande intérieure et à la hausse des coûts de la main-d'œuvre. Le taux de croissance de l'investissement immobilier a quant à lui grimpé à 10,9 %, devenant ainsi le principal facteur de stabilisation de la croissance de l'investissement dans les actifs immobilisés. Quant au taux de croissance des investissements dans les infrastructures, il a été relativement faible, de l'ordre de 4 % seulement. Li Xunlei en vient à la conclusion qu'il ne serait pas réaliste de stimuler la croissance économique par des investissements dans les infrastructures en 2019.

Enfin, du côté du commerce extérieur, Li Xunlei constate (contrairement à notre premier analyste) une faiblesse générale des exportations en 2019 liée à l’accroissement des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis. En résumé, au cours du premier semestre de l'année, chacun des trois vecteurs de la "troïka" a connu un essoufflement. Par conséquent, si le ralentissement économique actuel n'est pas majeur, il peut être porteur d’une tendance constante à la baisse.

Face à ces défis, Li Xunlei conseille de se concentrer sur la résolution des problèmes structurels, en augmentant par exemple la part des dépenses publiques allouées à la sécurité sociale. L'augmentation des fonds de sécurité sociale renforcerait la confiance des consommateurs et, partant de là, les taux de consommation eux-mêmes. En matière de taxes et de redevances, Li Xunlei estime qu'il est nécessaire de réduire davantage les coûts de financement des petites et moyennes entreprises (PME) et de mettre en œuvre les politiques de soutien correspondantes. Selon lui, "plutôt de se contenter de déclamer des slogans, il faut des mesures concrètes" (而不是只是喊口号,需要有实际的举措).

Li Xunlei note qu'à terme, comme aux États-Unis ou au Japon, l'économie chinoise sera tirée par la consommation. Or la principale force de la consommation chinoise réside dans la classe moyenne et les catégories à faibles revenus, qui croissent actuellement plus lentement que la classe moyenne supérieure. En conséquence, l’analyste recommande d’abord de réduire le niveau des taux d'intérêt, afin que les PME puissent réduire leurs coûts de financement, ce qui augmenterait en retour l'emploi et les revenus des catégories à revenus moyens et faibles.

L’augmentation des fonds de Sécurité sociale renforcerait la confiance des consommateurs, et partant de là, les taux de consommation eux-mêmes.

Par ailleurs, selon Li Xunlei, il est aujourd’hui nécessaire de parvenir, par le biais des dépenses publiques, à un développement social plus équilibré. À l'heure actuelle, le niveau de la dette du secteur résidentiel augmente rapidement et celui du secteur des entreprises est pratiquement le plus élevé au monde. Il est à ses yeux impératif que les entreprises et le secteur résidentiel stabilisent leurs dettes, notamment du fait du vieillissement continu de la population et de la constante augmentation du niveau d'endettement de la société dans son ensemble. Li Xunlei estime que seul le gouvernement central, qui a d'importants actifs disponibles, est à même de couvrir la hausse du taux d'endettement de ces deux secteurs.

Une sécurité sociale améliorée encouragerait à son tour les ménages à consommer davantage. Li Xunlei constate que les citoyens chinois expriment de l’inquiétude face à leurs futures retraites et à la question du financement de l'éducation de leurs enfants. Cette inquiétude pourrait expliquer leur prudence en matière de consommation. C’est, selon lui, le souci d’une protection sociale future qui justifie principalement le niveau élevé du taux d'épargne des ménages chinois. Li Xunlei suggère de s’appuyer sur les importantes ressources publiques pour couvrir les besoins de l'économie chinoise à l'avenir, comme le déficit de la  sécurité sociale. Il considère que les bénéfices des entreprises d'État pourraient être réinjectés dans l’économie, des transferts de capitaux propres en d’autres termes, ce qui est un des grands avantages du système d’entreprises publiques propre à la Chine.

En conclusion, compte tenu des différents défis auxquels la Chine est confrontée, tant sur le plan intérieur qu’à l’international, Pékin devra probablement agir sur ces deux fronts, c’est-à-dire en promouvant les nouveaux moteurs de sa croissance tout en s'attaquant aux problèmes profonds de ses moteurs traditionnels.

 

Publication en intégralité

 

1Yu Yonding, "China Needs to Arrest Slowing Economic Growth, And it Has the Means to Do So," South China Morning Post, 7 November 2019, https://www.scmp.com/comment/opinion/ article/3036521/china-needs-arrest-slowing-economicgrowth-and-it-has-means-do-so

2Zhang Deyong, "Grasp the ‘Real’ and ‘Potential’ of China’s Economic Development" 全面把握中国经济发展的"实"与"势," Wisdom China 智慧中国, September 2019.

3Online retail sales rose by 16.8% year-on-year over the period January and August (though down from the 28.2% growth the year before), according to data published last month by the National Bureau of Statistics.

4Ministry of Commerce of the People’s Republic of China, "Briefing on China’s Import & Export in September 2019," MOFCOM, 11 October 2019, http://english.mofcom.gov.cn/ article/statistic/BriefStatistics/201911/20191102912682. shtml

5Li Xunlei, "How to Treat China’s Economic Operation and Policy Trends in 2019 如何看待2019年中国经济运行与政策趋 势," Journal of Contemporary Financial Research 当代金融研 究 4, 2019, no.13.

6The reason for such a large increase was the June 30 deadline to sell cars built to China-5 emissions standards. The central government had ramped up its anti-pollution drive last year and has aggressively pursued the adoption of the electric cars and its stage-6 emission standards. After the deadline only vehicles meeting new stage-6 standards could be put up for sale. The China-5 emissions cars had been reduced in price and the sales volume therefore rose sharply.

 

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