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12/06/2017

L'amère défaite de Theresa May

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L'amère défaite de Theresa May
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

 

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

Comme David Cameron avec son échec sur le référendum, Theresa May a perdu, lors des législatives, son pari de renforcer le camp conservateur. C'est un Royaume-Uni divisé comme jamais qui s'apprête à affronter la réalité du Brexit.

On ne joue pas avec les consultations électorales. Pour la deuxième fois en moins d'un an, un Premier ministre britannique a pris un risque inconsidéré qui s'est retourné contre lui. David Cameron voulait renforcer l'unité du Parti conservateur en provoquant, de manière très artificielle, un référendum sur l'Europe. Theresa May voulait renforcer sa majorité au Parlement pour négocier, en position de force, les conditions du Brexit.

Ils ont tous deux perdu leur pari et, avec la défaite, le pouvoir pour David Cameron. Et si Theresa May n'entend pas quitter le 10 Downing Street (le siège du Premier ministre), combien de temps pourra-t-elle s'accrocher, comme elle semble vouloir le faire, au pouvoir ?

Le Parti conservateur souhaitait une majorité renforcée. Il n'a même plus, à lui seul, de majorité au Parlement. La défaite est d'autant plus humiliante pour Theresa May qu'elle traduit très largement un rejet de sa personne, tout autant que celui de son action. Elle voulait apparaître comme une version " pragmatique " de la Dame de fer, Margaret Thatcher. Les Britanniques ont vite pris conscience qu'elle n'arrivait pas à la cheville de son modèle, sauf sur le plan de l'autoritarisme.

La Grande-Bretagne sort de cette nouvelle consultation électorale inutile plus troublée, divisée, sinon morose, que jamais. La campagne électorale, menée sur fond d'attentats terroristes, a été médiocre, n'abordant pas ou si peu les vrais sujets, comme l'avenir de l'économie britannique. Elle a opposé deux personnalités qui n'enthousiasmaient pas, c'est le moins que l'on puisse dire, la majorité de l'électorat. Certes, comparé à Theresa May, Jeremy Corbyn, le leader du Parti travailliste, a plutôt mené une bonne campagne, sachant faire preuve de chaleur et d'empathie. Mais il est loin d'avoir convaincu, demeurant un personnage qui semble sorti d'une autre époque, celle où l'idéologie régnait en maître, celle où la division droite-gauche, et pas la question européenne, dominait encore le débat politique. Or les Britanniques sont allés voter avec, au fond d'eux-mêmes, comme un doute existentiel. A l'heure du terrorisme, alors que Donald Trump est au pouvoir à la Maison-Blanche et qu'Emmanuel Macron vient d'entrer à l'Elysée, n'avions-nous rien de mieux à faire que de nous lancer dans une négociation longue, complexe et coûteuse pour quitter l'Union, se demandaient- ils ? Une négociation qu'ils vont, de plus, aborder désormais en position de faiblesse , face à une Europe à 27 qui bénéficie de la dynamique positive créée par le couple Macron-Merkel.

En l'espace d'un mois l'espoir a changé de camp, parce qu'il y a plus de France et moins de Grande-Bretagne. Tout se passe comme si la confiance avait traversé la Manche, quittant la Grande-Bretagne pour gagner la France, et comme si la morosité avait effectué le chemin inverse, quittant la France pour gagner la Grande-Bretagne. Un de mes amis anglais me confiait l'autre jour, sur le ton de la plaisanterie sérieuse : " Ce n'est pas juste : vous, en France, vous venez d'élire Macron, et le seul choix auquel nous avons droit, nous, en Grande-Bretagne, est celui entre deux personnalités aussi médiocres l'une que l'autre... "

La Grande-Bretagne se retrouve ainsi doublement affaiblie, en s'étant d'abord posé, il y a un an, une question inutile à laquelle elle a, presque sans y penser, donné une mauvaise réponse. Et en faisant l'étalage de sa confusion et de ses divisions jeudi dernier.

On ne joue pas impunément avec l'histoire et les personnalités font la différence en politique. Un pays, comme une voiture, peut s'engager dans une mauvaise direction, et, pour peu qu'il soit conduit par un conducteur inexpérimenté ou manquant de vision, prendre brutalement un retard significatif. Au début des années 1960, je découvrais, adolescent, la terre des Beatles et j'arpentais Carnaby Street, à Londres. J'étais séduit par le climat de liberté un peu excentrique qui existait de l'autre côté de la Manche, qui contrastait si fort avec l'atmosphère plus compassée de la France du général de Gaulle. Mais j'étais frappé également par le fossé entre la modernité de la France et le caractère provincial et vieillot de la Grande-Bretagne qui, moins de vingt ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, avait peine à retrouver son souffle, au lendemain d'une victoire glorieuse mais épuisante.

Et puis l'histoire s'est inversée, par étapes, mais de manière irrésistible. A la "révolution introuvable" que constituait Mai 68, la Grande-Bretagne a opposé quelques années plus tard la " révolution thatchérienne ", totalement dénuée de romantisme, peut-être d'une dureté sociale excessive, mais bien réelle celle-ci, préparant la Grande-Bretagne et sa capitale, Londres, à l'accélération de la mondialisation. Au moment où la France, au sortir de ses Trente Glorieuses, s'est endormie sur ses lauriers, incapable d'effectuer les réformes de structure dont elle avait besoin, la Grande-Bretagne retrouvait le dynamisme qui avait été sa marque de fabrique pendant si longtemps au cours de son histoire.

" Un seul être vous manque et tout est dépeuplé ", disait le poète. Un homme providentiel arrive au moment où vous l'attendez le moins, répond l'historien. Il est certes beaucoup trop tôt pour se livrer à des considérations définitives sur l'évolution respective de la France et de la Grande-Bretagne. L'expérience Macron peut échouer en France et le " moment Européen " n'être qu'une illusion.

Car ce n'est pas parce que " nous " abordons désormais la négociation en position de force relative que nous devons " punir " la Grande-Bretagne pour la légèreté et l'inconséquence de ses choix. Mais ne pas punir est une chose. Négocier avec clarté et fermeté en est une autre. Entre le "malheur au vaincu" (" Vae victis ") des Romains et la mollesse et l'indécision, il existe une marge de manoeuvre considérable.

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