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13/01/2014

Éducation - Décrypter l’évaluation de l’enseignement primaire

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Éducation - Décrypter l’évaluation de l’enseignement primaire
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En juin 2013, l'Inspection générale de l'éducation nationale adresse au ministre de l'Éducation nationale, un rapport, Bilan de la mise en ?uvre des programmes issus de la réforme de l'école primaire de 2008 : Quels enseignements le ministre de l'Éducation nationale peut-il tirer de ce rapport?
Pour décrypter ce document ? tant les travers mis en exergue que les actions politiques qui pourraient y remédier ?, tentons l'exercice de nous placer dans la situation du Ministre le découvrant.

1/ Sur la forme

Le Ministre aurait certainement apprécié que l’inspection générale se réfère pour la rédaction de ce rapport à ce qu’elle-même exige pour la rédaction des programmes, "écrits dans un langage clair et concis, conçus pour pouvoir être lus aussi par les parents d’élèves, y compris les moins rôdés à la lecture des textes officiels", car le Ministre est avant tout un citoyen qui se doit de comprendre avant de décider.

Il est donc dubitatif devant cette analyse qui concerne l’élaboration pour chaque élève d’un cahier qui recense les conclusions des leçons :

"Cette pratique marque la nécessité perçue par les enseignants d’institutionnaliser les conclusions des leçons et d’archiver une "mémoire externe" toujours disponible des apprentissages pour pallier les défaillances de la "mémoire interne", qui ne manque pas d’être sollicitée(…) Il serait souhaitable que ces traces soient vraiment celles que le groupe-classe élabore au terme d’une unité d’apprentissage ; c’est le plus souvent la photocopie d’une leçon empruntée à un manuel, et sa distribution peut éclipser toute phase de réflexion, tout moment métacognitif qui enrichirait la séquence en la concluant."

Autres exemples de phrases dont il a du mal à saisir le sens :

"Si quelque chose a évolué dans les dernières années, c’est sans doute la conscience de ce qui est exigible au cours préparatoire et la nécessité alors de mettre en œuvre un enseignement systématique, structuré, exhaustif des correspondances graphophonologiques. Mais cette avancée a un revers : l’enseignement du code et de la combinatoire est souvent devenu l’affaire du seul CP avec un manque de suivi approfondi au CE1, une absence du renforcement nécessaire pour parvenir à l’automatisation, seul gage de plein succès en lecture."

En bon politique, il traduit l’articulation CP / CE1 est très déficiente, mais il n’est pas sûr de son interprétation.

"Une référence sur la littératie numérique à l’école primaire est nécessaire." Ne saisissant pas le sens de la "littératie", il se réfère au Petit Robert : rien. Il en conclut que c’est une erreur de saisie, et interprète comme littérature… Ensuite il hésite, peut-être s’agit-il d’une forme dérivée de l’américain "literacy" dont le sens est "savoir lire et écrire"… alors ? Finalement, l’un de ses jeunes conseillers l’éclaire : "littératie" est un mot "OCDE", cela se réfère à "l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités".

Par ce seul examen de la forme du rapport, le Ministre peut déjà esquisser une réflexion : Le verbiage vient d’en haut et irrigue toutes les strates de notre système : ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, l’inspection générale semble l’avoir perdu de vue. Faudrait-il à l’avenir se passer de ses éclairages'

2/ Sur la méthode

Ce rapport, qui est le fruit de la confrontation des résultats d’un questionnaire adressé à des inspecteurs de l’Éducation nationale et à des enseignants – parmi un panel représentatif d’une centaine d’écoles élémentaires et primaires avec des observations recueillies in situ dans 13 écoles –, témoigne d’une démarche intéressante. - Un bémol : ce panel est-il représentatif ? Dans Paris, aucune école n’a été visitée dans les XIXe et XXe arrondissements et pour Montpellier, aucune école dans les quartiers sensibles de Montpellier, Béziers, Perpignan, Nîmes ou Alès. Il aurait été intéressant d’avoir un ciblage particulier sur des écoles situées au sein des quartiers sensibles de la politique de la ville afin d’évaluer les performances de notre école en situation difficile.

3/ Sur le fond

Les conclusions du rapport ne sont pas inédites, le Ministre pouvait aisément les anticiper avant même de l’avoir parcouru: des programmes lourds, trop ambitieux, pas assez de temps pour les mettre en œuvre et en filigrane pas assez de moyens…Toutefois de nombreux faits recensés dans ce rapport sont alarmants et une lecture ciblée sur le cycle 2 (CP/CE), permet de prendre la mesure de la grande confusion dans laquelle se trouvent les enseignants de notre école primaire.

• En français

Le temps consacré à la lecture peut varier d’une école à l’autre du simple au double en cycle 2 et du simple au triple en cycle 3, les progressions ne sont ni suivies dans la majorité des classes ni comprises parfois…"ce qui frappe dans ce domaine de la lecture, c’est que la majorité des maîtres ne dispose pas des cadres théoriques minimaux, ce qui ne leur permet pas d’être lucides quant à leurs pratiques De ce fait, le besoin de (re)penser cet enseignement n’est pas ressenti. C’est pourtant urgent."

L’orthographe : une grande hétérogénéité des pratiques est – là encore – soulignée "pour certains inspecteurs les dictées sont jugées variées mais trop nombreuses, pour d’autres elles ne sont pas assez fréquentes".

L’écrit : les choix individuels des professeurs ne sont sujets à aucune coordination. "Seulement 50 % se disent satisfaits de leur pratique en matière de rédaction et moins encore (44 %) lorsqu’il s’agit d’examiner l’attention accordée à la correction et à l’amélioration des textes." Pire encore, "Il est dit que l’effort d’écriture rebute les élèves et on le leur épargne".

• En mathématiques

Des retards sont soulignés dans l’acquisition des nombres entiers en cycle 2. Des retards se font également jour autour de la première approche de la division, qui est estimée trop difficile par presque la moitié des maîtres de CE1. Cette approche n’est effectuée que par un enseignant sur deux (54 %), et 16 % des maîtres interrogés disent même ne pas traiter ce point.

Un aveu édifiant, "l’enseignement des mathématiques à l’école primaire souffre de l’insuffisance de formation des maîtres et des inspecteurs dans cette discipline."

Enfin, un sous-titre résume assez bien le constat général : "L’accroissement des connaissances à maîtriser en fin d’école a finalement peu fait débat non parce qu’il a été accepté et compris mais parce que les maîtres s’en sont affranchis". En définitive, le Ministre ne sait toujours pas au bout de combien de temps – par exemple –, la majorité des élèves maîtrisent les 4 opérations.

• Les faiblesses de notre système éducatif pointées du doigt

Deux grandes entraves à une politique efficiente sont soulignées :

1. Il n’y a – au sein d’une même école – pas d’articulation entre le CP et le CE1 : "Les élèves les plus faibles ne sont pas pris en charge à proportion de leurs besoins dès cette seconde année du cycle 2, ce qui fait dire à certains inspecteurs que le début du décrochage date de ce moment-là". Un constat identique prévaut pour les cycles 2 et 3 : "les acquisitions des années antérieures ne sont pas stabilisées, il n’est pas possible à la fois de combler les manques et de "faire le programme"."

2. "La dépendance par rapport aux manuels, fiches, ou aujourd’hui de manière croissante, sites internet est d’autant plus forte que les connaissances des maîtres ne constituent pas d’appuis solides pour construire un enseignement." Ce rapport tend à accabler les maîtres, cependant leur isolement transparaît, ils semblent démunis face aux élèves, leur formation générale est bonne, mais quid de leur formation professionnelle ? De quelles fonctions supports disposent-ils de la part du système éducatif ? L’enseignement est une science, mais quels sont les protocoles mis à leur disposition ? Quels sont les degrés de liberté dont ils disposent pour prendre des initiatives au sein de leur établissement ?

• Quelles solutions avancées ?

Quelques idées et pratiques mériteraient d’être confortées, éventuellement par des évaluations, avant généralisation : - "Dans les deux domaines fondamentaux du français et des mathématiques, une standardisation des conditions de passation et un relevé des résultats des classes et/ou des écoles permettraient aux inspecteurs de mesurer l’efficacité ou les difficultés rencontrées par les équipes pédagogiques et d’assurer un accompagnement adapté". - "On doit parvenir à mieux organiser la progressivité entre les enseignements de l’école élémentaire et ceux du collège (...) par une organisation à la fois progressive et spiralaire des enseignements sur la durée de la scolarité obligatoire".

4/ Quels objectifs politiques ?

Quelques idées-forces se dégagent :

1) Réformer les programmes ? Dans le contexte de l’organisation actuelle des méthodes d’enseignement, des procédures d’inspection, d’évaluation... quels que soient les nouveaux programmes, ils ne pourront être respectés. Cela ne sera donc vraisemblablement pas suffisant face aux défis de l’enseignement primaire. Les mauvais résultats de l’école primaire, qui échoue à enseigner les savoirs fondamentaux à 20 % des élèves, ne peuvent s’expliquer uniquement par la question des programmes.

2) En revanche, il est possible d’assigner des objectifs politiques en se référant à l’enquête internationale PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire, effectuée tous les cinq ans, en 4ème année d’enseignement obligatoire/CM1, 45 pays y participent), deux évaluations à venir en 2016 et 2021.

a) Pour 2021 : La France parmi les 3 premiers mondiaux. À partir de cet objectif, mettre en œuvre tous les moyens organisationnels, de méthodes, d’évaluation, de formation continue des maîtres pour l’atteindre.

b) Pour 2016 : Développer une expérimentation de préfiguration à grande échelle sur deux académies – pourquoi pas Lille et Limoges ? –, en collaboration étroite avec toutes les collectivités territoriales concernées. Sur ces deux académies, l’évaluation PIRLS de 2016, devra les classer parmi les 10 premiers pays. Pour cela, il faudra mobiliser dans ces deux académies l’ensemble des écoles primaires – en dérogeant si nécessaire aux procédures habituelles –, pour que tous les élèves de CM1 (environ 95 % d’entre eux) dans toutes les écoles maîtrisent la lecture et la compréhension en systématisant les méthodes d’apprentissage, les procédures d’évaluation, les mesures issues des travaux de recherche les plus récents.

3) En 2022, ramener le taux de décrochage au cours de la scolarité obligatoire de 20 % à moins de 5 %.

À partir de ces objectifs, décliner toutes les mesures à mettre en œuvre avec un calendrier précis.

Exemple : Remplacer l’inspection formelle des enseignants par une évaluation des élèves en début et fin d’année, sur la base de standards nationaux pour mesurer la "valeur ajoutée" ; en cours d’année identifier les élèves en difficulté pour les traiter individuellement, mettre en place de véritables équipes enseignantes, les supporter sur le plan des méthodes, leur donner des marges d’initiatives, … Comme le souligne Maryline BAUMARD "Loin de supprimer la liberté pédagogique la science offre des outils que chaque enseignant adapte." À partir de ces 3 objectifs, il est impératif de décliner un plan d’action et d’identifier les mesures concrètes à prendre.

En savoir plus

Bilan de la mise en œuvre des programmes issus de la réforme de l’école primaire de 2008

Pour aller plus loin

Consulter la Note - ''Contribution à la concertation sur l'école: priorité au primaire'' - Juillet 2012Consulter le Rapport - ''Vaincre l’échec à l’école primaire'' - Avril 2010

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