Des algorithmes sont aujourd’hui développés à partir du système national des données de santé pour détecter la présence de prescriptions inappropriées chez les sujets âgés, ou encore prédire les risques de chute. Des outils numériques peuvent également permettre d’évaluer la qualité des soins apportés aux personnes, alors que le choix des services repose encore beaucoup sur le principe du "bouche à oreille", sans que les usagers aient toujours les moyens de s’assurer de leur qualité.
Enfin, la France a besoin de se doter d’outils d’évaluation de l’impact de sa politique du "bien-vieillir". Alors que les disparités territoriales de la prise en charge de la dépendance sont connues, nous manquons à l’heure actuelle de données permettant de comparer la qualité et l’impact des mesures mises en œuvre aux niveaux départemental et régional. Pourtant, ces données seraient très utiles pour établir des benchmarks et uniformiser la qualité de la prise en charge de la perte d’autonomie sur le territoire français. Plusieurs pays étrangers ont mis en place des indicateurs permettant d’évaluer l’impact des stratégies menées au niveau territorial. Aux États-Unis, par exemple, l’AARP et le Commonwealth Fund actualisent tous les trois ans un classement de la performance de la stratégie menée par les différents États, à partir d’indicateurs couvrant des dimensions essentielles de la prise en charge des personnes (accès aux soins, choix de services, qualité des soins, aide aux aidants familiaux, et parcours de soins). La réalisation d’un travail similaire permettrait d’évaluer l’impact des projets régionaux de santé déployés par les autorités régionales de santé, de l’aide apportée par les caisses régionales d’assurance retraite et de santé, des plans d’aide financés par les conseils départementaux etc. La création d’une grande étude nationale sur le "bien-vieillir", dont nous avons besoin pour évaluer l’impact des stratégies territoriales, permettrait de répondre à ces besoins.
Réussir la transition démographique est encore possible
En conclusion, il est possible de répondre efficacement aux besoins liés à la perte d’autonomie, et de réussir la transition démographique dans laquelle nous sommes engagés. Mais cela nécessite une prise de conscience forte des décideurs publics de l’urgence de la situation, et la mise en œuvre d’une stratégie claire. L’histoire récente a montré que nos gouvernements ont souvent pris la mesure de ces enjeux. Comparé aux autres pays de l’OCDE, nous avons su dégager des moyens très importants pour financer les besoins liés au "grand-âge", notamment lors de la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie en 2004, ou pour financer des actions concrètes de prévention et d’accompagnement, à travers des initiatives comme le plan Alzheimer 2008-2012. La France a également été l’un des derniers pays de l’OCDE à avoir entamé une réforme de la dépendance, avec la loi d’adaptation de la société au vieillissement en 2016.
Le moment semble être venu d’opérer une synthèse de ces initiatives, en rassemblant les enjeux liés à la transition démographique autour d’un grand ministère du "bien-vieillir", doté d’un poids politique suffisant pour imposer une vaste réforme du secteur. La crise sanitaire a montré que notre société pouvait consentir à des sacrifices très importants dans l’intérêt de nos aînés. Depuis plus d’un an, les problèmes du "grand-âge" ont été placés au cœur de la politique publique et de l’action du gouvernement. Avec la sortie de crise, le risque est de voir reculer ces enjeux dans l’ordre des priorités gouvernementales, alors que le moment semble être le bon pour mettre en œuvre les réformes nécessaires. Plusieurs pays de l’OCDE l’ont d’ailleurs saisi. C’est le cas outre-Atlantique, avec l’investissement massif dans le secteur annoncé par l’Administration Biden (400 milliards de dollars sur huit ans).
Simone de Beauvoir donnait sa propre solution au bien-vieillir : "conserver dans le grand âge des passions assez fortes". À quoi serviraient les sacrifices auxquels les Français ont consenti depuis le début de la crise sanitaire, si l’on ne donnait pas les moyens à nos aînés de tirer le meilleur parti des années de vie qu’ils ont permis de sauver, en continuant à vivre leurs passions ?
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