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02/03/2023

[Sondage] - Les Français et la souveraineté alimentaire

[Sondage] - Les Français et la souveraineté alimentaire
 Institut Montaigne
Auteur
Institut Montaigne

Pour Hugues Bernard, chargé d'études Climat & Environnement à l'Institut Montaigne,les résultats de ce sondage, réalisé en partenariat avec Elabe et Les Échos, confirment un élément majeur de notre rapport "En campagne pour l’agriculture de demain" (2021) : les Français se soucient particulièrement de leur sécurité alimentaire. Face à la guerre en Ukraine - et ses conséquences directes sur les chaînes d'approvisionnement et l'inflation alimentaire - la majorité des sondés appelle à davantage de protectionnisme franco-européen. Les opinions défavorables sur les accords de libre-échange tranchent paradoxalement avec la volonté des sondés de disposer d’une offre alimentaire à bas prix. Enfin, le scepticisme des sondés (à 51 %) sur notre capacité collective à concilier nourriture en quantité suffisante, de bonne qualité et respectueuse de l'environnement, marque toute la difficulté, réelle, que représente la transition écologique de l'agriculture.

 

Alimentation : une majorité de Français a le sentiment que le pays est en grande partie autonome

Question : D'après ce que vous en savez, avez-vous le sentiment que la France a la capacité de produire seule l'ensemble des denrées alimentaires nécessaires pour sa population ?

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12 % des Français considèrent que la France est entièrement autonome d'un point de vue alimentaire, 54 % que le pays n’est pas entièrement autonome mais produit une grande partie de ses besoins alimentaires en France, et 33 % que la France importe beaucoup sur le domaine de l'alimentation, elle n'est pas du tout autonome pour couvrir les besoins de sa population.

Cette perception d'une France pas entièrement autonome mais qui produit une grande partie de ses besoins alimentaires est partagée par une majorité absolue ou relative dans la plupart des catégories de population et électorats.

Elle est particulièrement présente chez les électeurs d'Emmanuel Macron (67 %) et dans une moindre mesure de Jean-Luc Mélenchon (54 %). Les électeurs de Marine Le Pen sont plus partagés : 44 % partagent cette opinion, 37 % pensent que le pays importe beaucoup sur le domaine de l'alimentationet n'est pas du tout autonome et 18 % qu’elle est entièrement autonome.

La perception d'une autonomie relative du pays (pas entièrement autonome mais produit une grande partie) est majoritairement perçue au sein de toutes les catégories socio-professionnelles (53 % à 61 %) sauf chez les ouvriers qui sont partagés entre cette opinion (38 %) et le sentiment que le pays n'est pas du tout autonome (39 %).

L'analyse de l'Institut Montaigne

La France est une grande puissance agricole : aujourd’hui, 80 % de notre alimentation est produite en France. Nous exportons 55 % de notre production de blé tendre, 98 % de celle de Cognac et 40 % du lait collecté. Le secteur agroalimentaire constitue l’un des rares postes excédentaires de notre balance commerciale avec près de 8,4 milliards d’euros d’excédent en moyenne sur les dix dernières années.

La France n’est toutefois pas entièrement autonome - c’est d’ailleurs ce que la majorité des sondés (54 %) ont répondu. La France reste dépendante du reste du monde pour de nombreux produits. Par exemple, elle importe 40 % de ses fruits tempérés, 56 % de sa viande de mouton, et 70 à 80 % de ses besoins en miel.

Comme nous l’expliquons dans notre analyse sur la compétitivité du secteur agricole, l’autonomie alimentaire de la France tend à s'amenuiser. En deux décennies, la France a multiplié par 2,6 en valeur ses importations de denrées alimentaires : 73,2 milliards d'euros en 2022, contre 28 milliards en 2000. Cette année encore, la croissance de nos exportations (+18,5 %, après +17,1 %) est moins vive que celle de nos importations.

L’augmentation de la part de nos importations est une résultante de la stratégie de montée en gamme de l’alimentation française portée par la loi Egalim (2017) : les produits français sont compétitifs sur le premium mais leurs prix augmentent et empêchent une partie des ménages à consommer français. Le relatif délaissement par l’industrie alimentaire française des marchés entrées et milieux de gamme conduit à faire appel à une offre internationale, moins qualitative mais de meilleur prix. C’est notamment le cas dans la filière viticole : la France exporte ses appellations mais importe du vin d’entrée de gamme depuis l’Espagne.

 

Pour répondre aux besoins alimentaires de la population, l'opinion est partagée entre une autonomie nationale et une entente européenne

Question : Pour répondre aux besoins alimentaires de toutes les personnes qui vivent en France, vous diriez que... ?

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Pour répondre aux besoins alimentaires de toutes les personnes qui vivent en France :

  • 46 % des Français considèrent que la France doit produire tout ce dont elle a besoin sur son territoire, pour ne plus dépendre des autres pays

  • 41 % que le pays doit s'entendre avec les pays de l'Union Européenne pour qu'ensemble, ils puissent produire tout ce dont ils ont besoin

  • 12 % que l’on doit continuer de faire des échanges avec l'ensemble des pays du monde

Politiquement, une nette majorité des électeurs de Marine Le Pen souhaitent une autonomie complète du pays (62 %) tandis que les électeurs d'Emmanuel Macron sont en faveur d'une entente européenne (57 %). Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon sont quant à eux très partagés (47 % ne plus dépendre des autres pays et 44 % doit s’entendre avec les pays de l’UE).

Les cadres et les plus jeunes ont une opinion plus "ouverte" sur le monde : près de 50 % des cadres et des 18-24 ans souhaitent que la France s’entendent avec les autres pays de l'Union européenne et près de 20 % qu’elle continue d’échanger avec le reste du monde.

L'analyse de l'Institut Montaigne

Les réponses à cette question sont particulièrement intéressantes. Dans un climat de guerre en Ukraine et d’inflation alimentaire, 87 % des sondés estiment que la France devrait arrêter ses échanges avec le reste du monde. Ces résultats illustrent assez bien le rejet par l’opinion publique des accords de libre échange - comme celui du Mercosur (accord pas encore ratifié par le gouvernement français) - lesquels sont trop souvent perçus au désavantage des agriculteurs français.

Seulement, ce regain de protection franco-européen interpelle pour deux raisons. Premièrement, un isolationnisme alimentaire ne permettrait pas, en pratique, de satisfaire les besoins de la population française. La France dépend pour un certain nombre de produits alimentaires de ses échanges avec le reste du monde. Deuxièmement, dans une période d’inflation alimentaire, particulièrement forte en Europe, les importations alimentaires internationales permettent justement de maintenir des prix alimentaires à des niveaux raisonnables. En clair, si les accords de libre échange pénalisent l’industrie agricole française, ils permettent de ne pas trop restreindre le pouvoir d’achat des Français.  

Dans notre rapport “En campagne pour l’agriculture de demain”, nous options pour un juste équilibre entre préservation de la compétitivité de l’industrie française et maintien du pouvoir d’achat des Français. Nous préconisions l'instauration systématique de "clauses miroirs" et de conditionnalités tarifaires dans les accords commerciaux multilatéraux. Ce mécanisme permettrait de maintenir des accords de libre échange tout en imposant à nos partenaires internationaux de ‘jouer avec les mêmes règles du jeu’, c’est-à-dire les soumettre aux mêmes normes sociales et environnementales que respectent nos agriculteurs. C’est actuellement ce qui est en train de se discuter au niveau du Parlement Européen pour les accords du Mercosur.

 

Des Français sceptiques sur notre capacité à développer une production alimentaire qui concilie quantité, qualité pour la santé et respect de la planète

Question : Selon vous, en France, serons-nous capables de relever chacun des défis suivants en 2050 ?

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Une majorité de Français est optimiste sur notre capacité à atteindre d'ici 2050 des niveaux de production alimentaire suffisants pour répondre aux besoins de la population :

  • 60 % estiment que nous serons capable d'avoir une production alimentaire en quantité suffisante pour couvrir les besoins alimentaires de l’ensemble de la population française

L’opinion publique est en revanche plus sceptique sur notre capacité à atteindre cet objectif en répondant à des exigences sanitaires et environnementales :

  • 53 % estiment que nous serons capable d'avoir une production alimentaire en quantité suffisante ET EN MÊME TEMPS de bonne qualité pour la santé pour l'ensemble de la population française

  • 49 % d'avoir une production alimentaire en quantité suffisante, de bonne qualité pour la santé ET EN MÊME TEMPS respectueuse de la planète (émissions de CO2, exploitation des sols, des ressources naturelles, etc.)

En termes d'âge, les plus jeunes (18-24 ans) sont  majoritairement moins optimistes  (51 % en quantité suffisante, 41 % bonne qualité pour la santé et 37 % respectueuse de la planète) mais l'optimise croit avec l'âge est devient majoritaire chez les 65 ans et plus (61 %, 60 % et 54 %).

Politiquement, les électeurs d'Emmanuel Macron sont les plus optimistes sur notre capacité à répondre aux défis alimentaires (71 % en quantité suffisante, 64 % bonne qualité pour la santé et 54 % respectueuse de la planète), les personnes plus éloignées de la politique (abstentionnistes) sont moins optimistes (49 %, 41 %, 41 %). Une courte majorité des électeurs de Jean-Luc Mélenchon pense que nous parviendrons à produire de la nourriture en quantité suffisante (55 %) et de bonne qualité (54 %) mais seule une minorité pense que nous le ferons en respectant la planète (40 %). Concernant cette exigence écologique, les électeurs de Marine Le Pen sont les plus optimistes (58 %).

L'analyse de l'Institut Montaigne

Près de la moitié des Français (51 %) estiment qu’il sera difficile d’avoir une production alimentaire en quantité suffisante, de bonne qualité pour la santé et en même temps respectueuse de la planète. Ces inquiétudes sont légitimes compte tenu de l’ampleur du défi qui attend l’agriculture française pour faire face au dérèglement climatique.  

Dans une récente analyse, nous montrions en effet que l’agriculture française fait face à un double défi d’atténuation et d’adaptation. Notre système agricole doit parvenir à réduire son impact sur le climat et l’environnement tout en s’adaptant pour devenir plus résilient face à la multiplication des aléas climatiques.  

En revanche, les sondés sont plus optimistes concernant la capacité de la France d’avoir une production alimentaire de quantité suffisante (60% estiment que nous serons capable de relever le défi), ce qui implique de défendre notre souveraineté alimentaire française et préserver notre potentiel productif.

 

Inflation alimentaire : aux yeux de l'opinion les responsabilités sont partagées

Question : Depuis environ un an, les prix des produits alimentaires ont beaucoup augmenté, et certains experts du secteur annoncent de nouvelles augmentations des prix dans les semaines et à mois à venir. Selon vous, quels sont les principaux facteurs qui expliquent cette hausse importante des prix alimentaires ?

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Pour les Français, les 3 principaux facteurs qui expliquent la hausse importante des prix alimentaires sont le fait que l'industrie agroalimentaire augmente trop fortement ses tarifs (cité par 53 %, 2 réponses possibles parmi 5 items), que la grande distribution ne réduit pas assez ses marges (52 %) et le contexte international de guerre en Ukraine et de tensions avec la Russie (48 %).

Derrière ces trois raisons, 1 Français sur 3 (33 %) cite le dérèglement climatique qui réduit le volume des récoltes et moins d'1 Français sur 10 (8 %) les agriculteurs qui demandent des hausses de prix trop importantes.

Au global, on retrouve cette hiérarchie dans la plupart des catégories de population et électorats, quelques différences peuvent toujours être notées :

  • La responsabilité attribuée à l'industrie agroalimentaire augmente avec l'âge, de 36 % chez les 18-24 ans à 66 % chez les 65 ans et plus

  • Le dérèglement climatique est particulièrement cité par les 18-24 ans (51 %, 2ème raison derrière la guerre en Ukraine à 55 %)

  • Le contexte international de guerre en Ukraine et de tensions avec la Russie est la 1ère raison évoquée chez les électeurs d'Emmanuel Macron (56 %, devant l'industrie agroalimentaire à 52 %)

L'analyse de l'Institut Montaigne

Depuis un an, les Français font face à une forte inflation des produits de grande consommation, qui atteignent une inflation à 1 an de 14,45 % en février 2023. Ces prix pourraient d’ailleurs encore augmenter dans les mois qui suivent.

Les résultats partagés de ce sondage illustrent la réalité protéiforme de l’inflation alimentaire. Si 53 % et 52 % des sondés pointent respectivement du doigt la hausse des tarifs de l’industrie agroalimentaire et les marges de la grande distribution, la source principale de l’inflation alimentaire est davantage conjoncturelle : la guerre en Ukraine (48% des citations). C’est bien la hausse des prix de l’énergie et la rupture des chaînes d'approvisionnement russo-ukrainiennes (particulièrement les céréales) qui poussent vers le haut les prix alimentaires.

Plus largement, la méfiance observée envers l’industrie agroalimentaire et la grande distribution tranche avec la confiance des Français pour leurs agriculteurs que nous soulignions dans notre rapport de 2021 : seuls 8 % des sondés estiment que les agriculteurs sont responsables de l’inflation.

 

 

Copyright image : FRED TANNEAU / AFP

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