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04/01/2010

Lisbonne, réalités et perspectives

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 Jean-Paul Tran Thiet
Auteur
Expert Associé - Justice et Affaires Européennes

La fin de l’année 2009 a vu l’entrée en application du traité de Lisbonne. Elle s’est faite dans l'indifférence générale, ce qui démontre, s’il en était encore besoin, la difficulté qu’il y a à être écouté – a fortiori entendu – lorsqu’il s’agit de parler d’Europe. Pourtant, ce traité mérite l’attention, tant pour les quelques avancées qu’il comporte qu’en raison des aspects qu’il laisse à l’abandon.

Du côté des avancées, on relèvera les points suivants :

  • Même si sa lecture reste difficilement accessible, il simplifie des textes qui se sont empilés au cours des quatre dernières décennies : la « Communauté européenne » disparaît définitivement au profit de l’« Union européenne » ; le mécanisme des « piliers », sur lesquels reposaient les différentes politiques européennes, est supprimé. Tout cela améliore un peu la lisibilité.

  • Le Parlement européen gagne en influence. Dans la plupart des cas, il devient co-législateur.

  • L’Eurogroupe voit son statut renforcé et ses prérogatives augmentées, réaffirmant la volonté des pays qui ont créé la monnaie unique de renforcer leur solidarité. Le Traité indique clairement la volonté des membres de l’Eurogroupe de parler d’une seule voix dans les instances internationales telles que le FMI.

  • Plusieurs politiques pourront désormais être décidées à la majorité qualifiée, alors qu’elles relevaient auparavant de l’unanimité. Tel est le cas, par exemple, des dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs et des entrepreneurs indépendants.

  • Il existe désormais une base juridique pour conduire une politique européenne de l'énergie.

  • La Charte des droits fondamentaux et l’adhésion prochaine de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’homme devraient permettre des avancées importantes en termes de libertés publiques, telles que l’interdiction des doubles peines ou l’obligation de respecter les règles du « procès équitable » dans l’application des règles de concurrence.


Les limites restent cependant importantes :

  • On regrettera, en premier lieu, que les coopérations renforcées ne soient pas encouragées par le nouveau Traité. Au contraire, il augmente encore le nombre d’Etats nécessaires pour créer de telles coopérations, le portant de 8 à 9. Or, comme il est peu probable qu’un nouveau traité ambitieux soit conclu et ratifié au cours des deux prochaines décennies, seuls des Etats « pionniers », désireux d’approfondir la relation qui les unit, pourront encore faire progresser l’Europe.

  • Trop de domaines restent soumis à la règle de l’unanimité. La politique fiscale en est l’exemple le plus frappant et le plus regrettable. En maintenant cette contrainte, on empêche toute lutte efficace et coordonnée contre les paradis fiscaux et on interdit tout progrès vers l’harmonisation des bases de la fiscalité applicable aux entreprises.

  • En matière de politique énergétique, on ne peut que déplorer l’affirmation selon laquelle les dispositions du Traité « n’affectent pas le droit d’un Etat membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ». Aussi longtemps que les pays de l’Union européenne ne reconnaîtront pas la nécessité d’aborder en commun la définition de leurs bouquets énergétiques, l’Europe de l’énergie ne fera que des progrès dérisoires (cf. le rapport de l’Institut Montaigne publié en 2007 « quelle politique de l’énergie pour l’Union européenne ? ».

  • Enfin, last but not least, le tricéphalisme qu’introduit le Traité de Lisbonne ne va pas clarifier la représentation internationale de l’Union européenne. Entre Manuel Barroso, Président de la Commission qui va continuer de prétendre tenir ce rôle, la Vice-Présidente Catherine Ashton, représentante de l’Union pour les affaires étrangères et Herman Van Rompuy, nouveau Président du Conseil européen, les grandes puissances du monde sont encore loin de disposer d’un numéro de téléphone qu’elles pourraient appeler en cas de crise. L’équilibre - nécessairement instable - sera la résultante des chocs de personnalités entre ces trois acteurs, ce qui n’est pas très sain pour des institutions pérennes.


In fine, le Traité de Lisbonne ne mérite ni louanges excessives, ni procès en indignité. Il n’est qu’un pas modeste dans la bonne direction. Formons simplement le vœu que les pays qui souhaiteront aller plus loin dans l’intégration n’en soient pas empêchés par ceux qui ne jurent que par le moins d’Europe possible. Deux pays, l’Allemagne et la France, se doivent d’avoir une plus grande ambition. D’un commun accord, ils doivent reprendre le rôle de leader qui fut le leur lors des principales étapes du projet européen, afin de lui donner une nouvelle dimension (cf. notre note « Entre G2 et G20, l’Europe face à la crise financière », septembre 2009).

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