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05/06/2013

Laïcité en entreprise : résister à la tentation de légiférer

 Lucie Piolot
Auteur
Chargée d 'études

Au mois de mars dernier, la Cour de Cassation a suscité un vif débat en rendant une décision très médiatisée sur l'affaire "Baby Loup" (1). En rendant possible une multiplication des contentieux sans fournir de solution juridique claire, cet arrêt laisse les entreprises démunies face aux limites de leurs capacités d'action. Ce malaise grandissant est souligné par une étude (2) conduite par l'Observatoire du fait religieux en entreprise de Sciences Po Rennes pour l'Institut Randstad.

Cette enquête, réalisée auprès de 679 salariés, 481 cadres de proximité et 210 cadres en ressources humaines entre septembre 2012 et mars 2013 (avant l’arrêt de la Cour de Cassation), rappelle que la grande majorité des pratiques religieuses se fondent sans difficulté dans la vie de l’entreprise : 94 % des cas (à savoir les "questions liées au fait religieux" rencontrées par des managers RH) sont résolus localement, contre 6 % donnant lieu à des conflits. Cependant, ces tensions inquiètent : si 80 % des managers ne ressentent pas de malaise face à ces questions, ils sont plus de 40 % à considérer qu’elles vont prochainement devenir problématiques. La demande d’outils adaptés et d’un guide d’action clair est une demande récurrente des entreprises confrontées à la gestion du fait religieux.

Comme le rappelle la note ''Faire vivre la promesse laïque'', la notion de laïcité est soit trop souvent méconnue soit perçue comme une critique de l’identité religieuse. De plus, l’extension progressive de son champ d’application génère des contraintes supplémentaires qui ne facilitent l’adaptation harmonieuse de ce concept aux évolutions de la société française. L’affaire "Baby Loup" est symptomatique des difficultés grandissantes des entreprises à se positionner vis-à-vis du caractère laïque de la République française. Cet arrêt a relancé un débat déjà ancien sur une éventuelle évolution de la loi pour imposer un devoir de neutralité au sein des entreprises privées; or cette enquête souligne que les responsables d’entreprises se montrent très divisés sur l’opportunité d’une loi ou d’une réforme du code du travail.

En effet, le droit existant permet déjà très largement de saisir les questions de liberté religieuse en entreprise, comme le souligne Abdel Aïssou, directeur général de Randstad France : "les entreprises doivent répondre aux demandes religieuses de manière non religieuse. (…) Le cadre législatif existant permet de couvrir 90 % des cas" (3). Pour répondre aux revendications exprimées au sein des entreprises, l’Institut Montaigne a formulé plusieurs propositions visant à préférer le partage des bonnes pratiques locales à l’extension législative. Ainsi, il convient de réunir les textes applicables à droit constant pour répondre à la demande de clarification exprimée par les salariés et leurs responsables tout en conservant la souplesse du dispositif actuel.

Pour aller plus loin :

- ''Faire vivre la promesse laïque'' (mars 2013)

(1) Cass. soc., 19 mars 2013, 11-28845.

(2) "Dans une étude, l’Institut Randstad et l’OFFRE décryptent le fait religieux en entreprise", Communiqué de presse, 27 mai 2013.

(3) Cité dans : "Laïcité dans l’entreprise : cadres et employés sceptiques sur la nécessité d’une nouvelle loi", Le Monde, 28 mai 2013.

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