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24/11/2017

Stratégie logement : gare aux effets indésirables

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Stratégie logement : gare aux effets indésirables
 Victor Poirier
Auteur
Ancien directeur des publications

Le budget du ministère de la Cohésion des territoires, voté début novembre, est en forte baisse (-9,8 %). La "Stratégie logement", présentée par le gouvernement en septembre, est à l’origine de cette diminution. Elle poursuit un double objectif : réaliser des économies sur la dépense publique, tout en améliorant l’offre de logements à disposition des citoyens. Si ces deux objectifs sont conciliables, ils nécessitent néanmoins une ligne claire, que la "Stratégie logement" ne définit pas suffisamment. Quelle politique du logement permettrait d’atteindre cohérence, efficacité et respect des besoins des citoyens ?

Le logement, une politique complexe - et onéreuse

Le constat dressé par l’Institut Montaigne en 2015 dans son rapport Politique du logement : faire sauter les verrous est, trois ans plus tard, partagé par l’exécutif. Avec plus de 40 milliards d’euros qui y sont consacrés (soit 2 % du PIB contre 0,7 % en moyenne dans l’Union européenne), la politique de logement demeure trop complexe, trop onéreuse et in fine inefficace. 8 % du parc d’habitation est inoccupé - soit 2,9 millions de logements - tandis que quatre millions de Français sont, dans le même temps, considérés comme mal-logés. 

Dès lors, une politique globale et volontariste des pouvoirs publics est indispensable, non seulement pour encourager le secteur du bâtiment, mais aussi pour s’assurer que les logements trouvent preneurs.

Un effort porté aux zones tendues et à la simplification administrative

Le souhait de simplification normative du gouvernement, afin de réduire les coûts et délais de construction,est un signe positif : l’augmentation du nombre de normes avait jusqu’ici incontestablement contribué à la hausse constatée des coûts de construction (+ 55 % entre 2000 et 2014). Le gouvernement vise aussi à faciliter la vente de logements sociaux aux occupants, et à assouplir la réglementation sur le marché locatif en encourageant la mobilité dans le parc social (avec le "bail mobilité" par exemple). Ces orientations, déjà définies dans le rapport de l’Institut en 2014, devraient permettre de mieux répondre aux besoins des citoyens.

La stratégie logement inclut également d’importants abattements fiscaux - réduction légale de la base d’imposition - dans les zones où les besoins sont les plus forts. Ces avantages devraient permettre de favoriser la construction de logements dans ces zones dites "tendues", puisque celles-ci deviennent plus intéressantes financièrement pour les investisseurs (qui ne doivent plus attendre 22 à 30 ans pour bénéficier de rabais fiscaux).

Une réforme nécessaire, mais inadaptée des APL

Le récent débat sur la baisse généralisée des aides personnalisées au logement (APL) a été tranché par le gouvernement, qui pérennisera cette diminution de cinq euros par mois en 2018. Les APL ont en effet entraîné l’inflation des loyers des logements de petites surfaces. Si leurs effets indésirables et leur coût très élevé - 18 milliards d’euros annuels - rendent nécessaire une réforme du système, la baisse généralisée entérinée par le gouvernement ne répond ni aux impératifs financiers, ni aux besoins des bénéficiaires, notamment aux boursiers pour qui ces aides représentent un apport non-négligeable

L’Institut Montaigne préconise plutôt de recentrer les aides au logement versées aux étudiants. Dans un souci d’efficacité et d’équité, il s’agirait de prendre en compte la situation sociale des bénéficiaires et de supprimer les aides au logement pour les non-boursiers, afin de les renforcer pour ceux qui en ont le plus besoin. 

Cette solution permettrait de ne pas demander aux bailleurs sociaux - propriétaires de logement s’adressant aux ménages à faible revenu - un effort de 1,5 milliard d’euros. Ce total correspond à la baisse des APL visant les 2,5 millions de locataires de logements sociaux, soit 50 euros par locataire, laquelle sera assumée par les bailleurs sociaux à travers une baisse équivalente des loyers. L’exécutif a néanmoins consenti, suite aux vives réactions des organismes HLM suscitées par ces annonces, à lisser cette baisse sur les trois prochaines années (800 millions d’euros en 2018, 1,2 milliard en 2019 et 1,5 milliard en 2020), tout en la compensant temporairement par une hausse de la TVA sur les travaux de rénovation et de construction.

Un risque de découragement des bailleurs 

Les bailleurs sociaux, qui voient ainsi leurs revenus amputés d’1,5 milliard d’euros à terme, pourraient être découragés à rénover leurs biens et à les mettre en location. L’exécutif estime que cette mesure encouragera à une meilleure gestion des HLM, souvent décriée pour ses dérives et sa dépendance aux soutiens financiers de l’Etat malgré des fonds propres conséquents (161 milliards d’euros). Les bailleurs sociaux insistent quant à eux sur le risque de mise en péril de certains organismes et de leurs locataires. Quoi qu’il en soit, les bailleurs sociaux ne sont pas les seuls propriétaires qui pourraient être désavantagés par la réforme à venir.

En maintenant l’encadrement des loyers - même si est prévue l’évaluation en continu du dispositif - et en augmentant la CSG sur les revenus locatifs d’1,7 point dans le cadre d’une autre réforme fiscale, l’exécutif prend ainsi le risque de désinciter les loueurs privés comme sociaux à investir dans leurs biens. En adoptant des chemins de traverse pour contraindre les propriétaires à baisser les loyers, la stratégie logement pourrait avoir pour effet indésirable d’entraîner une baisse du nombre de biens mis en location, et ainsi de ne pas porter remède à la "maladie du logement".

Si la "Stratégie logement" identifie clairement et avec raison les principaux défis de l’immobilier français - coût du logement, déficit d’offre, casse-tête administratif -, il n’en demeure pas moins vrai que les side effects pourraient être contreproductifs. 
 

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