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15/10/2021

Un regard allemand sur Emmanuel Macron

Trois questions à Joseph de Weck

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Un regard allemand sur Emmanuel Macron
 Joseph de Weck
Auteur et Fellow au Foreign Policy Research Institute

Le départ d’Angela Merkel en Allemagne et la chute du Chancelier Sebastian Kurz en Autriche fragilisent le camp conservateur en Europe et ouvrent la voie à l’affirmation d’un nouveau leadership assumé par le Président français Emmanuel Macron. Alors que la France apparaît parfois isolée sur la scène européenne et internationale, quel regard portent les Allemands sur l’action du Président français et sur sa vision géopolitique de l’Europe ? Trois questions à l’auteur allemand Joseph de Weck par Alexandre Robinet Borgomano, responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne. 

L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 fut accueillie favorablement par l’Allemagne, parce qu’elle faisait obstacle à la prise de pouvoir par le Rassemblement national et contenait en elle une promesse de réformes susceptibles de rétablir la compétitivité de l’économie française. Comment la perception de la France a-t-elle évolué en Allemagne au cours des cinq dernières années ? 

D’un point de vue économique, l’image de la France s’est beaucoup améliorée aux yeux des Allemands ces dernières années : les réformes entreprises par Emmanuel Macron au début du quinquennat, sur le marché du travail, sur la fiscalité, ou pour l’allègement des charges salariales sur les petits salaires, ont beaucoup impressionné les Allemands. Aujourd’hui, il est plus rentable d’employer une personne au SMIC en France qu'en Allemagne. Cela est d’autant plus remarquable pour le monde économique allemand que, sous l’ère Merkel, très peu de réformes économiques ont été entreprises. Macron a ainsi réussi à réformer la France, ce que beaucoup d’Allemands pensaient impossible, et ainsi à rattraper les retards accumulés au cours des deux dernières décennies. 

Mais cette réussite économique s’est faite au détriment de la promesse de transformer et d’apaiser le pays, à travers la mise en place d’une structure politique plus inclusive, ce que la part de proportionnelle au Parlement et le renforcement du rôle des partenaires sociaux auraient pû assurer. Si, à travers ces réformes, Macron a rapproché la France de ce qui se fait dans le reste de l’Europe, il s’est "en même temps" éloigné des autres États membres par la façon dont il imposait ses réformes. 

S’il veut regagner la confiance de l’élite politique et économique allemande, Macron devrait essayer de regagner la paix sociale après avoir remporté la bataille de la compétitivité. 

D’une certaine manière, Emmanuel Macron a poussé la logique de la Vème République à son extrême, avec une hyper-centralisation du pouvoir à l’Élysée, inconnue en France depuis le Général de Gaulle. Dans un pays au fond très conservateur, marqué par une forte réticence au changement, les réformes en faveur de l’amélioration de la compétitivité économique n’ont pu être réalisées qu’au prix d’un renforcement de l’exécutif et d’une détérioration du climat social. En Allemagne, le premier indicateur du succès de tout dirigeant est sa capacité à maintenir le calme et la stabilité. Dans cette perspective, Macron a échoué aux yeux des Allemands. 

L’absence de paix sociale est également un problème économique, notamment pour les investisseurs allemands qui sont par nature très prudents : ils valorisent la stabilité comme facteur de compétitivité et sont rapidement effrayés par les images de violence, véhiculées dans les médias. S’il veut regagner la confiance de l’élite politique et économique allemande, Macron devrait essayer de regagner la paix sociale après avoir remporté la bataille de la compétitivité. Mais il n’est pas certain que cela soit sa priorité pour un deuxième mandat.

Depuis son arrivée au pouvoir, le Président Macron a cherché à incarner un nouveau leadership européen afin de poser les bases d’une Europe plus souveraine vis-à-vis des puissances américaine et chinoise. La crise afghane et la création d’AUKUS pourrait-elle marquer un tournant dans la perception allemande du projet d’autonomie stratégique européenne porté par Emmanuel Macron depuis le discours de la Sorbonne ?

Il est rare, en Allemagne, qu'un événement extérieur soit à l'origine d’un changement radical dans la politique du pays. L’abandon du nucléaire après Fukushima était une exception, même si au fond, il s’agissait d’une décision issue d’un processus engagé plusieurs décennies plus tôt. En République Fédérale, comme en France, les changements sur les grandes questions politiques sont très progressifs. C’est également le cas sur la question de l’autonomie stratégique européenne.

Cependant, il est vrai que le cours de l’histoire récente - la montée en puissance de la Chine, l’échec de l’intervention en Afghanistan et l’alliance AUKUS - donne de plus en plus raison à Emmanuel Macron sur son projet d’Europe Puissance. D’ailleurs, le candidat du SPD, Olaf Scholz, comme celui de la CDU, Armin Laschet, ont tous deux repris le discours français d’une Europe plus souveraine. Et comme le montrent l’accord commercial avec la Chine et le projet Nordstream 2, Berlin n’a aucun problème à aller à l’encontre des États-Unis, même si l’Allemagne reconnaît sa dépendance vis-à-vis de Washington en matière de sécurité.

Si AUKUS devrait être un moment de vérité, il devrait l’être autant pour la France que pour l’Allemagne. Le Président français prêche une Europe souveraine en France, mais semble ensuite agir seul dans ses engagements internationaux, avec la Russie ou en Libye, révélant ainsi une politique étrangère "gaulliste", qui ignore les partenaires européens de la France. Les décisions unilatérales ont donné peu de résultats, mais pire, elles ont coûté à Emmanuel Macron énormément de capital politique et de crédibilité, en Allemagne comme dans le reste de l’Union.

Cependant, après l’échec en Afghanistan et AUKUS, nous sommes nombreux, en Europe, à comprendre que les États-Unis, préoccupés par leur conflit avec la Chine, sont devenus moins fiables et s'intéressent peu aux considérations européennes dans la formulation de leur politique étrangère.

Mais l’offre alternative proposée par la France n’est pas vraiment attractive pour les autres États européens : le projet d’une Europe assumant sa souveraineté vis-à-vis de la Chine et des États-Unis ne pourrait intéresser les autres États membres que si la France se montre prête à agir en allié et à coordonner sa politique étrangère avec ses partenaires. 

Sans l’Europe, la France est une puissance négligeable plus qu’une puissance d’équilibre.

Paris doit donc offrir aux Européens ce que les États-Unis ne font plus : consulter et écouter ses partenaires même si ça implique quelquefois de se ranger derrière une position qu’on ne partage pas entièrement. 

Il est très difficile pour la France d’accepter cette idée, car cela implique de faire le deuil de la fiction gaulliste d’une France qui serait un acteur majeur sur la scène internationale. AUKUS est donc peut-être un moment de vérité pour la France, car cette onde de choc montre, une fois de plus, que sans l’Europe, la France est une puissance négligeable plus qu’une puissance d’équilibre. 

En juin 2022 se tiendra l’élection présidentielle française. Quelles leçons peut-on tirer des élections fédérales allemandes en vue de ces présidentielles et comment définir les attentes de l’Allemagne vis-à-vis de ces élections ? 

Pour le moment, les Allemands, occupés par leurs propres élections, ont peu entendu parler de l’élection française. Mon essai intitulé "Macron, der revolutionäre Präsident" est actuellement le seul livre sur la France d’Emmanuel Macron disponible en allemand. Mais de manière générale, les Allemands semblent beaucoup moins inquiets qu’en 2017 : à l’époque, traumatisée par le Brexit et l’élection de Donald Trump, l’Allemagne voyait comme une fatalité catastrophique la prise de pouvoir en France par Marine Le Pen. Paradoxalement, les Allemands sont aujourd’hui moins inquiets.

Il est par ailleurs très difficile de tirer des leçons des élections allemandes pour la France. Le système électoral comme la culture politique sont diamétralement opposés. Par ailleurs, la structure de l’électorat des deux pays est très différente : 50 % des Allemands votent pour la gauche ou le centre-gauche, 40 % pour le centre-droite et seulement 10 % pour l’extrême droite... En France, la gauche est historiquement plus faible, la droite majoritaire, et l’extrême droite sensiblement plus forte.

L’Allemagne vient de vivre une élection sans candidat sortant, au contraire de la prochaine élection présidentielle française. Ce type d’élection sans candidat sortant est toujours beaucoup plus volatile, car une grande partie de l’électorat fait son choix au moment du vote. C’est ce qui a permis Scholz de s'imposer de façon inattendue comme le vainqueur de l’élection. Pourtant, s’il y a une leçon à tirer pour Paris de l’élection allemande, c’est que Scholz est perçu en Allemagne comme une personnalité d’avenir, et pas seulement pour les 4 prochaines années. L’Allemagne a pour habitude de reconduire ses chanceliers. 

 


Copyright : AXEL SCHMIDT / POOL / AFP

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