Plan B
L’hypothèse d’un autre futur reste cependant sur la table ; elle est même si évidente que c’en est décourageant de ne pas voir l’Europe en faire un thème politique central. Si ses représentants sont prompts à revendiquer leur attachement à l’humanisme européen, ils sont trop souvent incapables de formuler ce que cela peut signifier pour l’Europe du XXIe siècle. Ainsi, le désamour qu’inspire l'Europe est aussi né de son incapacité à proposer un projet politique qui soit inspirant et de nature à souder les citoyens européens.
La révolution numérique représente une opportunité sans pareil de créer une Europe différente, où les technologies seraient utilisées pour et par les citoyens et aideraient à traiter les grands enjeux du siècle - sociaux et en particulier environnementaux. Une Europe aussi où les institutions et les entreprises n’abuseraient pas du potentiel des technologies mais les développeraient dans l’esprit du respect d'un bien commun. Cela ne pourrait passer que par une articulation audacieuse entre régulation et institutions publiques (largement à repenser) d’une part, et innovateurs d’autres part.
L’Europe face à ses limites
Pour l’Europe, ce pas de deux s’est montré particulièrement difficile à exécuter : l’absence de vrai budget "fédéral" intégrant les enjeux militaires et de recherche a considérablement limité les possibilités d’investissement de long terme. En parallèle, le RGPD se révèle, avec le temps, limité quant à ses capacités de permettre aux citoyens de se réapproprier leurs données (sur ce sujet, voir l’étude de François Godement pour l’Institut Montaigne, Données personnelles : comment gagner la bataille). Surtout, il s’avère être un parcours du combattant pour les petites et moyennes entreprises aux faibles capacités juridiques. Pourtant, c’est dans la libération du potentiel des innovateurs que se trouve une clé importante de notre futur ; une libération d’autant plus complexe à gérer qu’elle devrait s’effectuer dans un cadre évitant les travers constatés dans d’autres régions du monde.
L’Europe s’est aussi rendue prisonnière des règles de conformité financière qu’elle impose aux États-membres comme au système financier. Or, dans les périodes d’accélération de l’histoire, l’investissement est une nécessité pour ne pas en sortir - ce qu’ont bien compris Américains et Chinois. Comme l’exprimait récemment Emmanuel Macron, on peut se demander si notre orthodoxie financière n’a finalement pas pour conséquence ultime que de participer au financement des déficits américains. Le coût de fonctionnement des institutions publiques françaises est également une barrière qu’il faudra nécessairement dépasser.
La décennie 2020 sera-t-elle donc dystopique ou utopique en ce qui concerne la technologie ? Pour l’instant, il est difficile de parier sur un renversement utopique, mais comme l’observait feu Michel Serres, "le propre de l’histoire est d’être plus fait de rupture que de continuité".
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