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07/06/2017

De la nécessité de favoriser l’engagement politique des salariés du privé : trois questions à Jean-Dominique Senard

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De la nécessité de favoriser l’engagement politique des salariés du privé : trois questions à Jean-Dominique Senard
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Le renouvellement de la classe politique est un sujet majeur dans cette campagne législative. L'ouverture des assemblées parlementaires à la ?société civile? et, plus précisément, à des personnalités issues de l'entreprise, en est l'une des principales composantes.

Interview exclusive de Jean-Dominique Senard, Président du groupe Michelin, Vice-Président de l'Institut Montaigne, et à l'origine d'une charte en 2015 visant à encourager les salariés de Michelin à se présenter aux élections nationales et locales.

Pourquoi est-il aujourd’hui essentiel de faciliter l’accès aux mandats électifs - nationaux et locaux - à des personnes issues de l’entreprise ?

L’engagement de l’entreprise dans ce domaine, et du groupe Michelin en particulier, procède d’un double impératif. Équilibrer la représentation nationale en diversifiant l’origine professionnelle des élus, d’une part. Insuffler la culture économique dans le raisonnement de nos parlementaires, les lois qu’ils votent et les décisions qu’ils prennent pour notre pays, d’autre part. C’est un impératif essentiel, tant le déficit est grand de ce point de vue.


Il s’agit, en outre, de remédier à une inégalité forte qui subsiste en France : le fait de pouvoir se présenter à une élection sans avoir consacré sa carrière à la politique. Fonctionnaires et salariés du privé représentent une part importante de la population française : il est indispensable qu’il y ait un rééquilibrage d’incarnation au Parlement.

Plusieurs réalités viennent à l’appui de ce constat, à commencer par la nécessaire compréhension que le redressement de la France passera par une plus grande compétitivité de notre économie. Ce redressement, dont la résorption du chômage est une partie intégrante, ne peut être porté par le seul président de la République. Il doit être appuyé et soutenu par nos élus sur cette voie. 

Bien que très récent, ce mouvement d’ouverture à la “société civile” semble aujourd’hui bien compris et je m’en réjouis. Il n’y aura pas de retour en arrière, quels que soient les résultats aux législatives.

Quels sont les freins qui s’opposent à l’engagement en politique des salariés du privé ?

Deux principales difficultés entravent cet engagement : l’une d’ordre culturel, l’autre d’ordre matériel.

Culturel tout d’abord : les partis politiques jouent, en France, un rôle constitutionnellement central dans la sélection des acteurs amenés à exercer des responsabilités. Les partis ont toujours eu tendance à promouvoir des personnalités qui, à force d’exercices et de mandats successifs, deviennent de véritables “professionnels de la politique”. Cette évolution est assez nette depuis trente ans. Si dans les années 1980 de nombreux élus étaient issus de l’Éducation nationale et des syndicats, ils sont désormais, pour la grande majorité, des professionnels de la politique, ayant toujours évolué dans une mouvance para publique, portés par les partis. Ils n’ont, en outre, que trop rarement bénéficié de la formation économique et de l’expérience du terrain requise pour l’exercice de leurs fonctions.

Le second frein est d’ordre matériel : il est très difficile pour un salarié, un cadre, un employé, de quitter momentanément son entreprise pour se lancer dans la vie politique. Leur avenir professionnel est en jeu et le risque personnel est loin d’être négligeable. La pression que peut exercer l’environnement sur leur engagement et leur orientation politique doit également être prise en compte.


Comment mettre un terme à cette rupture d’égalité face à l’accès aux mandats électifs ?  Que peut l’entreprise de ce point de vue ? L’État a-t-il également son rôle à jouer ?

L’initiative doit émaner avant tout des entreprises elles-mêmes. Elle pourra être appuyée par une intervention de l’État, pour réformer en profondeur le statut de l’élu.

Du point de vue de l’entreprise tout d’abord, il faut distinguer les chefs d'entreprises des employés et des salariés, car la responsabilité de l'engagement politique est vécue et perçue différemment.

Pour accompagner la prise de décision, il faut offrir aux collaborateurs une protection équivalente à celle dont disposent les fonctionnaires. Le détachement, l’assurance d’un retour dans l’entreprise une fois la période du mandat achevée, la prise en compte de l’expérience acquise, mais également la neutralité de l’entreprise vis à vis des choix politiques de chacun… Sur tous ces sujets, l’entreprise doit offrir des garanties comparables. Elles pourront être assurées par l’adoption d’une charte d’entreprise, appuyée par un comité d’éthique, garant d’une neutralité absolue, à l’instar de la Charte initiée par le groupe Michelin en 2015. Au sein du groupe, l’adoption de cette charte a été particulièrement bien accueillie.

L’engagement de l’État est d’un tout autre ordre. La loi ne doit pas contraindre les entreprises, qui ne sont pas  toutes également dotées pour répondre à ces situations. L'État, s’il doit intervenir, devrait avant tout réformer le statut de l’élu. Trop nombreux en France, les élus et leur rôle ne sont pas suffisamment valorisés, leurs rémunérations ne reflètent pas l’importance de leurs responsabilités et les exigences croissantes de transparence peuvent être dissuasives. Sur ce dernier point, pourquoi ne pas envisager de faire certifier les patrimoines par les commissaires aux comptes, évitant ainsi l’étalage public ?

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