Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
07/04/2017

Radicalisation : sommes-nous prêts à entendre un discours apaisé ? Trois questions à Ouisa Kies

Imprimer
PARTAGER
Radicalisation : sommes-nous prêts à entendre un discours apaisé ? Trois questions à Ouisa Kies
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

 

En plein débat présidentiel, les propositions visant à solutionner de manière pérenne la radicalisation et la déradicalisation des jeunes brillent par leur absence. Ouisa Kies, chercheuse au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS) et directrice du cabinet Sociologiks, spécialiste notamment des questions relatives aux problèmes sociaux et anthropologiques de l'islam en France, et à la construction identitaire nous livre son analyse.

Qu’entend-on par "radicalisation" et "déradicalisation" ? Quelle place occupe le sujet de la déradicalisation des islamistes français dans la campagne présidentielle ?

Suite aux attentats qui ont frappé la France ces dernières années, les termes "radicalisation" et "déradicalisation" ont été très souvent utilisés sans pour autant qu’il leur soit attribué une signification claire. Il est cruciale de pouvoir définir ces termes afin d’éviter toute confusion et toute dérive simpliste.

Le terme "radicalisation" désigne le processus de rupture – dans le discours et/ou comportement - d’un individu avec la société pouvant ou non conduire à la violence : d’ailleurs la réalisation de l’acte violent par un individu n’est pas une condition de sa radicalisation. Pour les personnes incarcérées pour des faits de terrorisme et notamment les retours de Syrie, la société suppose toutefois qu’elles pourraient commettre des actes terroristes, ce qui permet de justifier la mise en place de sanctions lourdes à leur encontre.

Le terme "déradicalisation" renvoie quant à lui au processus de réinsertion, voire de sortie de la violence, à ne pas confondre avec la volonté de faire abandonner une pratique de la religion musulmane. 

Il est aujourd’hui essentiel, tant pour la sécurité des Français que pour une possible réinsertion de ces personnes dans la société, qu’un débat soit ouvert sur les différentes méthodes de déradicalisation. Dans ce contexte de campagne présidentielle, et alors que le fléau de la radicalisation touche notre pays depuis de nombreuses années,  il est très étonnant de constater que très peu de candidats évoquent précisément le sujet et quand bien même ces thèmes figurent dans leurs projets, les propositions restent pour le moins évasives et ne ciblent pas directement des propositions de prévention de la radicalisation des jeunes.

Que proposent les candidats ? En quoi ne se focalisent-ils pas sur les priorités liées à la prévention ?

Les candidats ont principalement élaboré leurs programmes autour des thèmes de la laïcité et de la lutte contre le terrorisme mais ne se risquent pas à évoquer concrètement le phénomène, alors qu’il s’agit d’un sujet primordial, qui d’ailleurs a été pris "à bras le corps" durant ce quinquennat, et en particulier depuis les attentats de janvier 2015, et ce malgré quelques loupés. En effet, les candidats ne mentionnent pas directement des propositions de prévention contre la radicalisation des jeunes. Ceci peut s’expliquer par le fait que les Français ne sont pas encore prêts, aujourd’hui, à entendre un discours apaisé concernant la prise en charge des "djihadistes" français, du fait des nombreux attentats que la France a subis ces dernières années.

La campagne présidentielle s’est donc organisée autour d’un discours de fermeté et d’intransigeance à l’égard des radicaux, dénonçant entre autres le manque de places en prison et prônant un renforcement des mesures de sécurité, à défaut de s’intéresser aux possibles moyens de prévention de la radicalisation. Or, il est absolument essentiel de mettre en place des mesures de prise en charge de ces personnes afin d’éviter à la fois la récidive et l’effet de contagion sur d’autres individus, notamment en prison. On compte aujourd’hui près de 300 personnes incarcérées pour des faits de terrorisme islamiste (sans compter les individus qui attendent d’être transférés de Turquie), et plus de 1300 détenus de droit commun radicalisés ou dans un processus de radicalisation (contre 700 en 2015).

Il convient aussi de souligner que les individus de retour de Syrie reviennent de zones de guerre et qu’il est important qu’ils aient à leur retour une prise en charge psychologique au cours de leur incarcération, et ce afin de commencer le  travail d’évaluation de leur dangerosité d’une part et celui de la réinsertion d’autre part. En effet, la majorité de ces jeunes sortiront de prison dans quelques années. Dans d’autres pays tels que le Danemark, les anciens djihadistes reçoivent un accompagnement psychologique qu’ils peuvent suivre soit dans un foyer, soit à leur domicile. Les Danois ont ainsi très vite remarqué l’importance de la prise en charge de ces jeunes, qui reviennent avec des traumatismes importants et donc qui peuvent être un danger pour la société.

Certaines mesures ont été tentées comme l’annonce en avril 2015 par Manuel Valls de l’ouverture du premier centre de déradicalisation or suite aux attentats de novembre 2015, le gouvernement n’est pas allé au bout de ses ambitions, ainsi le centre de Pontourny était voué à l’échec dès lors que le site n’allait plus accueillir des retours de Syrie – en alternative à l’incarcération - mais des jeunes "signalés" numéro vert ! Le centre devait durer dix mois et accueillir une trentaine de jeunes mais l’expérience n’a finalement duré que trois mois et a couté 2,5 millions d’euros ! Nous sommes donc encore loin d’avoir trouvé une solution pérenne au problème.

Quelles devraient être les premières mesures à adopter par le nouveau président de la République ?

La lutte contre la radicalisation doit passer par davantage de transparence sur l’action et les activités de la centaine de structures impliquées au sein de la société civile, des collectivités territoriales, et des ministères. Aujourd’hui, c’est le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR) créé à la suite des violences urbaines de 2005, qui gère et qui distribue les budgets alloués par l’État. Il faut désormais, dans son rôle de comité de coordination, qu’il puisse favoriser voire imposer des échanges de pratiques entre les structures, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui ! Cela est d’autant plus important qu’il existe une multitude d’approches à la problématique en fonction des secteurs : les prisons, les écoles, les quartiers, les entreprises etc.

Le manque de coordination entre les différentes mesures de déradicalisation est une priorité que le prochain gouvernement sera nécessairement amené à solutionner au cours de son mandat. Les structures de déradicalisation doivent pouvoir être évaluées par des professionnels prenant le temps d’observer de près les dispositifs mis en place. Cela permettra d’obtenir un état des lieux précis, essentiel à la compréhension du contexte français.

Dans cette même logique, le président devra maintenir le cap qu’il aura défini en matière de lutte contre la radicalisation, sans être influencé par les soubresauts de l’actualité.

Pour aller plus loin :

Colloque international : Le djihadisme transnational, entre l'Orient et l'Occident

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne