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21/07/2021

Biodiversité  : de l’urgence d’agir avec les entreprises

Trois questions à Pierre Dubreuil

Biodiversité  : de l’urgence d’agir avec les entreprises
 Pierre Dubreuil
Directeur général de l’Office français de la biodiversité (OFB)

Du 3 au 11 septembre prochain se déroulera à Marseille le Congrès mondial de la nature de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), réunissant gouvernements et organisations non gouvernementales. L’Office français de la biodiversité (OFB) en sera un acteur majeur. Son directeur général, Pierre Dubreuil, revient sur le rôle des entreprises pour lutter contre la perte de biodiversité et sur les conséquences de cette dernière pour le développement économique et le bien-être humain en général.

Selon le World Wildlife Fund (WWF), nous avons perdu au cours des 50 dernières années l’équivalent de 68 % du nombre de vertébrés sauvages à l’échelle planétaire. La problématique de la perte de biodiversité se trouve parfois éclipsée par la question climatique. L’enjeu n’est-il pourtant pas tout aussi important ?

Il est important de ne pas dissocier ces deux enjeux fondamentaux pour la survie de l’humanité. La prise de conscience au sujet du changement climatique semble croître progressivement ; c’est évidemment une bonne chose. L’un des objectifs de l’Office français de la biodiversité est de faire en sorte que la perception de l’enjeu que représente la biodiversité atteigne un niveau similaire. Tout le monde n’a pas conscience du fait que le vivant au sens large est une condition sine qua non pour notre avenir d’humains. Or ce vivant est en très grand danger, pour des raisons liées aux activités humaines  : pollution, changement climatique, surexploitation des ressources, changement d’usage des terres et mers, espèces envahissantes.

Le bouleversement climatique et la perte de biodiversité représentent un "même combat" et doivent être traités de front.

Il faut garder à l’esprit que nous parlons d’une urgence très concrète et palpable, que les publications scientifiques qui se succèdent nous permettent de documenter précisément. La biodiversité est présente dans nos sols, nos mers, nos rivières et nos jardins et conditionne notre santé : partout autour de nous et en nous, un bouleversement se produit qu’il nous faut enrayer. D’autant plus que dès qu’on lui en donne l’occasion, le vivant se régénère ; une rivière que l’on arrête de polluer peut ainsi assez rapidement accueillir à nouveau des espèces qui en étaient parties. 

Le bouleversement climatique et la perte de biodiversité représentent un "même combat" et doivent être traités de front si nous voulons relever le défi majeur de ce siècle qu’est la transition écologique. Un récent rapport commun produit par les deux groupements de scientifiques de référence sur le climat et la biodiversité, le GIEC et l’IPBES, démontre que les solutions peuvent souvent influer sur les deux enjeux simultanément. Ainsi, protéger ou restaurer un écosystème comme une mangrove ou une tourbière a des effets bénéfiques sur le vivant mais aussi sur le climat, du fait de la quantité de carbone stockée dans ces milieux.

Selon le Forum économique mondial, la moitié du PIB mondial dépendrait du bon état des écosystèmes et de la nature. Les entreprises se saisissent-elles suffisamment du sujet ? La lutte pour la préservation de la biodiversité peut-elle être créatrice de valeur pour elles ?

En effet, le modèle économique que nous connaissons dépend fortement du vivant qui lui fournit la plupart de ses approvisionnements, par le biais des services écologiques. Une dégradation de la biodiversité fragilise non seulement l’agriculture, par l’appauvrissement des sols ou la perte de résilience des espèces, mais aussi l’industrie, la construction et de nombreux services. Encore une fois, si les entreprises commencent à se saisir du changement climatique, nous en sommes encore assez loin pour ce qui concerne la biodiversité, même s’il existe en effet des outils et leviers déjà utilisés par certaines entreprises dans leur stratégie RSE.

Il me paraît important de rappeler aux entreprises qu’investir dans le vivant et la nature constitue non seulement notre "assurance-vie" mais permet également de générer de la valeur ajoutée dans les territoires, créant de la richesse et des emplois non délocalisables. Un euro dépensé au titre de la protection de la biodiversité génère en moyenne 2,64 € de production et 1,31 € de valeur ajoutée. Un million d’euros de ces dépenses engendre en moyenne pratiquement 19 emplois non délocalisables, selon un rapport publié par Emmanuel Delannoy en 2016.

Investir dans le vivant et la nature [...] permet également de générer de la valeur ajoutée dans les territoires, créant de la richesse et des emplois non délocalisables. 

On évoque souvent le fait que les entreprises manquent d’outils de mesure de leur impact sur la biodiversité, contrairement à leur impact climatique. À quels freins les entreprises sont-elles confrontées ? Comment les accompagner au mieux pour les rendre pleinement actrices de la transition qui s’engage ? 

L’OFB travaille sur l’accompagnement et la mobilisation des entreprises, tous secteurs et tailles confondus. Nous mettons en œuvre plusieurs modalités d’action : sensibilisation, renforcement des capacités, financement, animation de collectifs d’acteurs et partages d’expérience, reconnaissance des engagements, etc.

Le programme "Entreprises engagées pour la nature" permet aux entreprises de structurer leur action en faveur de la biodiversité quel que soit leur niveau de départ, d’intégrer un collectif d’acteurs permettant des échanges entre pairs, de donner de la visibilité à leurs actions et de créer des synergies avec les collectivités et les partenaires, notamment à l’échelle territoriale et au sein des filières. Nous comptons aujourd’hui 123 entreprises adhérentes et 55 qui sont pleinement engagées pour la nature, ce qui signifie qu’elles ont formalisé, dans l'année qui suit leur adhésion au programme, un plan d'actions pluriannuel dans lequel l’entreprise fixe elle-même la durée de ses engagements (généralement 3 à 5 ans).

Nous manquons cependant encore d’indicateurs de l’empreinte des entreprises sur le vivant. Beaucoup d’initiatives sont en cours d’élaboration dans le domaine, en lien avec les entreprises, que nous appuyons. L’OFB est en effet un opérateur de référence dans la collecte et le traitement de la donnée, calcule régulièrement des indicateurs de biodiversité et les diffuse largement dans le cadre de collections de référence (Observatoire national de la biodiversité, Institut national du patrimoine naturel). À terme, il est indispensable que soit imaginé un outil de mesure reposant sur des indicateurs simples, clairs et lisibles à destination des entreprises, sur le modèle de ce qui existe avec la tonne carbone, afin de mesurer objectivement les efforts des entreprises. 

 

 

Copyright : JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

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