Mustafa Kemal Atatürk a mis l’accent sur la reconstruction du pays, en minimisant les dépenses militaires (que la Turquie en ce moment serait bien incapable de financer) et en mettant en exergue les alliances régionales telles que le Pacte des Balkans ou le Pacte de Sadabad.
Après la Seconde Guerre mondiale, et surtout après la pression exercée par Staline, toute la politique étrangère de la Turquie s’est construite autour de l’Alliance atlantique. Ce n’est pas très étonnant puisque depuis la fin du XVIIIe siècle, l’Empire Ottoman essayait de se restructurer en prenant les institutions européennes comme exemple (surtout pour l’armée, mais pas uniquement). Après 1945, toute l’Europe de l’Ouest était à l’heure américaine, donc la Turquie aussi. Cet état des choses n’a pas empêché la Turquie de servir de modérateur entre les deux pays durant la guerre Iran-Irak qui a duré huit ans, de servir d’interface entre Israël et la Syrie, en 2007, de résoudre pacifiquement le nettoyage ethnique que la Bulgarie socialiste avait entrepris contre sa minorité turque en 1987, en accueillant près d’un demi-million de réfugiés.
La Turquie a su, pendant les années 1960, importer les technologies sophistiquées qu’elle n’arrivait pas à se procurer auprès de ses alliés, de son voisin soviétique. Le complexe sidérurgique d’Iskenderun en est le meilleur exemple. Tout ceci pour dire que la Turquie, très fortement ancrée à l’Europe de l’Ouest et les États-Unis, pouvait se créer une marge de manœuvre conséquente lorsqu’il s’agissait de ses intérêts nationaux et pouvait fort bien établir des relations bilatérales régionales qui ont contribué à son rôle de "stabilisateur" dans la région. Tout cela s’est perdu depuis une dizaine d’années, la Turquie est en conflit larvé ou ouvert avec pratiquement tous ses voisins, à part la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Cet état des choses ne saurait se pérenniser, d’où une tentative de changement de cap de la part du pouvoir politique en Turquie, dont on attend toujours la concrétisation sur le plan pratique.
Comment les Européens vont-ils accueillir cette main tendue ? Quelles peuvent être les prochaines étapes de la relation UE-Turquie ?
L’Union européenne est tenue de respecter un certain nombre de conditions, qu’elle-même a posées et qui existent dans les traités fondateurs, avant de normaliser ou de suspendre ses relations institutionnelles avec un pays tiers. Dans ce but, elle a pris un certain nombre de décisions, presque toutes ayant trait au bon fonctionnement de la démocratie en Turquie, à la liberté d’expression, au pluralisme, à la séparation essentielle des pouvoirs, au respect des minorités et la liste est encore longue. Sans de solides et tangibles pas dans cette direction, sans établir l’indépendance du pouvoir judiciaire dans les faits, il serait difficile pour l’UE de "normaliser" les relations avec la Turquie. En fait, une véritable normalisation serait de reprendre les négociations d’adhésion qui sont au point mort depuis près de six ans. Ceci est un scénario d’horreur pour les dirigeants européens, car il existe un rejet presque inné concernant une Turquie membre de l’UE. Même lorsque la Turquie remplissait largement, et beaucoup mieux que certains autres pays candidats (qui sont devenus membres entre-temps), toutes les conditions d’accès à l’adhésion, des coups bas et des manquements aux promesses officielles ont eu lieu. Aujourd’hui, la Turquie s’est tellement éloignée des principes de bonne gouvernance et des critères politiques de Copenhague qu’on a largement oublié, ou préféré oublier, la très mauvaise foi des dirigeants européens dans les années 2002 à 2007.
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