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30/10/2018

25 ans plus tard, pourquoi la Jordanie veut-elle reprendre ses terres prêtées à Israël ?

Entretien avec Dominique Moïsi

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25 ans plus tard, pourquoi la Jordanie veut-elle reprendre ses terres prêtées à Israël ?
 Dominique Moïsi
Conseiller Spécial - Géopolitique

Dimanche 21 octobre, le roi Abdallah II de Jordanie a surpris le monde en annonçant que son pays ne renouvellerait pas certaines annexes du traité de paix signé entre Israël et la Jordanie en octobre 1994, après la signature des accords d’Oslo de 1993. Ces annexes stipulent qu’Israël peut disposer librement de ces deux territoires jordaniens - Baqoura-Naharayim dans la province d’Irbid au nord et Al-Ghamr-Zofar dans la province d’Aqaba au sud - pour une durée de 25 ans. 
Alors que le contexte régional et les relations entre l’Etat d’Israël et le pouvoir palestinien sont particulièrement tendus, que signifie cette décision du pouvoir jordanien ? Quelles conséquences peut-elle revêtir ? Dominique Moïsi, conseiller spécial de l’Institut Montaigne, nous livre son analyse.

Comment interpréter cette annonce inattendue du roi Abdallah II ? Quel peut être son impact ?

Cette annonce témoigne en réalité d’une prise de distance symbolique avec le gouvernement israélien, qui surprend. Distance car le roi refuse de renouveler l’accord de Wadi Araba, signé en octobre 1994, qui stipulait qu’après 25 ans, ces deux territoires prêtés à Israël devaient revenir de facto à la Jordanie, sauf prolongation. Et symbolique puisque cette annonce ne constitue pas un tournant historique. En effet, non seulement la population israélienne y est peu nombreuse mais ces territoires ne sont importants ni dans leur superficie ni dans leur valeur stratégique. Preuve en est la réaction des Israéliens qui n’ont pas monté en épingle cette décision.

En revanche, en prenant cette décision unilatéralement, le roi Abdallah de Jordanie envoie un message clair au Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu. Ce dernier ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, il ne peut pas à la fois durcir son comportement face aux Palestiniens, fermer de facto toutes les portes à l’idée d’une solution à deux Etats, et asseoir le soutien passif de la Jordanie à Israël.

Quelle est la nature de la relation entre Israël et le royaume de Jordanie depuis la signature du traité de paix de 1994 ?

Les liens sécuritaires entre Israël et la Jordanie, depuis la signature du traité de paix de 1994, sont extrêmement étroits. Par ailleurs, Israël, marquée par un manque de main d’oeuvre au sein de sa population, accueille quotidiennement des travailleurs jordaniens – et palestiniens – qui s’y rendent pour la journée. L’élément majeur est qu’une alliance stratégique s’est constituée au fil des années entre Amman et Jérusalem, le régime jordanien dépendant largement pour sa sécurité des informations fournies par Israël.

Israël considère en effet la Jordanie comme étant son premier allié régional immédiat. 

De son côté, l’Etat hébreu bénéficie du contrôle que la Jordanie exerce sur sa population – et, d’une certaine manière, sur la population palestinienne. Cette relation joue un rôle important dans la lutte contre le terrorisme, mais également dans l’hostilité grandissante entre Israël et la Syrie. Israël considère en effet la Jordanie comme étant son premier allié régional immédiat. 

Quel est l’état actuel des alliances régionales ? 

Cette alliance historique entre Israël et la Jordanie, était en train, sous l’impulsion du prince héritier Mohamed ben Salmane, de s’élargir à une alliance, fondée sur la sécurité, avec les Saoudiens. Israël n’est plus perçu comme un ennemi aux yeux de l’Arabie saoudite, mais comme un potentiel partenaire dans la lutte contre la menace stratégique que représente l’Iran, menace commune aux deux puissances régionales. 

Deux alliances stratégiques opposées se dessinent ainsi en pointillé dans la région : l’une entre l’Iran, la Turquie et la Russie ; l’autre regroupant l’Arabie saoudite, Israël et les Etats-Unis. L’affaire Khashoggi – l’assassinat au consulat saoudien d’Istanbul du journaliste Jamal Khashoggi –, contribue néanmoins à affaiblir ce second triangle. Le prince MBS a été jusqu'ici très loin dans l’alliance stratégique avec les Etats-Unis, et dans son rapprochement avec Israël. S’il est aujourd’hui fragilisé par cette affaire, cela ne constitue-t-il pas un revers pour Washington et pour Jérusalem, qui sont potentiellement les victimes collatérales de la prise de risque excessive de l’Arabie saoudite au cours des dernières semaines, accordant ainsi une victoire indirecte à l’Iran, la Turquie et la Russie ?

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