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27/02/2017

L'Otan doit se réinventer face aux menaces du XXIe siècle

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L'Otan doit se réinventer face aux menaces du XXIe siècle
 Dominique Moïsi
Auteur
Conseiller Spécial - Géopolitique

Moyen-Orient, Europe, Amérique, Asie,... Dominique Moïsi, conseiller spécial de l'Institut Montaigne, analyse chaque semaine l'actualité internationale pourles Echos.

En voulant rebattre les cartes de l'Alliance atlantique, Donald Trump donne un avertissement à l'Europe sommée de faire davantage pour sa propre défense. Un choc qui pourrait s'avérer salutaire pour le continent.

"J'ai écouté Mike Pence, puis Angela Merkel, le leadership moral de l'Occident est clairement passé de Washington à Berlin." De retour de la Conférence sur la sécurité de Munich qui s'est tenu du 17 au 19 février, mon interlocuteur américain me fait part de son désarroi. Certes il est démocrate, mais il est avant tout pleinement conscient de l'ironie de la situation qu'il décrit. Le pays qui a mené hier l'Europe à la catastrophe est celui qui désormais incarne et défend le mieux les valeurs de l'Occident face à la montée du chaos.

On ne saurait réécrire l'histoire, mais on peut légitimement se demander ce qui se serait produit au lendemain de la Seconde Guerre mondiale si l'Amérique n'avait pas eu la générosité éclairée d'étendre sa protection à l'Europe de l'Ouest. Une double communauté d'intérêts et de valeurs liait alors les deux rives de l'Atlantique. Simple garantie politique au départ, l'Alliance s'était transformée en organisation militaire intégrée face à l'escalade de la guerre froide. Il fallait "donner des dents à l'Alliance" et s'assurer que le sort de la péninsule coréenne ne préfigurerait pas celui de l'Allemagne, également divisée. Pour reprendre la formule de lord Ismay, premier secrétaire général de l'Otan de 1952 à 1957, la mission de l'Alliance était "de garder les États-Unis en Europe, l'URSS hors d'Europe et l'Allemagne avec un profil bas". Ce triple objectif fut brillamment atteint. Et ce n'est pas le retrait de la France de l'organisation militaire intégrée de l'Otan en 1966 qui modifia cet état des choses.

Si, au début des années 1990, l'Otan traversa une première crise identitaire, c'est parce que le monde occidental était devenu "orphelin" de la menace soviétique. A quoi pouvait servir encore l'Otan : plus d'ennemi, plus d'alliance. Certes les choses n'étaient pas si simples. Aux yeux de Washington, les débuts de la guerre dans les Balkans étaient la démonstration que, laissée face à ses responsabilités, l'Europe était incapable d'assumer seule sa sécurité. "Vous êtes d'abord confus, indécis, puis vous devenez suicidaires et nous devons intervenir pour vous sauver à nouveau avant qu'il ne soit trop tard", me disait alors un très haut diplomate américain. Ce fut l'Amérique, à travers les accords de Dayton, qui en décembre 1995 imposa la paix en Bosnie-Herzégovine, même si l'Europe joua un rôle significatif à ses côtés.

Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les pays européens membres de l'Alliance, invoquant l'article 5 du traité atlantique sur la sécurité collective, proposèrent spontanément leur soutien. Mais si l'Amérique meurtrie était heureuse de savoir que "nous étions tous des Américains", elle déclina avec une certaine hauteur l'offre de service des Européens. "Je ne vais quand même pas faire dépendre ma sécurité d'un continent qui est de Vénus, alors que nous Américains sommes de Mars", semblait penser Washington, pour reprendre la formule élégante mais simpliste de l'essayiste américain Robert Kagan.

Mais, en ce début de XXIe siècle, la problématique de l'Alliance s'est transformée à nouveau. La question n'est plus de savoir s'il existe encore une menace - elles se sont aggravées et multipliées - mais si l'Otan est adaptée pour répondre à des périls qui, géographiquement, ne se situent plus seulement à l'est de l'Europe, mais qui se sont aussi diversifiés dans leur nature. Comment adapter une alliance régionale à la mondialisation de la menace ? Comment ajuster une alliance militaire classique à la double menace des technologies nouvelles et de la barbarie ancienne, de la cybersécurité aux bombes humaines du terrorisme ? L'Otan a déjà montré ses limites en Afghanistan, est-elle capable de se réinventer ou faut-il la déclarer obsolète, au risque de la délégitimer totalement ?

En 2017, depuis l'élection de Donald Trump, la question de l'Alliance se pose sous un jour totalement différent. La démocratie, que l'Alliance était censée protéger, n'est-elle pas avant tout mise en danger par les menaces internes - autrement plus déstabilisantes - que représentent l'arrivée d'un président totalement imprévisible au pouvoir à Washington et la montée des populismes en Europe ? En posant à nouveau, en des termes brutaux, la question du "partage du fardeau" entre les États-Unis et l'Europe, Washington met l'accent sur une revendication parfaitement légitime. Pourquoi l'Amérique, plus de soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, continuerait-elle à payer pour la défense de l'Europe ?

Parce qu'elle a peur de l'imprévisibilité de l'Amérique plus encore que du terrorisme ou des ambitions russes, l'Europe va-t-elle enfin se réveiller comme le pensent certains ? Y aura-t-il demain dans les principales places européennes, des bustes à la gloire de Donald Trump, aux côtés de ceux de Robert Schumann et de Jean Monnet, sur lesquels on pourra lire : "A l'homme qui nous a enfin réveillés, l'Europe reconnaissante" ? Mais ce scénario est-il bien réaliste ?

En 2017, en termes de sécurité le dilemme de l'Europe peut se résumer ainsi. Elle ne peut, au moins à court et moyen terme, faire "sans" l'Amérique et il lui est toujours plus difficile de faire "avec" elle. On peut certes se comporter avec les États-Unis comme on le fait aujourd'hui encore avec les pays au régime autoritaire ou populiste et équilibrer notre dialogue officiel avec le pouvoir en place par le maintien d'échanges avec les partis d'opposition et la société civile qui partage ou aspire à nos valeurs. Mais cela ne suffira pas. Préserver l'Alliance, aujourd'hui, passe par trois actions prioritaires. Il nous faut d'abord éviter l'arrivée au pouvoir de partis populistes pro-russes comme le Front national en France. Il convient ensuite de dépenser bien davantage pour notre sécurité et de respecter ainsi nos engagements. Il nous faut enfin maintenir un dialogue privilégié avec Washington sans compromettre nos valeurs.

L'Alliance n'est plus ce qu'elle était, mais y a-t-il une alternative à l'Alliance ?

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