Rechercher un rapport, une publication, un expert...
L'Institut Montaigne propose une plateforme d'Expressions consacrée au débat et à l’actualité. Il offre un espace de décryptages et de dialogues pour valoriser le débat contradictoire et l'émergence de voix nouvelles.
24/11/2016

L'élection de Donald Trump : une opportunité commerciale pour la Chine ?

Imprimer
PARTAGER
L'élection de Donald Trump : une opportunité commerciale pour la Chine ?
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Philippe Le Corre, chercheur à la Brookings Institution, vient de publier un rapport important avec Jonathan D. Pollack pour la Brookings : China?s global rise : Can the EU and U.S. pursue a coordinated strategy.

Le retrait annoncé des États-Unis d'Amérique du partenariat trans-pacifique signifie-t-il la fin du pivot asiatique ?

Sur le plan géostratégique, le pivot asiatique, lancé en 2011 par Barack Obama et Hillary Clinton devait permettre de redéployer les moyens américains vers une région jugée prioritaire. L’accord de partenariat transpacifique (TPP) était un des principaux outils de cette stratégie. Difficilement négocié par l’administration Obama, ce traité avait pour objectif de rassembler douze pays dans une zone de libre-échange où les États-Unis auraient eu une influence prédominante et dont la Chine serait tenue à l’écart. Par ce biais, les Américains cherchaient à la fois à obtenir des facilités douanières pour leurs exportations, mais également rassurer leurs alliés dans un contexte d’affirmation de la puissance chinoise.

L’annonce par Donald Trump de l’abandon du partenariat trans-pacifique offre à la Chine une occasion rêvée de proposer aux pays signataires du TPP un nouvel accord de libre-échange Est-asiatique, dont les dispositions seraient néanmoins moins ambitieuses. Le Président Xi Jinping a évoqué cette idée il y a quelques jours à Lima au Pérou. Ce nouveau partenariat faciliterait les échanges commerciaux et favoriserait vraisemblablement les intérêts chinois en matière d’exportation. L’Australie, bien que très proche politiquement des États-Unis, a déjà manifesté son intérêt, ce qui témoigne de la forte influence et puissance d’attraction chinoise. De même, le nouveau président philippin, Rodrigo Duterte, ne cesse de dénoncer la présence américaine en Asie et adopte des positions plus favorables à la Chine, sur la mer de Chine méridionale.

Il me semble qu’il est néanmoins possible d’imaginer un retour du projet de TPP sous une forme différente. Il y va de la réputation des États-Unis en Asie. Pas question pour ces derniers de se désengager d’Asie. La méthode de Donald Trump pendant la campagne, multipliant les annonces sans garantir leurs suites, plaide pour ce scénario. Nous verrons ce qu’il en sera une fois la nouvelle Administration en place. La discussion entre le premier ministre japonais Shinzo Abe et le futur président américain a été l’occasion pour le Japon de rappeler l’importance de la présence militaire américaine dans la région. Il est clair que les alliés des États-Unis vont tenter de convaincre le nouveau président de l’importance d’une politique asiatique ambitieuse. 


Le probable échec du TTIP représente-t-il une opportunité pour la puissance commerciale chinoise qui pourrait essayer de consolider ses relations avec l'UE ? 

La Chine cultive ses relations avec l’Europe depuis plusieurs années. Le président chinois Xi Jinping a effectué une visite remarquée à Bruxelles en 2015. Les entreprises chinoises visent le marché européen depuis des années. Ce qui est plus nouveau, c’est l’augmentation sensible des investissements chinois à l’étranger – et notamment en Europe. La Chine n’est plus simplement l’atelier du monde, mais un véritable acteur mondial qui dispose d’importantes liquidités et qui devrait prochainement devenir le premier investisseur mondial. Ces dernières années, les entreprises chinoises ont multiplié les investissements dans la haute technologie, notamment en Allemagne. En France, ce sont les secteurs moins sensibles du tourisme, de l’hôtellerie et du luxe qui ont eu les faveurs de la Chine, mais cela pourrait changer.

On notera que l’Allemagne a récemment refusé l’acquisition de deux entreprises dans le secteur des semi-conducteurs. C’est une grande première pour l’Europe. Jusqu’ici, il me semble que les Européens ont fait preuve d’une forme de crédulité quant aux investissements chinois mais le débat qui se déroule en Allemagne est un signe que les élites européennes s’inquiètent.

Les pays européens sont plus vulnérables que certains pays asiatiques comme le Japon et la Corée du Sud. Dans ces deux économies, les investissements chinois sont beaucoup plus difficiles du fait du poids de l’histoire et de la proximité des milieux économiques avec la sphère politique. Le marché européen est très ouvert, la Chine le sait.

Je préconise un dialogue transatlantique sur le sujet. Il existe aux États-Unis une structure, le Comittee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) dont le rôle est d’examiner le risque des investissements étrangers sur le sol américain principalement en relation avec la sécurité nationale. La création de structures de cette nature dans les différents États membres européens (à défaut d’un "CFIUS européen") permettrait de juger quant à l’opportunité de certains investissements dans des secteurs où il peut exister un risque, comme l’énergie, les infrastructures portuaires ou aéroportuaires.

Ma conviction est qu’il est dans l’intérêt des Européens de collaborer étroitement entre eux, et avec les États-Unis, sur des sujets clés liés à la montée en puissance chinoise. Les investissements en sont un, tout comme la cyber-sécurité, la coopération multilatérale ou le changement climatique.

Américains et Européens négocient séparément avec la Chine pour mettre en place des traités bilatéraux d’investissement qui permettrait d’offrir à leurs entreprises un meilleur accès au marché chinois. Ce type de traité me parait aller dans le bon sens. Il est certain que des règles spécifiquement destinées à limiter les investissements chinois auraient un impact négatif sur les relations avec ce pays, mais ce n’est pas le but : parlons plutôt de réciprocité.


Selon vous, l'élection de Donald Trump augmente-t-elle ou diminue-t-elle la conflictualité entre la Chine et les États-Unis ?

Le public chinois se satisfait (et s’amuse) de l’élection de Donald Trump qui représente un style politique qui leur plait. Le personnage détonne. Pour autant, il est difficile de dire si son élection permettra un rapprochement avec la Chine, surtout quand on connaît les difficultés pour l’Amérique de réduire l’entrée des produits chinois. C’est un peu contradictoire pour les États-Unis de fermer leur marché, et les mesures de rétorsion chinoises ne tarderaient pas contre les entreprises américaines en Chine. De même, je pense que la lune de miel sera de courte durée car la concurrence sur le plan stratégique reviendra prochainement. Le Parti républicain, qui domine le Congrès, est très méfiant quant aux intentions chinoises dominatrices en Asie-Pacifique. Malgré les premiers contacts positifs entre Trump et Xi Jinping, cela ne changera rien à la volonté chinoise d’éloigner les États-Unis de la zone Asie-Pacifique. La présence d’importantes bases militaires américaines au Japon, en Corée du Sud et à Guam entrave le désir hégémonique de la Chine, mais on verra combien de temps les États-Unis pourront tenir. La relation privilégiée avec le Japon, notamment, est déterminante.

Sur le même sujet

Économie chinoise : entre espoirs et incertitudes

Comment investissent les entreprises d’État chinoises

Le dilemme des dirigeants européens face aux investisseurs chinois

Recevez chaque semaine l’actualité de l’Institut Montaigne
Je m'abonne