Dissensions dans la famille régnante
Sur ces entrefaites, le feuilleton russe était relayé par un autre encore plus étonnant, celui de l’affaire Makhlouf.
Début mai, le cousin affairiste du président Assad, Rami Makhlouf, commençait à diffuser sur les réseaux sociaux des vidéos implorant le président Assad de mettre un terme à la pression fiscale contre la compagnie de téléphonie qu’il possède (Syriatel). Puis, il dénonçait les arrestations de certains de ses collaborateurs et plus généralement les exactions des services de sécurité.
La mise en scène de ces vidéos et le langage utilisé par Rami Makhlouf avaient de quoi fasciner les Syriens et notamment la base alaouite du régime : l’homme d’affaires, connu pour son cynisme sans limite, insider parmi les insiders depuis des décennies, se présentait en homme modeste et pieux, indigné par l’injustice dont il était victime, paraissant découvrir les méthodes habituelles des séides du régime.
Le bon apôtre rappelait aussi avec insistance le rôle important qu’il avait joué dans la lutte contre le soulèvement, en finançant une partie des milices du régime et en versant des sommes considérables aux proches des combattant morts au service de la cause.
Il était évident que le cousin du président s’adressait ainsi à la base du régime, plus exactement aux nombreuses familles modestes de la communauté alaouite, notamment dans les villages, qui ont servi de "chair à canon" dans la guerre civile et souffrent comme le reste de la population de la misère générale. En Syrie, le PIB s’élève actuellement à un quart de ce qu’il était avant la guerre civile et 80 % de la population est-en dessous du seuil de pauvreté.
Mais qui est Rami Makhlouf ? Son père, Mohammed Makhlouf était le beau-frère d’Hafez, le père de Bachar et fondateur de la dynastie. Les Makhlouf sont alaouites comme les Assad bien sûr, mais d’une tribu plus prestigieuse que celle des Assad. Mohammed a joué un rôle majeur dans l’économie syrienne pendant les trente ans de règne d’Hafez al-Assad. Il a naturellement amassé une fortune importante.
A l’arrivée au pouvoir de Bachar en 2000, Rami prend son envol. À son tour il acquiert une place de plus en plus envahissante dans l’économie nationale. Il est l’un des principaux bénéficiaires de l’ouverture économique, notamment lorsqu’il obtient la licence de l’une des deux entreprises de téléphonie du pays.
Au fil des années, il devient impossible en Syrie d’obtenir un contrat ou de faire des affaires sans laisser un pourcentage à Makhlouf, dont par ailleurs le frère et d’autres parents occupent des postes importants dans les services de sécurité. À la fin des années 2000, les Makhlouf et les Assad semblent former un seul bloc, les uns trustant l’économie, les autres (Bachar et son frère Maher) gérant la politique : les Makhlouf sont l’aile affairiste de la famille régnante.
Cette famille présente toutefois des ressemblances avec celles des Atrides. Hafez al-Assad avait dû au début des années 80 se séparer de son frère Rifaat, qui avait cherché à l’évincer du pouvoir. En 2012, le beau-frère de Bachar, Assef Chawkat, trouvait la mort dans un attentat qui apparaît rétrospectivement comme ayant été commandité par le palais présidentiel et probablement les Iraniens.
En 2011, lorsque le soulèvement commence, Rami Makhlouf polarise sur lui une grande partie de la détestation dont le régime est l’objet dans la population. Assad ne peut pas ne pas le comprendre. Il eût été expédient pour lui de mettre son cousin au cachot ou en tout cas de se distancier de lui. Makhlouf prend les devants, annonce qu’il renonce aux affaires pour se consacrer à la philanthropie. Mais une philanthropie assez orientée : sa fondation (al-Bustan) s’emploie à lever des milices en milieu alaouite et à subventionner les victimes alaouites de la guerre civile.
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