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16/10/2013

Quel avenir pour l'école?

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 Laurent Bigorgne
Auteur
Ancien directeur



Interview de Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne, par Marie Deghetto, parue dans le magazine Coté famille (Septembre 2013).

Doit-on revenir aux fondements de l'école de la République ou la réinventer pour endiguer cette crise?

C'est une vérité dure à admettre, maîs bien établie : les performances de notre école sont désormais médiocres et nous placent dans la moyenne des pays de l'OCDE, alors que nous sommes l'un des pays les plus riches et les plus développés du monde. Plus dur encore, notre école, celle de la République, renforce les inégalités sociales.

Pouvons-nous accepter que 20% d'enfants ne maîtrisent pas les fondamentaux à 10 ans, alors que l'on saurait assez bien les aider dès la classe de grande section ? que 20% des élèves, souvent les mêmes, quittent le système à 16 ans, sans aucun diplôme ? que le taux de chômage des jeunes atteigne 25% ? mettant ainsi en danger notre système de protection sociale ? Personne ne peut se satisfaire de cette situation et pourtant on dépasse rarement le stade de la prise de conscience indignée en matière d'éducation. En témoigne, par exemple, le faible soutien dont a bénéficié l'actuel ministre de l'éducation en s'attaquant courageusement à l'incohérence de nos rythmes scolaires. Soit c'est une priorité et le premier ministre aurait dû l'affirmer avec vigueur, soit ça ne l'est pas et il ne fallait se lancer dans cette aventure. Quant à la réforme que vient d'adopter le Parlement, au-delà de la promesse de "refonder" l'école, j'aurais préféré que l'on concentre nos efforts sur les moyens de lutter efficacement contre notre échec scolaire de masse.

Quel bilan peut-on dresser des multiples réformes dont l'école a été l'objet depuis quelques années ?

Depuis plusieurs décennies, les réformes de l'éducation nationale sont incessantes. Elles touchent régulièrement et tour à tour l'ensemble de l'institution... Pêle-mêle, on peut citer l'organisation des cycles d'études, les programmes, les enseignants, les effets de la décentralisation... Néanmoins, on peut adresser trois reproches identiques aux différents pouvoirs, de gauche comme de droite, qui se sont succédé. D'abord, ces réformes ont rarement été portées par une vision stratégique de bout en bout d'un quinquennat et les alternances politiques ont débouché sur l'adoption de nouvelles lois sans que les précédentes aient pu le plus souvent être réellement mises en oeuvre... Difficile de prétendre réformer l'éducation nationale sans vision de long terme. Ensuite, cette myopie est renforcée par l'absence d'évaluation sérieuse des réformes adoptées. Dans notre pays, l'appareil d'évaluation est archaïque et il est enkysté à l'intérieur de l'institution, juge et partie en somme. ll faut donc lire les études de l'OCDE et de la Cour des comptes pour comprendre les dysfonctionnements de notre propre système d'éducation... Enfin, le monde éducatif français est de manière générale peu ouvert sur l'université comme sur les travaux de recherche qui ont permis dans le monde entier d'améliorer les performances des systèmes éducatifs. Les travaux des psycho-cognitivistes ou des économistes de l'éducation, le plus souvent en anglais, sont peu connus et donc peu suivis d'effet... C'est un peu comme si existait un mur de verre entre la médecine générale et la recherche universitaire. Personne ne comprendrait ni ne l'admettrait. C'est pourtant ce que nous acceptons pour nos enfants...

Que faire pour résoudre les difficultés qu'elle connaît ?

Partons d'un diagnostic simple et partagé par toutes les parties prenantes : le problème de l'éducation nationale en France n'est pas celui des moyens. Avec environ 800 000 enseignants pour 12 millions d'élèves à scolariser, notre taux d'encadrement est très satisfaisant. Globalement, l'effort budgétaire de la Nation pour les dépenses d'éducation est suffisant si on le compare à celui de nos principaux partenaires et concurrents. La trop faible performance de notre système éducatif, particulièrement de l'école primaire qui produit environ un élève sur cinq ou six ne maîtrisant pas les fondamentaux à l'âge de 10 ans, a d'autres racines : déficit stratégique, absence d'évaluation et faible ouverture sur l'extérieur.. Ce sont là des problèmes culturels qui ne sont pas simples à résoudre pour les responsables politiques français surtout habitués à légiférer. La conduite du changement n'est pas leur fort, d'autant qu'ils raisonnent principalement à l'échelle de temps d'un mandat...

Comment lutter contre l'échec scolaire ? L'école primaire est-elle la base de la réussite ?

Regardons autour de nous : de nombreux pays sont parvenus à résorber l'échec scolaire... Les enquêtes de l'OCDE montrent d'ailleurs que ces pays, en Europe du Nord, en Asie, en Amérique du Nord... atteignent un niveau de performance à 15 ans tout à fait remarquable, parfois en y consacrant moins de moyens que nous. Et d'autres études réalisées par le ministère de l'éducation nationale ou des enquêtes internationales (PIRLS) vont dans le même sens : il faut anticiper le plus possible les apprentissages fondamentaux, particulièrement pour les élèves qui sont issus des milieux les moins favorisés. C'est ce que montre très bien la recherche en psychologie cognitive depuis trois décennies au moins... Comment traduire ces acquis dans les faits ? En concentrant réellement nos efforts sur le primaire (beaucoup plus que sur le lycée), et si possible en multipliant les crèches en ZEP par exemple, sur le recrutement et la formation initiale et continue des enseignants, en insistant sur les compétences de pré-lecture...
L'enjeu n'est plus celui de la démocratisation de l'accès à l'école, maîs plutôt celui de la démocratisation de la réussite ! Il faut faire tendre nos efforts vers cet objectif qui implique une individualisation beaucoup plus importante de la pédagogie, ce qui va rendre le métier des enseignants plus complexe. Il sera nécessaire de mieux les accompagner, maîs au final la réussite comme la cohésion sociale de notre pays sont à ce prix.

Consulter le rapport de l'Institut Montaigne - ''Vaincre l'échec à l'école primaire''
Consulter le dossier "Vaincre l'échec scolaire"
Consulter la page facebook du magazine Côté famille

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