Les grands projets scientifiques et technologiques ou encore l’emprunt d'innovations puisées à l’étranger ne sont pas des nouveautés. Tous les prédécesseurs de Xi depuis 1978 les ont encouragés. Mais Xi Jinping s'est emparé de la révolution numérique et de l'intelligence artificielle, et a exacerbé le recours à ces nouveaux outils à des fins de contrôle. L'un des grands problèmes de l'État chinois a longtemps résidé dans son faible quadrillage à la base, du fait d’un manque de ressources financières ou humaines. En son temps, Mao Zedong avait cherché à compenser ce handicap avec les mouvements de masse qui enrôlaient des "activistes" et divisaient la population en catégories adverses. Même cela n'était pas très original : Mao avait appris ces techniques à l'Institut de formation des cadres du mouvement paysan de Canton, où il a enseigné en 1926 - sur la base des manuels du Krestintern, la branche paysanne de la Troisième Internationale de Moscou.
Xi met plutôt l'accent sur le contrôle digital, à la fois en matière de répression mais aussi pour servir des objectifs plus larges. Dans la première catégorie, le Xinjiang et la surveillance de masse, l'internement rééducatif et l'emprisonnement des Ouïghours et des Kazakhs revêtent les contours d’une véritable expérience totalitaire. La surveillance électronique, les algorithmes prédictifs et l'action préventive viennent en soutien du Parti : qui a besoin des Gardes rouges de Mao ou de l'espionnage mutuel quand les technologies digitales font le travail ? D’autre part, les systèmes de “crédit social” ont un impact plus large. Ces outils viennent récompenser le respect des lois et règlements et punir les comportements déviants : la recette s’applique tant aux entreprises qu’aux individus. Il faut garder à l’esprit que dans une société qui a connu la collectivisation et les mouvements de lutte, le niveau de confiance est très faible. Les technologies numériques peuvent remplacer la confiance mutuelle : l’individu peut y gagner une certaine sécurité, tandis que l’État-Parti y trouve bien sûr la garantie de la stabilité.
La digitalisation ne s'est pas arrêtée là. Elle a transformé les secteurs de la distribution et de la communication. Autrefois archaïques et inefficaces, ces secteurs font désormais de la Chine le pays le plus dynamique en matière de e-commerce et de réseaux sociaux : en moyenne, les Chinois ont effectué 50 paiements mobiles en 2018, et la plateforme WeChat compte 1,1 milliard d'utilisateurs. Certes, analyser et interpréter tant de données brutes est difficile. Mais celles-ci rendent possibles que l'économie et la société deviennent transparentes pour quiconque contrôle les outils digitaux. En Chine c’est, sans aucune ambiguïté, l’État-Parti, au sommet duquel siège Xi Jinping.
Une telle force pourrait aussi être sa faiblesse. Le contrôle exercé par le centre est excessif. Xi Jinping s'est lui-même désigné comme le "noyau" du Parti. Il reçoit aujourd’hui le titre honorifique de "grand dirigeant" qui était autrefois le privilège de Mao. Tout cadre, fonctionnaire, entrepreneur, expert ou enseignant peut être visé par la lutte anti-corruption ou sous des accusations de moralité. Les ONG déclinent. Le meilleur moyen d’assurer sa longévité dans la Chine de Xi est de "ne pas être un clou qui dépasse", comme le dit un proverbe chinois, et de vivre et travailler dans l'obscurité, en se fondant dans l'environnement politique.
Xi Jinping arbore un diplôme de marxisme et a recours à un vocabulaire léniniste. Mais il porte aussi un manteau à la Brejnev. Tant que la croissance se poursuit, elle offre une légitimité de fait à son pouvoir. Au fur et à mesure que la croissance s'essouffle, Xi Jinping devra mobiliser toutes les ressources du nationalisme pour justifier un régime qui est à la fois rigide et très intrusif pour l'une des populations les plus individualistes de la planète.
Copyright : Greg BAKER / AFP
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