Jamais depuis la fin de la Guerre froide, la guerre chaude n'est apparue aussi proche, estime Dominique Moïsi. L'Ukraine est encerclée, ou presque. Les mots malheureux de Joe Biden encouragent Vladimir Poutine dans son mépris de la diplomatie américaine. Et les menaces de sanctions occidentales ne le feront pas reculer…
Alors que les diplomates s'agitent, les troupes se mettent en position. Jamais depuis la fin de la Guerre froide, la guerre chaude (la vraie) n'est apparue si proche, si plausible. Au lendemain de la chute du mur de Berlin, la guerre était revenue en Europe avec l'éclatement de la Yougoslavie. En moins d'une décennie, les guerres des Balkans avaient causé la mort de plus de cent mille personnes et le déplacement de plus de deux millions d'autres.
En 2022, ce n'est pas l'éclatement d'une région qui menace l'Europe, mais la volonté de recréation de son empire, ou pour le moins le contrôle de la périphérie de celui-ci, par la Russie. Dans les années 1990, la guerre était restée aux portes de l'Europe et son enjeu n'était pas central à l'équilibre du continent.
Aujourd'hui ce qui est en cause à travers le redécoupage possible de la région par un de ses grands acteurs, c'est la question de l'équilibre européen.
Les "parts de gâteau" de Poutine
L'ancien conseiller national pour la sécurité du président Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, était persuadé que sans le contrôle de l'Ukraine, la Russie ne menaçait pas l'équilibre de l'Europe.
À l'inverse, à partir du moment où Moscou aurait repris le contrôle de Kiev, il existerait de facto "un problème russe" en Europe tout comme il y avait eu, de 1871 à 1945, un problème allemand : c'est-à-dire un pays trop important que ses voisins ne parvenaient plus à équilibrer.
Ce retour au concept d'équilibre des puissances, si cher à l'Europe d'Ancien Régime, est en ce début de XXIème siècle tout à la fois, parfaitement anachronique et parfaitement plausible, compte tenu de la mentalité du maître du Kremlin.
Comment peut-on encore penser la politique internationale en termes de part de gâteau, alors que le gâteau lui-même, notre planète, est menacé par le réchauffement climatique et l'une de ses conséquences, la montée des eaux ?
Un partage de l'Ukraine avec la Pologne !
Si l'on ne fait rien ensemble pour lutter contre ce processus, il y aura toujours moins de gâteau à partager, toujours moins d'espaces à habiter. Et pourtant cette ambition territoriale et identitaire - sans l'Ukraine, je ne suis pas pleinement moi-même - existe en Russie.
Poutine a beau se présenter comme l'héritier de Pierre le Grand, s'inspirer du tsar autoritaire et antilibéral que fût Nicolas Ier, dans son approche de la question ukrainienne, il fait avant tout penser à Catherine II. Ce fut elle qui intégra la Crimée dans son empire, elle aussi qui présida au triple partage de la Pologne entre 1772 et 1795.
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