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22/05/2017

Paris et Berlin face à la dérive "anglo-saxonne"

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Paris et Berlin face à la dérive
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

 

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pour les Echos.

L'élection d'Emmanuel Macron redonne à l'Europe un fragile espoir. Donald Trump et le Brexit peuvent jouer comme un accélérateur de particules pour le couple franco-allemand. Notamment dans la défense et la sécurité.

Le 17 septembre 1958, peu de temps après son retour au pouvoir, le général de Gaulle avait soumis un mémorandum à Eisenhower et Macmillan dans lequel il proposait la création au sein de l'Otan d'un directoire politique composé des chefs de gouvernement des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France. Si une telle construction n'était pas mise en place, de Gaulle menaçait tout simplement de quitter l'organisation militaire intégrée de l'Alliance. Cinq ans plus tard en signant avec Adenauer le traité de l’Élysée, de Gaulle espérait encore que l'Allemagne ferait le choix de l'Europe. Mais en matière de sécurité, Bonn préférait clairement Washington à Paris, même si elle n'aurait pas été jusqu'à dire comme la Grande-Bretagne de Churchill "qu'entre le grand large et l'Europe, elle choisirait toujours le grand large ".

Ce rappel historique est important pour comprendre les défis qui se présentent à notre pays après l'élection d'Emmanuel Macron. Il y a un peu plus de cinquante ans, le général de Gaulle se trouvait confronté à ce qu'il appelait les " Anglo-Saxons ", un terme qui ne traduisait pas seulement une réalité linguistique et culturelle mais plus encore géopolitique. Pour exister à ses yeux, la France se devait de résister dans le cadre de la guerre froide à la menace soviétique mais, aussi, à l'emprise des États-Unis confortés dans leur statut de première puissance mondiale par leur " relation spéciale " avec la Grande-Bretagne : l'Empire d'hier tendant la main à celui d'aujourd'hui.

Mais en 2017 tout ou presque semble avoir changé. Il ne s'agit plus pour la France de résister aux " Anglo-Saxons ". Ce sont ces derniers qui - à travers le choix de leurs citoyens pour le Brexit et Donald Trump - ont " trahi " le rôle qui était le leur. La " mère des démocraties ", depuis l'établissement de la Magna Carta dès le Moyen Âge, et le " champion de la démocratie ", depuis le début du " siècle de l'Amérique " en 1941, connaissent une évolution commune parallèle et fâcheuse du fait de leurs populismes respectifs. Même si on ne saurait mettre tout à fait sur le même plan le rejet de l'Union par les Britanniques et le choix de Donald Trump par les Américains. Mais parce que les " Anglo-Saxons ne sont plus ce qu'ils étaient ", ni en termes d'image ou de réalité, ils ouvrent une fenêtre d'opportunité qu'il appartient aux Européens, derrière la France et l'Allemagne, de saisir. Il ne s'agit pas bien sûr pour Paris et Berlin de se substituer à Washington - même si depuis le 7 mai 2017 le rêve et l'espoir semblent avoir retraversé l'Atlantique, même si l'on parle désormais du " rêve français ", comme l'on pouvait parler il y a huit ans, au lendemain de l'élection de Barack Obama à son premier mandat, du retour du " rêve américain ". Mais depuis l'élection d'Emmanuel Macron, une émotion nouvelle est revenue en Europe, qui a la force et la fragilité des fleurs au printemps : la confiance, même si elle est loin encore d'être partagée par tous. C'est la confiance qui fondait hier la relation spéciale entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. C'est cette même confiance renaissante qui aujourd'hui peut rendre le couple franco-allemand plus incontournable que jamais pour des raisons psychologiques tout autant que stratégiques.

Cela suppose bien sûr que les deux pays fassent un effort sur eux-mêmes et un pas dans la direction de l'autre. La France doit d'abord traduire ses intentions en actes et résultats pour convaincre l'Allemagne que, cette fois-ci, elle ira jusqu'au bout dans sa volonté de réformes. La France doit aussi comprendre que, face à la multiplicité des défis auxquels elle doit faire face, les politiques étrangère et de sécurité ne peuvent plus être, avant tout pour elle, les instruments privilégiés d'une politique de rééquilibrage face à une Allemagne plus forte et dynamique sur le plan économique. Ce réflexe " classique " doit être dépassé au profit d'une vision plus réaliste, plus européenne et plus soucieuse ainsi en profondeur de l'intérêt national. C'est précisément parce que les " Anglo-Saxons " ne sont plus ce qu'ils étaient, au moment même où les défis du monde se multiplient et s'approfondissent et où nous nous trouvons en première ligne pour leur faire face, que la France peut prétendre au rôle de Pygmalion de l'Allemagne à l'international, tout comme Berlin a été et est encore celui de Paris au plan économique. En ce sens il appartient aux deux pays clefs de l'Union de " s'apprivoiser " sur ce terrain nouveau pour eux, pour emprunter le langage du " Petit Prince " de Saint-Exupéry. La France et l'Allemagne peuvent-elles, profitant de l'évidente complicité de leurs deux dirigeants, dialoguer entre elles en matière de diplomatie et de sécurité comme le faisaient depuis très longtemps déjà la Grande-Bretagne et la France ? L'Allemagne doit pour cela transcender les blocages issus de son passé. Des blocages qui peuvent être brandis comme autant d'alibis commodes pour ne pas dépenser plus en matière de défense et de sécurité.

Paris et Berlin ont déjà à plusieurs reprises - de leur commune opposition à la guerre en Irak en 2003, à leur commune fermeté à l'égard de la Russie de Poutine plus récemment, sans oublier la participation de l'Allemagne, modeste il est vrai, à l'intervention française au Mali - fait la preuve qu'ils pouvaient agir ensemble sur la scène internationale en dépit de la différence de leurs cultures en ces matières.

L'Amérique retrouvera sans doute un jour, peut-être pas si lointain, un président plus "classique " et la Grande-Bretagne inventera un nouveau modus vivendi avec l'Europe au-delà du Brexit. En attendant, la dérive des Anglo-Saxons est bien réelle. Elle doit jouer pour le couple franco-allemand, et ce tout particulièrement à l'international, le rôle qui est celui d'un accélérateur de particules dans le domaine de la fusion nucléaire.

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