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06/11/2012

Pour un choc et une trajectoire de compétitivité

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Pour un choc et une trajectoire de compétitivité
 Laurent Bigorgne
Auteur
Ancien directeur



Tribune de Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne, parue dans la rubrique Idées du Monde.fr le 6 novembre 2012.

Un choc ? Un pacte ? Une trajectoire ? Toutes les contorsions sémantiques du monde ne viendront pas au secours de la compétitivité de notre pays sans une feuille de route ambitieuse, claire et partagée.

Le diagnostic sur lequel fonder cet effort politique d'une portée sans doute inédite est connu de tous : en toile de fond, une crise grave et profonde de nos finances publiques et des équilibres complexes qui les sous-tendent ; une longue dégringolade ininterrompue depuis dix ans de notre compétitivité, de nos parts de marché dans l'Union européenne comme au-delà et au final un taux de marge en berne pour nos entreprises, ainsi dangereusement atteintes dans leur capacité à préparer l'avenir comme à embaucher ; en conséquence, un emballement du chômage qui touche les populations les plus fragiles, les jeunes, les seniors, les moins insérés.

Parmi une vingtaine de mesures, le rapport Gallois met en avant la nécessité d'une baisse des cotisations sociales jusqu'à 3,5 smic pour un montant de l'ordre de 30 milliards d'euros ; la stabilité sur le quinquennat d'un certain nombre de dispositifs tels que le crédit impôt recherche, les dispositifs Dutreil, le soutien à l'investissement dans les PME, etc. ; le renforcement des filières par le lien si important entre donneurs d'ordres et sous-traitants ; les aides aux exportations ; la priorité fiscale aux instruments de détention de l'épargne en actions ; la recherche sur les techniques d'exploitation des gaz de schiste...

Dans le même temps, le Haut Conseil du financement de la protection sociale est lui aussi venu documenter le débat sur la part que les dépenses sociales et leur augmentation viennent prendre dans la richesse nationale : en 2010, elles ont atteint 32 % du PIB, soit leur niveau historiquement le plus élevé. A ceux qui prétendent que la France n'a pas de problème de coût du travail, rappelons que plus de trois quarts des ressources du système de protection sociale sont assis sur le revenu du travail. En tendance, c'est encore et toujours la masse salariale qui sera frappée à mesure qu'il faudra financer l'emballement du système actuel ou que seront instaurés de nouveaux besoins (on songe à la dépendance qui n'a pourtant aucun rapport avec le travail, pas plus que la politique familiale ou l'assurance maladie), ou encore le capital qui sera taxé alors qu'il est le facteur de production le plus mobile de nos économies modernes.

Ce pic des dépenses sociales résonne évidemment avec celui des dépenses publiques que connaît notre pays – 56 % du PIB – et un endettement de 90 % du PIB. Avec pour conséquence un taux de prélèvements obligatoires de 46 % du PIB, un plafond au-delà duquel il est inenvisageable de s'aventurer, de l'aveu même de certaines autorités gouvernementales.

Pour sortir de cette spirale non vertueuse – qui voit les résultats de l'économie française se dégrader, les déficits publics se creuser en même temps que le chômage augmenter fortement –, il faut à la fois un choc et une trajectoire de compétitivité.

D'abord un choc, celui produit par la mise en œuvre le plus rapidement possible du transfert de charges proposé par le rapport Gallois – document de référence désormais. Ce choc permettra de restaurer au moins en partie les marges des entreprises et donc leur capacité à investir. Il aura pour vertu de réinstaller la confiance parmi le monde des entrepreneurs, c'est aussi cela la politique.

Ensuite une trajectoire, celle de la nécessaire réduction de nos dépenses publiques. En effet, aucun de nos partenaires ni aucun de ceux qui financent les déficits publics français ne pourront croire au sérieux de notre politique économique si nous n'allons pas au-delà d'un simple freinage de l'augmentation des dépenses publiques. Le gouvernement actuel doit se lancer dans une réflexion générale et partagée sur les missions de l'Etat – pas seulement sur sa masse salariale –, du secteur social et des collectivités locales. Sur les conditions de leur efficacité. Sur les conditions également de leur soutenabilité. Nous consacrons dix points de PIB de plus que les Allemands à nos dépenses publiques, ce qui, à PIB égal, représenterait presque 200 milliards. Nous ne pouvons plus nous contenter d'ajustements à la marge.

L'effort à fournir est ambitieux, mais à notre portée. Certains pays ont ainsi su trouver une trajectoire de restauration de leur compétitivité sans mettre à mal leur cohésion sociale : l'histoire budgétaire des Etats offre de nombreux exemples de redressement ayant impliqué des efforts de cet ordre. Une étude portant sur 21 pays de l'OCDE entre 1970 et 2007 a ainsi recensé 42 ajustements budgétaires dont l'ampleur annuelle a dépassé les 1,5 % du PIB et qui se sont prolongés pendant plus d'un an comme au Canada par exemple où les dépenses publiques ont diminué de 53 % en 1994 à 44 % en 1997, mais aussi en Suède ou en Finlande dans les années 1990, ou encore en Allemagne dans les années 2000.

Inexorablement, la crise économique que nous traversons produit ses effets sociaux et politiques. Aucun rapport ne dira jamais assez combien c'est la cohésion sociale de notre pays qui est désormais mise en cause. Un de nos plus brillants sociologues, Eric Maurin, a mis en exergue cette "peur du déclassement" qui frappe les classes moyennes, piliers de la République, dans un ouvrage sous-titré Sociologie des récessions.

Dans Banlieue de la République, Gilles Kepel a montré les effets dévastateurs de ce sous-équilibre économique de longue période sur les habitants de Clichy-sous-Bois et Montfermeil, villes-cibles, parmi tant d'autres, de la politique de ville. La crise sape les bases sociales de la République et entretient un communautarisme dont cette dernière – qui nous est si chère – n'est évidemment pas l'horizon. La France est encore maître de son destin. Il n'y a néanmoins plus une année à perdre.

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